Analyse littéraire de l'ensoleillement dans "Here Comes the Sun" :
Au printemps 1969, alors que les Beatles connaissent une période tendue, George Harrison rêve d'évasion. Un après-midi, il se rend chez son ami Eric Clapton et est frappé par la beauté du jardin ensoleillé où il se promène. Cela tombe bien, il avait emprunté une guitare acoustique à son ami. "Here Comes the Sun" paraît donc sur l'album Abbey Road en 1969, et elle forme avec "Something" la plus belle paire de chansons des Beatles (au sens où le compositeur est le même) qu'on trouve sur un même album. Harrison montre définitivement qu'il est capable de surpasser ses comparses Lennon et McCartney.
'Here Comes the Sun" signifie littéralement "voici le soleil". L'originalité tient à ce que le poète-narrateur se tient dans une posture de contemplation un peu désabusée, et non pas de réclamation enfantine. Dire "voici le soleil" plutôt que clamer "je veux du soleil", cela montre une maturité philosophique contemplative digne de Platon, renforcée par le vers suivant : "it's alright". Le soleil n'est pas ici un dû ni un privilège, c'est une fatalité ! Mais une fatalité heureuse. Pour montrer que la présence du soleil est souhaitable et bonne, la beauté de la mélodie suffit - cette chanson est un petit délice pop. Mais le lien entre soleil et joie est exprimé clairement par le vers "the smiles returning to the faces" (littéralement "les sourires qui retournent aux visages"). Au-delà de la joie des sensations que procure le soleil, le poète-narrateur est tout simplement frappé par une certaine beauté du monde.
Harrison a l'art d'en suggérer beaucoup en disant peu. Ainsi, les deux mots "little darling" suffisent à faire le lien entre le soleil et l'amour. "it's been a long cold lonely winter" suggère un passé antérieur à la chanson qui aurait été difficile, comme si celle-ci arrivait à point nommé. L'hiver peut, soit dit en passant, renvoyer à la période glaciale des Beatles empêtrés dans des considérations financières. Avec "Here Comes the Sun", un état positif a été enfin atteint, pour le meilleur, grâce à la philosophie dont Harrison était féru. Toutefois, il y a toujours chez Harrison un doute timide sur ce qui lui arrive : "I feel that ice is slowly melting", "it seems like years since it's been clear" incluent des modulations d'incertitude qui donnent de l'innocence à la chanson, confortée par la façon de chanter. C'est toujours le poète-narrateur qui parle ; "I say it's alright" signifie qu'on n'est pas obligé d'être d'accord pour dire qu'on est d'accord, mais il nous en donne tellement envie que l'auditeur est soumis à une libre nécessité.
La chanson progresse inéluctablement : d'essence acoustique, elle se fait de plus en plus empressée et riche. Le synthétiseur joué par Harrison et les orchestrations de George Martin contribuent à cette richesse qui renvoie à celle de la nature dont on retrouve l'authenticité : la mélodie lumineuse suggère les rayons dorés de soleil frappant l'herbe verte du jardin de Clapton. Le chant semble rendre de plus en plus certain le constat du soleil qui vient : "Sun, sun, sun, here it comes", martèle Harrison sur le rythme de la batterie et de la guitare. Le voilà les yeux levés au ciel en train d'apostropher l'astre du jour. La chanson continue et s'achève dans une réelle ivresse mélodique. On est à mille lieux d'un obscur "Blue Jay Way" : la beauté est pure et immédiate, il n'y a rien de négatif ou d'alambiqué, tout est simple et limpide.
On avait rarement entendu de musique plus heureuse depuis Mozart. "Here Comes the Sun" est un véritable chef d'oeuvre où les mots arrivent toujours à point nommé. C'est la chanson qui rend tous ses droits à notre étoile, ainsi que la bande-son idéale à écouter en boucle quand le printemps arrive ou qu'un brin de soleil en donne l'illusion.