Le dernier fox-trot du Loup des Steppes ?
Pourquoi, Dieux, pourquoi ai-je cette fascination qui crache à la figure de tout bon sens pour le clip musical populaire ?
Oh, j'y ai un éclectisme (in ?)défendable, tant sur le plan géographique où je ne cache pas mon admiration pour le clip bollywoodien, pakistanais, américain même, que sur le plan temporel, où un clip de « Sacré Charlemagne » m'enchante toujours autant qu'un « Amoureux Solitaire » ou... Ou un Las Ketchup, « Asereje ».
http://www.youtube.com/watch?v=6IQ0snWgef0
Complètement indéfendable pour le musicologue que je suis, je ne cherche d'ailleurs pas à le défendre. C'est de la mauvaise musique, à peine écoutable.
Et pourtant.
Et pourtant, une récente lecture du « Loup des Steppes » de Hesse m'oblige à m'interroger sur un rapport éventuel entre les danses de la Hermine de Harry Harrer et de ces filles. D'aucuns diront que j'extrapole, hyperbolise, et autres idées saugrenues.
La vérité, c'est qu'il y a aujourd'hui quelques années, c'était un succès à peine envisageable.
Cet hispanianisme comme une transposition bizetienne sur la musique populaire parle, rend fou.
Que dire de ces espèces d'onomatopées : « ah na na na na... » précédent la reprise du refrain ? Comment a-t-on pu envisager ça un jour comme musique ? Pourquoi est-ce que ça a marché ? Pourquoi ?
Je laisse au fils caché d'un Bourdieu et d'un Greimas ou d'un Barthes le soin d'en décider, car de telles hypothèses relèvent avant tout et à tout le moins d'un mélange de sociologie et de sémantique adaptées à la musicologie. J'invoque mon Nattiez, Grabócz, et Tarasti
Et que dire du clip... Une influence évidente de Lotte Reiniger pour ces séquences de théâtre d'ombres.
Mais, plus encore, ce sont les cadrages rohmeriens de l'introduction « La Collectionneuse » que l'on retrouve, sur ces plans qui évoquent instantanément l'image de l'héroïne sur la plage, cadrée à hauteur assumée de buste, de bas-ventre, et d'un mélange des deux. Le réalisateur, Rohmer contre un sombre inconnu ici, jouent dans un contrepoint narratif sur l'imagerie féminine, interpellant le spectateur en le mettant face à ce qu'il a, plus ou moins inconsciemment, envie de voir chez ces filles. Les similitudes entre les plans ici remontant tranquillement le long du corps de ces jeunes filles et la façon spirituelle qu'a Éric de nous confronter à nos propres fantasmes de cette Collectionneuse au début de son film éponyme est frappante.
Enfin, ce qui fait finalement tout l'intérêt de cette musique, est son caractère profondément schopenhauerien. Ne sentez-vous pas le voile de Maya, insensiblement, se soulever ? La Volonté se cacherait-elle derrière cette parodie involontaire d'un tradition pourtant riche, l'hispanico-portugaise ? Et notre sujet de connaissance pur, cet homme simple, ce János Valuska tarrien, ce Prince Muychkine dostoievskien, ce George Bailey capraien, cet ultra-sensible général, ne le voyons nous pas dans ce garçon qui court, torse nu et abdos saillants, au soleil sur le plage ? Ou dans ces demoiselles en mini-short ? Ou dans ce barman qui fait tourner une bouteille dans son dos, image cosmologique de la trivialité ?
« Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme ». Étrangement, j'ai le sentiment tenace que Lavoisier avait d'autres projets que celui-ci en énonçant la formule désormais célèbre. Et pourtant, une nouvelle fois, le fox-trot de Harry devient chanson espagnole aux mouvements manuels travaillés (deux coups en bas, deux coups en haut), les recherches de Reiniger trouvent leur réincarnation (2'21), mes idoles sixties, ces girls' groups type The Exiters, The Angels, Little Eva, The Shirelles, etc, trouvent ici leurs descendantes.
Moi, je deviens fou, avec ces trucs là, et c'est dingue le nombre de conneries philosophico-linguistico-musicologiques auxquelles se prêtent ces charmantes garces, déjà trop vieilles pour moi, mais auxquelles je ne voudrais pas faire l'ultime affront de retirer le peu de jeunesse qu'elles tentent de sauvegarder.
(Alors là, si quelqu'un lis ça, moi, je peux plus rien faire, c'est mon maximum dans l'idée d'écrire pour ne pas être lu)