The Fool on the Hill
8.2
The Fool on the Hill

Morceau de The Beatles (1973)

C’est un texte simple, mais moins qu’il n’y paraît, sur un homme solitaire, incompris et considéré comme fou, dont la conduite idiote est en réalité la manifestation de sa sagesse. Remarquable d’emblée par sa singularité (c’est la seule incursion de Paul dans une problématique ouvertement spirituelle), il l’est aussi par sa genèse mouvante et floue, qui situe la figure du fou au carrefour de plusieurs sources ayant chacune leur importance.


A l’époque (1967), Paul a dit qu’elle avait été inspiré par The Fool, un collectif psychédélique de stylistes et designers hollandais qui avait travaillé entre autres pour les Beatles et s’était baptisé lui-même d’après l’arcane du même nom dans le Tarot. Plus tard, Paul évoquait le Maharishi Mahesh Yogi en 1997 dans ses entretiens avec Barry Miles : « Ses détracteurs le traitaient de fou. Comme il gloussait, on ne le prenait pas tellement au sérieux. » (Paul McCartney: Many Years from Now) Enfin, Kenneth Womack rapporte une anecdote racontée par Alistair Taylor, l’assistant de Brian Epstein, dans Yesterday: My Life With the Beatles (1991) : un matin où Paul promenait sa chienne sur Primrose Hill en sa compagnie, un homme apparut soudain sans un bruit et le salua, puis fit une réflexion sur la beauté de la vue qu’on avait de cette colline. Le temps que Paul regarde, l’homme avait disparu tout aussi inexplicablement. Juste auparavant, Paul et Alistair avaient parlé de l’existence de Dieu, ce qui rendait l’expérience encore plus mystérieuse. Tous deux ont exclu la possibilité d’un retour d’acide. (The Beatles Encyclopedia: Everything Fab Four, 2014).


Il est peu probable que le Fou sur la Colline ait été littéralement le Maharishi, le texte ayant été commencé en mars et fini en septembre 67, soit avant et après la première rencontre des Beatles avec le Maharishi (août 67), et en tout cas bien avant le séjour à Rishikesh (février-avril 68). Peu probable aussi que Paul ait songé à la symbolique de l’arcane du Fou, qui colle parfaitement (un vagabond portant son baluchon, affublé d’un chapeau de bouffon et mordu aux fesses par un chien qui déchire son pantalon). Quant à l’anecdote d’Alistair, il n’a ni confirmé ni démenti qu’elle aurait été à l’origine des paroles de la chanson. Mais il dit encore à Barry Miles : « Ce qui m’attirait, c’était cette idée d’un fou sur une colline, d’un gourou dans une caverne. » Des réminiscences chrétiennes et platoniciennes qui montrent bien que le Fou sur la Colline de Paul est avant tout une figure archétypale de la « folie divine » dans un contexte de profonde remise en question par la contre-culture occidentale des notions de folie et de sagesse, à la lumière tutélaire tant des philosophies orientales et ésotériques que des traditions héllénique et judéo-chrétienne.


Cette « folie » renvoie à des comportements socialement erratiques ou aberrants liés à une recherche religieuse ou spirituelle. Signes de maladie mentale pour le profane, ils sont considérés par les disciples comme des manifestations de conduite éclairée de la part de maîtres ayant transcendé les normes sociales, à des fins de pratique ou d’enseignement. Diogène est un exemple de Fou, le Christ aussi, le Bouddha aussi, Taisen Deshimaru aussi. Le mont des Oliviers, qui est en fait une colline (hauteur de 800 m) est un lieu récurrent de la prédication de Jésus rapportée par le Nouveau Testament. C'est aussi le lieu de son arrestation et de son Ascension.


Cependant, certaines cultures ont la crucifixion plus facile que d’autres, et alors que le maître zen ou le heyoka des Sioux sont acceptés et jouent parfois un rôle social majeur, les fous du Christ sont plutôt rejetés et considérés comme possédés par le Démon par leurs communautés. Ainsi Sainte Isidore (4 ème siècle ap JC), qui appliquait obstinément le précepte de Saint Paul « Quiconque se croit sage selon les critères du monde, puisse-t-il devenir un fou, et trouver la vraie sagesse », fut ostracisée par les autres nonnes, insultée, maudite et réduite à subsister de leurs restes. Mais, écrit son biographe Palladius, jamais elle ne se plaignit ni n’insulta quiconque en retour.


Pas étonnant que le Fou de Paul ait reçu un sobre satisfecit de la part d’un gars qui s’y connaissait en la matière : « Ah, ça c’est du Paul. Encore un bon texte. Ça montre qu’il est capable d’écrire des chansons complètes. » (John Lennon, interviewé dans Playboy, 1980)


Jour après jour, seul sur la colline
L’homme au rictus idiot reste parfaitement immobile
Mais personne ne veut rien savoir de lui,
On voit bien que ce n’est qu’un fou
Et lui ne s’explique jamais


Mais le Fou sur la Colline
Voit le soleil se coucher
Et les yeux dans sa tête
Voient le monde tourbillonner


Bien avancé sur son chemin, la tête dans un nuage
L’homme aux mille voix parle de façon parfaitement claire et distincte
Mais personne ne l’entend jamais,
Lui ou les sons qu’il paraît produire
Et jamais il ne semble le remarquer


Mais le Fou sur la Colline
Voit le soleil se coucher
Et les yeux dans sa tête
Voient le monde tourbillonner


Et personne n’a l’air de l’aimer
On voit bien à quoi rime tout ça
Et lui ne montre jamais ses sentiments


Mais le Fou sur la Colline
Voit le soleil se coucher
Et les yeux dans sa tête
Voient le monde tourbillonner


Oh…. en rond, en rond, en rond….


Il ne les écoute jamais
Il sait que ce sont eux les fous
Ils ne l’aiment pas,
Le Fou sur la Colline (1)
Voit le soleil se coucher
Et les yeux dans sa tête
Voient le monde tourbillonner


Oh…. en rond, en rond, en rond….


(1) La mélodie le place en position à la fois de complément d’objet du vers précédent et de sujet du vers suivant.


NB – Je déconseille les traductions que j’ai pu trouver en ligne, effectuées par des gens bien intentionnés mais n’ayant pas entendu le fou qui parle de façon parfaitement claire et distincte. Ou même les leçons de leur prof d’anglais.


https://www.senscritique.com/liste/Le_Lagarde_et_Michard_du_rock_Paul_Mc_Cartney/2807132

OrangeApple
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le 25 sept. 2020

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