Quand on pense dessins animés pour la jeunesse, les premiers titres qui nous viennent à l’esprit sont souvent des productions Disney, ou les incontournables (bien installés depuis des années) Peppa Pig, Les Pyjamasques ou encore La Pat Patrouille, pour ne citer qu’eux. À vrai dire, chaque famille à sa ou ses séries phares que les enfants regardent jusqu'à l'épuisement, pour le grand bonheur/malheur (choisissez le terme qui vous convient) des parents.
Ces cadors de l’animation sont continuellement déclinés en multiples produits dérivés qui font mal aux portefeuilles, et qui garantissent aux producteurs une visibilité et une publicité constante hors de l’écran de télévision. Ce merchandising féroce rend de ce fait ses séries omniprésentes sur les pages d’accueil de nos plateformes de streaming.
Mais parfois, de cette offre chaotique et sans fin, se démarquent quelques perles. Alors que la grande majorité des productions animées viennent d’Amérique du Nord, d’Angleterre ou de France, celle qui nous intéresse ici arrive tout droit d’Australie, et elle vient bousculer les standards imposés par les géants indétrônables, pour proposer quelque chose de nouveau, de frais et de lumineux.
Créée par Joe Brumm, et produite par Ludo Studio, studio d’animation Australien, Bluey est une série d’animation qui met en scène une famille de chiens, plus précisément des Bouviers australiens, dans une petite ville d’Australie (Brisbane, pour les curieux).
Bluey est une petite fille (chienne) de six ans, accompagnée dans ses aventures citadines de sa petite sœur, de deux ans sa cadette, Bingo, et de leurs parents, Bandit et Chili. Réponse Australienne à Peppa Pig, série sur laquelle a d'ailleurs participé Joe Brumm, Bluey nous raconte en toute simplicité le quotidien des Heelers, souvent remplies de rires, de petits bonheurs simples, et bien souvent d’apprentissages de la vie. Jusque-là, rien de très original, la plupart des séries pour enfants passent aussi par ce prisme pour raconter et caractériser leurs personnages. Alors qu’est-ce qui fait de Bluey une série à part ?
La bonne idée d'inclure les parents
Au départ, Joe Brumm souhaite montrer l’importance de l’imagination et son rapport à la création, en s’inspirant de son propre vécu avec ses deux filles (d'ailleurs doubleuses des personnages de Bluey et Bingo, selon la légende). Dans Bluey ce sont en effet les protagonistes qui créent l’histoire, le long des six minutes que dur un épisode. Les univers du quotidien fournissent aux enfants la matière pour fabriquer leurs jeux, leurs récits et leurs aventures. Ainsi, les enfants puisent dans le monde des adultes ce qui leur est nécessaire pour alimenter leur imaginaire, et ainsi, façonner et inventer leur réel à eux. Ce rapport au monde des adultes est efficacement mis en image via le rôle des parents, personnages d’une importance capitale, si ce n’est plus que les enfants eux-mêmes.
Bandit et Chili volent en effet, et ce, très rapidement, la vedette aux fillettes. Si la mère est bien souvent le contrepoids moral, au discours plein de sagesse, le père est la figure parentale par excellence, doté du grain de folie nécessaire à la stimulation de ses deux bambins. Intelligent, drôle, papa poule et papa à « dad jokes », inventif, imaginatif, mais aussi aimant ou réconfortant, Bandit est un papa qui inscrit son rôle de père dans la parentalité positive. Un papa parfait, exemplaire (mais pas sans failles), qui nous fait nous questionner sur notre propre rôle de père. Pour Bandit, il n’y a que des solutions, et l’éducation doit être un levier à la compréhension du monde qui entoure les enfants. Chili quant à elle est plus sensible, plus douce, et surtout présente pour valider ou invalider les idées et décisions de son mari. C’est aussi vers elle que se tournent Bluey et Bingo quand un regard différent de celui de leur père est nécessaire. C’est la principale force de la série : grâce aux personnages de Bandit et Chili, Bluey s’adresse preque davantage aux parents qu’aux enfants, et en fait une série d’apprentissages autant pour les uns que pour les autres.
Résolument dans l'air du temps
Il suffit d'aller faire un tour sur le Subreddit de Bluey pour comprendre la portée de la série. La série est aussi suivie et analysée qu'un épisode de Game of Thrones à son heure de gloire.
Sans aller jusqu’à remettre en question notre rôle de parents, la série de Joe Brumm nous offre un regard avisé empli de tendresse sur la parentalité des années 2020. C’est quoi, être un bon parent ? Où s’arrête le jeu et où commence l’éducation ? Le « savoir lâcher prise » est au cœur de la série, et c’est par ses personnages qui portent un regard intelligent et crédible sur le monde d'aujourd'hui (rarement vu dans une série pour enfant), que Bluey gagne à être regardée en famille. La série ouvre des discussions sans fin sur les choses la vie (en vrac : grandir, le deuil, la créativité, la jalousie, déménager, l'ennuie, etc.) et plutôt que de laisser nos charmantes têtes blondes vissées seules à l’écran pendant que nous faisons la vaisselle, nous invite à trouver avec eux une matière à la réflexion et à la discussion. Certains épisodes ne sont d'ailleurs pensés que pour les parents, comme L'Île aux tapis par exemple, qui nous invite à réfléchir au temps qui passe, et à la manière dont on l'utilise.
Enfin, il serait cruel de ne pas mentionner le travail incroyable de Ludo Studio sur les décors et l’animation ! Bluey est une série de toute beauté, qui nous régale avec de magnifiques décors colorés et superbement mis en valeur par à un travail formidable sur la lumière, qui n’a rien à envier à certaines productions animées de plus grande ampleur. L’animation est quant à elle remarquable pour une simple série animée destinée à priori aux plus jeunes. Que ce soit dans les moments d’effervescences ou les moments plus calmes, la famille de Bluey possède une palette infinie de mouvement qui frise le naturel. Enfin, la musique, tantôt joyeuse et utilisée comme habillage sonore, tantôt plus douce et émotionnelle, sert le récit merveilleusement bien.
Bluey est une série rare et précieuse, avec de très beaux moments qui seront, à n'en pas douter, des morceaux de nostalgies à partager en famille quelques années après leur visionnage.