Saison 1:
Courte saison, 7 épisodes. C'est dire s'ils y croyaient! Faut avouer que le parti pris est d'un couillu! Faire une série sur un cancéreux, petit bourgeois le jour, préparateur de dope amateur la nuit... c'est un programme si peu politiquement correct. Les français peuvent toujours se la raconter sur la liberté artistique et culturelle bleu blanc rouge, mon cul! Ce sont bien les ricains, et seulement eux, qui sont capables de pondre une série pareille!
Quand je rédige un petit truc sur les séries que je découvre et que j'adore, ce qui revient sans arrêt, c'est la justesse de l'écrit, l'intelligence. Je n'ai vu que 7 épisodes et je sais déjà qu'on a là un travail hors-pair. Sur certains épisodes, on est parfois ahuri par la précision, du texte comme du tempo. C'est d'une netteté, d'une concision imparable. Rien à jeter!
Par exemple, il y a cette scène où toute la famille est réunie dans le salon pour que chacun puisse déballer tout ce qu'il a sur le cœur, à propos de la manière dont Walter (Bryan Cranston) gère son combat contre le cancer. Skyler, sa femme (jouée par Anna Gunn), organise cela en demandant à celui qui tient le coussin qu'il prenne la parole. Les autres doivent attendre d'avoir ce coussin en main pour s'exprimer. Cette méthode psycho-prout-prout fait craindre le pire.... dans la bêtise, dans le mode pensée pré-mâchée conventionnelle et un peu con. Or, cette séquence est dynamitée en moins de deux par l'hypocrisie des uns ou la sincérité des autres mais surtout, quand c'est le tour de Walter, on assiste à un des discours les plus percutants sur la maladie, la peur de la mort. Je ne sais pas si on a déjà parlé aussi bien, de façon aussi naturelle et intelligente de la maladie.
Cette série réussit l'exploit de maintenir un niveau de finesse en continu tout en distillant des petites piques à la morale habituelle. L'humour est bien présent également, noir la plupart du temps, parfois très glauque, mais aucune concession n'est faite pour véritablement accorder le récit, la trajectoire des personnages à une morale traditionnelle. L'ouverture d'esprit de ces personnages, le double discours sur la société américaine actuelle, le soin pris à garder des personnages réalistes font de cette série une belle promesse. En ce qui me concerne, je goûterais volontiers à la 2e saison.
Lors de celle-ci, sur le plan du jeu, l'acteur Bryan Cranston confirme tout le bien que je pensais de lui. Guère de surprise de son côté, il est très sûr. Énorme plaisir à suivre son personnage. La fracture mentale qu'il subit est superbement dépeinte. Progressive mais constante.
J'ai encore un peu de retenue dans l'enthousiasme pour son acolyte Aaron Paul. J'attends de voir les saisons suivantes pour être totalement conquis.
De même pour Anna Gunn. Elle joue bien, mais il m'en faut un peu plus.
Dans les personnages secondaires, je retiens Dean Norris qui joue le beau-frère, bien beauf, bien lourdaud, à la vulgarité altière... mais d'une part, il le joue très bien, et d'autre part, je le soupçonne d'en garder sous la semelle, de façon à pouvoir en tirer des éléments plus fins plus tard, plus inattendus. J'espère davantage de son personnage.
Dans le pittoresque et la pitrerie la plus débridée, le mafieux Tuco (Raymond Cruz) pourrait aussi constituer par la suite un ingrédient plein de folie. Personnage prometteur itou.
Voilà, sans cliffhanger particulier, cette saison 1 donne envie de poursuivre les aventures des personnages, d'ores et déjà intrigants, de connaitre la progression des enjeux déjà bien ancrés dans le récit.
http://alligatographe.blogspot.fr/2014/04/breaking-bad-season-1.html
Saison 2:
Deuxième saison parfaitement corrélée à la première : la chute d'Icare continue.
J'ai bien aimé suivre le parcours des différents personnages et les relations qu'ils entretiennent entre eux. L'enrichissement des problèmes personnels est alimenté avec intelligence et intégrité. Surtout, l'équilibre dans l'écriture est maintenu, exigence primordiale pour moi : pas de sur-pathos à déplorer, pas d'extravagance, de raccourcis qui pourraient altérer le crédit des personnages et l'intérêt pour l'histoire. Tout est parfaitement censé, logique.
Quant aux acteurs, ils sont toujours très forts. A ce propos, j'avais noté un léger doute personnel vis à vis de Aaron Paul (Jesse). Or, son personnage a fort à faire cette saison et le comédien lui donne une charge émotionnelle qui m'a cette fois clairement convaincu.
Bryan Cranston (Walter) est une nouvelle fois impressionnant, bis repetita heureux. J'avais espéré que le scénario pousserait un poil plus son attention vers le personnage de Hank (Dean Norris). Mon vœu est exaucé. En effet, son personnage se bonifie en complexifiant une psychologie sûrement encore plus riche dans les saisons futures. J'aime bien ce qu'apporte ce personnage. Sa propre difficulté à vivre dans un monde où l'apparence fait loi est à l'image de celle de son beau-frère, sauf qu'ils endossent deux images différentes. Il y a là un parallélisme très intéressant dans la mesure où l'on sent que les lignes vont forcément finir par se rejoindre. On comprend aussi que les personnages principaux se tapent tous une crise existentielle.
Skyler (Anna Gunn) est elle aussi sur une pente savonneuse.
Sa soeur (Betsy Brandt), dont la cleptomanie en première saison est mise en sourdine en cette saison 2, peut constituer un futur point d'achoppement pour de futures saillies scénaristiques.
Bref, la série continue sur sa voie, à progresser avec réalisme et quelques petites montées d'humour, tout en proposant une réflexion sur la trajectoire des personnages. Et par là, elle brosse un portrait acide de l'Amérique actuelle. La série offre pour l'avenir des pistes alléchantes.
Ce que j'aime par dessus tout, c'est de découvrir avec surprise que je ne me lasse pas d'un canevas immuable, basé sur le fait qu'à chaque solution de problème vient exploser une nouvelle emmerde. Il y a là sur le plan de la "lecture" un gros risque de "fatigue" à suivre ce schéma, or, il n'en est rien. Cela fonctionne parfaitement. Le travail d'écriture des scènes cruciales comme la direction d'acteurs plutôt sobre permettent de passer ces obstacles avec brio, sans difficulté apparente. Un foutu miracle !
3e saison:
J’aime bien cette saison ; peut-être même est-elle celle que je préfère jusqu’à maintenant? Cela faisait longtemps que je n’avais pas suivi cette série. Aussi ai-je plaisir à retrouver d’abord les personnages, et ensuite une histoire enthousiasmante, rocambolesque, fascinante par son exubérante imagination, mêlée d’une incroyable capacité à se rendre somme toute crédible. Aussi farfelus soient les détours que prend l’histoire, on a le sentiment que les scénaristes retombent à chaque fois sur leurs pattes, avec une adresse dans l’écriture qui me laisse cette fois encore baba d’admiration.
Je ne sais au juste si c’est l’intervalle asse long que j’ai mis dans ma découverte de la série entre la saison 2 et celle-ci, ou bien si c’est la qualité propre des scénarii de cette saison 3, mais j’ai le sentiment assez net, beaucoup plus précis que la relation père-fils entre Walter White (Bryan Cranston) et Jesse Pinkman (Aaron Paul) avait pris cette fois un caractère beaucoup plus affectif, mais surtout plus ouvert, obligeant les deux personnages à sacrifier un peu plus de leur intégrité morale pour le bien de l’autre. Logiquement, les événements le prouvent et supposent tout aussi bien que cette saison 3 ne voit que la résultante de la lente progression des sentiments filiaux qu’ils ont jusque là tissé avec plus de retenue et qui aboutit maintenant à des gestes cruciaux, signes évidents d’un point de non-retour à la fois dans leur investissement relationnel mais également de leur implication criminelle, les deux mouvements étant fortement reliés. Ils sont désormais liés. Je ne sais quel sera l’avenir de ces deux hommes dans la saison 4, mais il est clair qu’ils ont dépassé un stade majeur dans leur rapport. On verra bien comment ils vivront ce passage.... c’est en tout cas une promesse bien intrigante.
J’ai beaucoup aimé la manière dont les personnages secondaires sont intégrés à cette trame principale. C’était déjà le cas lors des saisons précédentes. Ça l’est encore. Surtout pour le personnage de Hank Schrader incarné par un toujours surprenant Dean Norris. Son jeu marqué par un masque de virilité exacerbée et le contraste d’angoisse existentielle que l’expérience mexicaine a provoqué en lui est d’une finesse très étonnante. Sur cette saison, je suis encore plus sous le charme. Il a un rôle complexe et lui insuffle de la vie, de l’incarnation avec une précision de jeu formidable, tout en nuances, malgré les clichés que son personnage trimbale.
Pour le moment, je n’avais été épaté que modérément par les prestations de Aaron Paul. Or, sur cette fin de saison, l’acteur me convainc totalement. Son jeu affiche une robustesse qui jusqu’à maintenant m’avait échappé.
Bryan Cranston est toujours aussi bon. Il n’y a cette fois aucune surprise : il est excellent, construisant toujours aussi bien les méandres de la psychologie de ce personnage tenaillé par ses obsessions, son ego surdimensionné, ses angoisses, ses attachements sincères ou ceux plus enfouis.
Dans la distribution, mêmes les petits rôles comme celui de Betsy Brandt sont dessinés avec assez de précision pour marquer les esprits avec quelques scènes émotionnellement intenses.
Je suis toujours encore un peu réservé avec le comique d’un personnage comme celui de Saul (Bob Odenkirk).
A suivre. Au delà, de toute façon, de ce que peut apporter chacun dans son cadre étroit, individuel et intime, c’est bel et bien l’ensemble de la série qui fait tout exploser, que ce soit dès le scénario, dans la mise en scène, le jeu des acteurs et l’esthétique si singulière qui s’en dégage. Comment ne pas avoir envie de rester dans cette histoire, d’en connaître la suite, de voie évoluer ces personnages, ces situations? Breaking Bad fait partie de ces séries à haut pouvoir addictif.
Trombi et captures saison 3