Cauchemar en cuisine
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Cauchemar en cuisine

Émission TV M6 (2011)

Il y a de cela quelques années m'est arrivé une drôle d'aventure digne, selon moi, de vous être narrée avec le plus grand soin.
Une histoire originale, pas banale pour un sou; une bluette pas piquée des hannetons que je m'en vais vous conter de ce pas.


Après un samedi soir fortement alcoolisé que j'avais passé, selon mes potes, à discuter de philosophie "Kantienne", de fajitas au poulet et de soutien-gorges renforcés avec un panneau de signalisation (Fort sympathique, ma foi); je me suis dis que le fort mal de tête planté comme un clou rouillé dans ma caboche tordue méritait bien une petite ballade en bord de mer.
Alors hop ! direction le fil de l'eau. Direction le premier resto qui passe pour me caler une tripe et me rincer la lampe au capiteux et décapant Rosé du Languedoc.
L'air marin avivait mon appétit. Je marchais sur le port où m'arrivait par bouffées épaisses des odeurs d'été, des relents de fritures poissonneuses grasses comme les tifs de Florent Pagny et autres vapeurs anisées, s'exhalant de la bouche de quelques pétanquistes bruyants et mal habillés.
Toutes ces fragrances aiguisaient mes glandes salivaires et faisaient du pied à mon foie engorgé.
Au milieu de mes circonvolutions badines et portuaires, je vis au détour d'une ruelle commerçante l'enseigne bariolée d'un petit restaurant joliment appelé : "Mon petit chez moi".
La jolie enseigne, la faim naissante et les cris de détresse de mon foie asséché me persuadèrent de m'y arrêter au plus vite et de donner satisfaction à mon corps anémié.


Le restaurant était vide, la déco un peu surannée mais la carte me semblait honnête. Je m'assis en terrasse. Un serveur vint m'amener la carte.
Je commandais un Jack Daniel's sans glace pour nettoyer mon foie des restes du Rosé de la veille qui encombrait encore mon haleine.
Tout en sirotant mon Jack, je feuilletais la carte dont les nombreux produits régionaux: Bourride de lotte, Seiche à la rouille et autres gardiane de taureau me mettaient l'eau à la bouche. La carte des vins toute aussi attractive avec ses Faugères, ses Pic St-Loup, ses Saint-Chinian et autres Corbières bien râpeux me cajolaient le foie dans le sens du poil.
J'en étais à ses émotions gustatives bien légitimes lorsqu'une grosse moto pétaradante vint se garer sèchement devant l'entrée du restaurant.


Un molosse au regard patibulaire, carré comme une armoire Normande et chauve comme Djee VanCleef descendit du bolide comme un sheriff de série B, le regard hautain et le muscle saillant.
Je le vis s'installer à une table juste devant moi et claquer des doigts en maugréant pour appeler le serveur.
"Donnez-moi votre carte." dit-il d'un ton cassant.
Le serveur lui amena la carte et s'éclipsa doucement à reculons. Placé juste à côté des cuisines, j'entendis le serveur dire au chef cuisinier, qui était aussi le propriétaire du restaurant, que Philippe Etchebest venait juste d'arriver.
Etchebest ?... Ça y est ! "Cauchemar en cuisine" ! La connerie d'M6. Ça promettait d'être drôle.
En effet une caméra venait de faire son entrée, filmant sous tous les angles le gros costaud au col Bleu-Blanc-Rouge en train de vérifier l'état de propreté des couverts ou le niveau de remplissage des salières.
Le serveur fit son apparition et prit la commande du tyran des fourneaux en tremblant comme une feuille.
"ALLÔ ! Une salade de chèvre chaud, des encornets farcis et une tatin aux pommes pour le Chef." retentit soudain dans la cuisine juste derrière moi.
Tout se mit en branle à la vitesse de l'éclair. Les poêles s'entrechoquèrent, les feux crépitèrent et les esprits s'échauffèrent légèrement.
Dix minutes plus tard le serveur amena la salade au Chef Etchebest qui la lui jeta en pleine gueule au bout de trente secondes en lui hurlant des insanités. Puis ce fut au tour des encornets farcis d'être soigneusement crachés à la face débonnaire du pauvre porte-assiettes. Et enfin la tatin de pommes, que le pauvre employé dût ramener illico-presto en cuisine; pas dans son assiette originelle mais fermement collée sur la joue droite. Après avoir versé son café dans le pot de fleur près de lui, le chef étoilé se leva férocement et bondit dans la cuisine comme un seul homme.


Le chef du "Petit chez moi", petit homme d'un mètre soixante et cinquante cinq kilos était figé de terreur face aux récriminations violentes de l'ancien rugbyman.
"Tes croûtons pour la chèvre chaud c'est de la pierre ! Tu ferais mieux de te les carrer un à un dans le cul !"
"Dis-moi, tes encornets farcis ils bandent mous. tu les a farcis avec ta bite ou quoi ? Réponds ordure !"
"Et ta tarte tatin, y avait tellement de cheveux dessus que j'avais l'impression de bouffer la tarte aux poils de ta femme, roulure !"
Philippe Etchebest lui mit une grande tarte dans la gueule en hurlant qu'il n'avait rien à foutre dans ce rade dégueulasse, mit un coup de pied dans la table de la terrasse qui s'écrasa violemment contre le bar et sortit en faisant un doigt d'honneur au serveur avant de disparaître sur sa moto dans un nuage de fumée blanche et un fracas assourdissant.
Voyant le chef du "Petit chez moi" en larmes et la joue rouge, je préférais m’éclipser discrètement sur la pointe des pieds en prenant bien soin de ne pas payer mes consommations.


L'histoire s'arrêterait là si quelques mois plus tard je n'étais pas revenu sur les lieux du crime pour me rincer la dalle dans cette ruelle si typique et prendre, par la même occasion, des nouvelles de cette petite équipe si sympathique.
Quand j'arrivais devant le restaurant quelle ne fut pas ma surprise en voyant murs et baies vitrées repeints en noir et rouge. De grands "X" roses barraient portes et fenêtres, des culs de toutes tailles, des nibards de toutes les couleurs ornaient également la devanture du délicieux "Mon petit chez moi", rebaptisé pour l'occasion " Le paradis de la flûte à un trou".
J'entrai discrètement et vis à la caisse l'ancien patron du restaurant en train d'expliquer à un couple d'amoureux d'un certain âge les différences subtiles entre les divers godemichés qui trônaient fièrement sur son présentoir.
Une fois le couple parti, je m'approchais et me présentais au tenancier en expliquant que j'étais présent lors de la venue du chef Etchebest, et que j'étais venu prendre des nouvelles de son établissement.
Le bonhomme ravi m'expliquât qu'après la venue du Chef Basque, après ses nombreuses insultes culinaires à connotations sexuelles à son égard, tout ça, toutes ces réflexions désobligeantes lui avait donné une idée. L'homme, inspiré par les rudes brimades du Chef, avait décliné quelques-unes de ses spécialités gastronomiques pour en faire de joyeux sex-toys au noms souvent explicites.
Tout en parcourant son nouvel établissement, tout ces rayons si bien achalandés, le patron m'expliquait qu'il faisait des chiffres records avec ses nouveaux jouets, que la région était propice au libertinage et que la commercialisation n'en était qu'à ses débuts.
En effet la gamme était étoffée et originale. Je fouinais dans les rayons.
Au rayon godemichés: le concombre galant, l'asperge d'édredon ou encore l'andouille à col roulé étaient les produits phare de la nouvelle gamme.
Les paniers garnis pour hommes étaient également très tendance, avec un grand choix d'abricots, de figues, de tranches de pastèque et autres gourmandises succulentes qui faisaient le bonheur des trop nombreux célibataires du coin.
Une véritable réussite que cette reconversion. Une réussite que le propriétaire, gentleman, attribuait en grande partie à Philippe Etchebest et à ses insultes visionnaires qui lui permirent d'abandonner définitivement la cuisine pour le sexe à emporter.


"Finalement, il a bien fait de me dire de me les carrer au cul mes croûtons de chèvre. Ça m'a ouvert des perspectives d'avenir " me dit en riant le patron du "Paradis de la flûte à un trou".
Avant de partir, l'homme voulut absolument m'offrir un petit quelque chose. Je choisis un merveilleux abricot siffleur en latex compressé qui me faisait de l'oeil depuis que j'avais franchi les portes de ce sanctuaire du sexe gastronomique. Il me l'emballât dans un joli papier cadeau et me raccompagnât vers la sortie en m'invitant à repasser quand je le souhaitais.


Je partis le coeur léger, le moral au beau fixe, fier de la ténacité de notre artisanat local face aux odieuses multi-nationales que pouvait représenter le Groupe M6.
Je partis sans me retourner, heureux, bien décidé à faire siffler plus que de raison ce joli petit abricot siffleur, qu'un entrepreneur courageux et créatif m'avait offert en cadeau, bravant ainsi vaillamment les foudres tonitruantes du monstre Etchebest .


Illustration illustrative by Richard Grayson

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le 8 déc. 2015

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