Le pitch, tout le monde le connait. Un tueur qui tue d’autres tueurs, utilisant son travail à la police et ses connaissances pour ne laisser derrière lui aucun indice. Un « gentil » qui tue les méchants, suivant un « code » que lui a enseigné son père. Un « gentil » qui est un psychopathe. De quoi permettre une réflexion sur la justice, le bien et le mal. Le personnage en question est bien sûr complexe et en constante évolution, sur sa propre nature et son rapport aux gens.
Il débarrasse la ville des gens dangereux, mais le fait-il avant tout par sens de la justice, ou à cause de ses pulsions meurtrières ? Est-il un monstre ou un justicier ? Peut-il se débarrasser de ces pulsions, ou font-elles parties de lui inexorablement ? Peut-il changer et devenir « normal » ? Autant de questions qui vont tirailler cet antihéros.
De par sa nature unique, Dexter a des relations très spéciales avec les autres, que ce soit d’amour, d’amitié, ou de rapport professeur à élève. Il noue des relations encore plus particulières avec d’autres tueurs comme lui. Ainsi, à plusieurs reprises, il apprend de ses victimes, comment mieux cacher ses activités secrètes, comment faire marcher un couple ou comment accepter son côté sombre. Des relations que vient compliquer la nécessité, souvent, d’éliminer ces personnes.
Si rapidement Dexter prouve qu’il n’est pas totalement dépourvu d’émotions, il les éprouve à sa façon. C’est donc à sa façon qu’il va gérer l’affection et l’attirance, les remords, le deuil, la vengeance, la rédemption ou encore la foi. Pour mener ces activités et ne pas se faire prendre, il doit sans cesse mentir et manipuler ses proches, malgré ce qu’il éprouve pour eux. Il leur nuit donc malgré lui.
Chaque saison voit à l’œuvre un tueur particulier, le ice truk killer, le doomsday killer ou bien l’inoubliable Trinity. Dexter est une série avec beaucoup de suspens, qui a offert des cliffangers inoubliables (saison 4 et 6) ! Il est coutume d’entendre que la qualité a baissée depuis la fin (traumatisante) de la saison 4. Sans affirmer que ce n’est plus ce que c’était, j’avoue que depuis il y a eu une certaine baisse de rythme, quelques erreurs scénaristiques et des invraisemblances dans la façon dont les événements se produisent, surtout dans les saisons 6. La 7 rehausse le niveau, grâce à la nouvelle relation entre Dexter et sa sœur, Debra. Mais c’est aussi grâce à une structure modifiée où la plupart des épisodes partent dans une direction inattendue, des personnages ayant un traitement différent de celui auquel on pouvait s’attendre. On peut donc mettre à leurs crédits ces saisons pour avoir changé du style « tueur de la saison qui m’est proche mais que je dois descendre ». Hélas, la 8° et dernière saison renoue avec des problèmes de rythme. On comprend rapidement que Dexter n’aura plus à se soucier que la police soit après lui, ce danger ayant été définitivement résolu. On aurait pu penser qu’il allait devenir plus ambigu après avoir rompu le code, mais la série a malheureusement décidé de ne pas continuer dans cette voie. Passé la réconciliation entre le frère et la sœur que le dernier événement avait provoquée, il était clair que le tueur de la saison n’était là que pour meubler l’intrigue. Autre élément de remplissage regrettable, Quinn, que les scénaristes ne savent de toute évidence plus comment utiliser depuis un moment. Les derniers épisodes se suivaient donc sans grand intérêt, donnant parfois l’impression de suivre une série de soap opera, en attendant le final qui allait clore une série marquante qui aura duré 8 ans. Je me demande comment les scénaristes ont pu à ce point baisser en qualité. Ce n’était pas la faute de l’histoire, il y avait encore matière à raconter et bien mieux que ce qui a été fait. Comment ont-ils pu se retrouver à court d’idées alors qu’ils étaient censés avoir planifié à l’avance les deux dernières saisons ? Face à l’excellence de Breaking Bad qui s’achève en parallèle, la différence est frappante.
Vu la qualité décevante des derniers épisodes, je craignais un final bâclé. Heureusement le résultat a été supérieur à mes attentes, avec son lot d’émotions, une issue inattendue, mais pas exempt de défauts et de mauvaises idées. Pas un mauvais dénouement, mais pas le final exceptionnel qu’une telle série aurait mérité.
RESUME DE L’HISTOIRE (contient quelques SPOLIERS. Inévitablement long, conclusion à la fin)
Au départ, tout n’est qu’une couverture. Il sort avec Rita uniquement pour soigner les apparences et avoir l’air d’une personne tout à fait normale. Brisée, elle convient parfaitement, lui permettant d’avoir une relation de façade sans engagement intime. Tout dans son attitude a pour but que personne n’aurait l’idée de le soupçonner, comme son rôle de gentil collègue de bureau qui apporte les beignets. Mais les choses vont évoluer.
Son rapport au code va être modifié. Il accepte qu’une personne puisse être à la fois bonne et mauvaise, et se convainc du rôle bénéfique qu’il joue. Reprenant un super héros de comics, il nomme les pulsions qui le poussent à tuer le dark passenger. Lorsqu’il apprend que son père s’était suicidé, incapable d’assumer ce qu’était devenu son fils adoptif, il choisit de faire sien le code, de gérer sa vie comme il l’entend, quitte à transgresser certaines règles de sécurité. Entre temps Rita est devenue plus forte et il commence à s’engager avec elle. Au fil du temps apparaît un attachement imprévu envers elle et ses enfants, un attachement qui va de plus en plus loin : un enfant puis un mariage. Mais s’il accepte dans un premier temps cette évolution, c’est aussi pour mieux donner forme à sa couverture. Il finit par penser qu’il peut mener une vie tout à fait normale tout en continuant sa double vie. Mais il n’arrive plus à gérer tous les rôles qu’il joue, et réalise qu’il n’est pas possible de les garder séparé. Tragédie du sort, alors qu’il rêvait de cesser de tuer pour s’occuper de sa famille, voilà que tous ses espoirs s’effondrent brutalement à cause de sa double vie.
Il choisit de rester à Miami pour s’occuper de son fils et ses proches. Il gère à sa façon le deuil, en aidant une victime à accomplir sa vengeance. Mais pas facile d’élever un enfant quand on sort tuer des gens la nuit. Comment s’assurer qu’il ne développe pas les mêmes pulsions que lui ? Surtout après avoir subi le même traumatisme, nageant tout petit dans le sang de sa mère ? Que peut-il lui apporter de bien, comment ne pas le contaminer ?
Debra, sa sœur, a elle aussi sa part d’évolution. Débutant comme agent aux mœurs, elle obtient de plus en plus de responsabilités jusqu’à devenir chef d’équipe. Elle comprend que tout n’est pas noir ou blanc dans le monde. Un constat mis à rude épreuve lorsqu’elle découvre le terrible secret de son frère qu’elle idolâtrait, qu’elle voit enfin sous sa vraie nature. Son adoration pour lui se heurte alors à son intégrité policière. Debra et Dexter sont très proches, et ils ont toujours pu compter l’un sur l’autre. Ne pouvant ni le dénoncer ni l’empêcher d’agir, le chemin sera long pour qu’elle accepte ses activités. Et l’arrivée d’Hannah, tueuse au charme mortelle dont est tombé amoureux Dexter, n’arrange rien…
Contrairement à ses compagnes précédentes, Hannah l’accepte tel qu’il est, ses deux côtés, la parfaite femme pour lui. Elle relance l’espoir de vivre heureux, telle une famille. Face à elle, Dexter perd son habituel calme rationnel. Il prouve définitivement qu’il peut éprouver des sentiments véritables, mais des obligations l’empêchent de tirer une croix sur ses anciennes activités. De nouveau écartelé entre les deux aspects de sa personnalité, il va tenter de gérer les deux avec encore une fois des conséquences tragiques pour les personnes qui lui sont chères. Des conséquences de trop pour ce tueur en série pas comme les autres qui finit par renoncer à vivre heureux pour protéger les dernières personnes qu’il aime, persuadé qu’il ne peut leur apporter que de la souffrance. Après avoir prononcé des adieux déchirants, il lance son bateau vers la tempête qui fait rage. Une scène émouvante. Mais alors que tout le monde le croit mort, il a en réalité commencé une nouvelle vie. Mais il n’a plus personne pour l’aider à contenir ses pulsions, la toute dernière image le montrant le regard sombre. (Je trouve quand même le final un peu mal amené. J’aurais préféré que l’épisode se termine sur la scène de la tempête plutôt que cette fin un peu brutale…)
En créant un antihéros froid et attachant à la fois, Dexter bouleverse les codes du Bien et du Mal, et dérange notre conception de la justice, porté par l’épaule d’un acteur talentueux qui incarne à merveille ce personnage trouble. Sans cesse écartelé entre ses pulsions et un désir de normalité inaccessible, il suivra un long cheminement pour devenir plus humain, et n’aura de cesse de poursuivre une quête de bonheur perturbée par les conséquences tragiques de ces sombres agissements.
Malgré une dernière saison décevante et une deuxième partie globalement inférieure, l’excellence des débuts justifie à lui seul sa place au panthéon des séries (loin derrière breaking bad toutefois). Car quoiqu’on puisse penser des dernières saisons, Dexter aura marqué les esprits.