Gun frontier est un manga plus ancien que le manga Albator. Leiji Matsumoto qui avait déjà de la bouteille à l'époque s'est intéressé au western avant de s'intéresser au space opéra. Mais on a déjà en place cette errance solitaire du héros fidèle en amitié. Les passerelles sont évidentes entre les deux univers. Le personnage du nom d'Albator n'est pas Albator lui-même, mais son ancêtre, à moins que... Normalement, on a un récit ici de début de vingtième siècle avec la fin du western, mais aussi la mitrailleuse gatling, le train, et surtout du vingtième même une voiture et un dirigeable. Donc, ça doit être un ancêtre d'Albator du film de science-fiction, mais il y a une possibilité que le personnage ait été réinvesti par saut dans le temps car avant le far west cet Albator a éré pirate américain le long des côtes du Japon et des indices de l'épisode final de la série laissent penser que l'histoire va passer à la science-fiction. Néanmoins, le caractère d'Albator est différent, impossible de reconnaître là la psychologie du Albator de space opera.
Leiji Matsumoto s'inspire, et c'est normal dans les années 1960 (toute fin des sixties), de la déferlante de westerns américains sur les écrans et même de l'évolution récente à cette époque vers des westerns où les héros sont plus sombres, plus ambigus, plus paumés, avec le développement du western spaghetti ou avec la progressive évolution vers des films plus durs comme La Horde sauvage. En effet, pendant longtemps, les westerns avaient une morale bon teint pour toute la famille, là on s'inscrit dans l'évolution des codes du cinéma de western américain. Et force est de constater que Leiji Matsumoto fait ça divinement bien et nage dans son élément comme un poisson dans l'eau.
Donc, un Albator peut-être ancêtre de celui qu'on connaît vit dans l'ouest américain en compagnie d'un japonais au physique ingrat qui est son meilleur ami. Les deux personnages ont une très forte intégrité et l'héroïne qui les rejoint Simounora souligne l'idée en insistant sur le fait qu'ils mettent leur honneur à se dépouiller d'une récompense pour se faire pardonner sans se soucier de se retrouver sans rien pour subvenir à leurs besoins. Ceci dit, la morale est moins ferme que dans le cas du space opera. Par exemple, Albator senior tue un homme par erreur, on a juste droit à "Oh ! je vous demande pardon !" Il ne cache pas son meurtre, ni ne cherche à fuir la sanction, mais il en parle avec détachement comme s'il s'était fait une tache sur la chemise.
Le compagnon d'Albator senior s'appelle Toshiro, sans doute allusion à l'acteur fétiche d'Akira Kurosawa pour faire le pont entre les westerns et les films de samouraïs, il suffit de songer à l'adaptation des Sept samouraïs en "Sept mercenaires, de Yojimbo en Pour une poignée de dollars. Ce compagnon est un survivant du village Samourai creek dont les habitants ont été massacrés. Il s'agit d'un village de japonais immigrés aux Etats-Unis, et il faut rappeler, car la série joue sur cet arrière-plan, que le Japon s'était fermé sur lui-même tout au long de l'ère d'Edo, de 1634 à 1853 en gros. L'ouverture du Japon, forcée par les américains à des fins commerciales, était toute récente à l'époque du western, seconde moitié du dix-neuvième siècle et ici début du vingtième. On voit donc des américains rejeter les japonais en tant qu'étrangers différents physiquement, mais on a aussi un discours de fermeture et de repli sur leur communauté de plusieurs japonais présents dans le film. Si on connaît l'Histoire, ce thème-là nous surprendra moins. Le film joue sur la légende du katana, à mon avis très contestable (au nom de quelle loi loufoque les katanas seraient supérieurs aux meilleures épées ? Les mangas ont un peu trop tendance à mythifier les katanas et les ramens, moi je ne crois pas au mythe du katana, le fer japonais n'est pas de bonne qualité et les techniques de conception ont leurs particularités mais avec des avantages et des inconvénients, et je ne vois pas la cuisine japonaise comme plus impressionnante que la cuisine thaï, mais bon... C'est sympa un mythe du katana pour une fiction à la japonaise, ce qui me dérange un peu plus c'est que ça fait discours religieux qu'on répète jusqu'à ce que tout le monde y croie.). En tout cas, Toshiro ne sait pas se servir d'une arme à feu, mais est brillant dans le maniement du katana. Toshiro est à la recherche d'informations sur les siens, il cherche à les retrouver, mais alors qu'il approche à plusieurs reprises de progrès décisifs dans sa quête la mort et la malchance l'obligent à repartir à zéro. Simounora est une grande femme blonde très belle, silhouette élancée et fine avec des seins et des fesses prononcés (j'ai lu une critique qui trouvait les femmes nues maigrichonnes chez Leiji Matsumoto, je n'ai pas dû voir la même série), des cheveux longs qui descendent quasi jusqu'aux chevilles, et de longs cils noirs bien étoffés (meilleurs que les trop épais dans le manga Les Héros de la galaxie). Elle accompagne nos héros en partie sur un malentendu. C'est en réalité un personnage ambigu et Albator senior va nettement s'en rendre compte. Comment va-t-elle évoluer ? Elle semble devoir devenir quelqu'un de bien...
A l'évidence, cette quête erratique a inspiré Samourai Champloo, le mot Samourai Champloo est peut-être né de l'expression tou de même originale Samourai Creek et le parcours de ronnin et de déclassé s'inspire de l'errance de Toshiro, samourai, dans un monde d'armes à feu qui n'est pas le sien. Dans Samourai Champloo, deux hommes accompagnent une fille qui cherche à retrouver son père et ses origines. Dans Gun frontier, il y a toujours une équipe de deux hommes et d'une femme, mais c'est la quête des siens par l'un des deux hommes que nous suivons. Et Toshiro est même plus le héros qu'Albator, y compris pour les scènes d'action.
La nonchalance des personnages de Samourai Champloo se retrouve dans ceux de Gun frontier. Chaque épisode raconte une petite histoire distincte dans l’œuvre de Leiji Matsumoto, l'animé comptant treize épisodes, et l'action est présente, mais est rapidement estompée, reléguée au second plan, pour nous faire jouir des dialogues, des introspections, des réactions délirantes des personnages. On a tout le second degré du personnage en danger de mort qui ne tire pas dans un duel, parce qu'il n'a pas reçu l'autorisation de tirer de son collègue. Albator et Toshiro sont souvent impuissants résignés à mourir, et ils sont sauvés par d'autres voies. Nous n'avons pas le continuel ressort de ressources insoupçonnées des héros. C'est intéressant de voir des héros qui se savent mortels et impuissants dans certaines situations.
Je ne les ai pas notées, tant mieux ça évite de spoiler, mais la série Gun frontier offre un défilé quasi ininterrompu de bonnes phrases, de bons mots, de propos désinvoltes qui font sourire. Il y a des audaces provocatrices, à moins que le spectateur trop passif ne tique pas, par exemple quand suite à l'enlèvement de Simounora nue Albator senior dit que si elle est une femme intelligente elle ne se laissera pas mourir. Toshiro rajoute une repartie qui fait que d'ailleurs il n'y a même rien à expliquer de plus sur le côté sulfureux de cette phrase. Mais, comme dans Albator on a plein de belles phrases sur la vie, de belles petites sentences, de belles petites réflexions, etc. Leiji Matsumoto, c'est à la fois visuel et littéraire. Les génériques de fin et d'ouverture ne sont pas trop mon truc, si ce n'est que le refrain du générique d'ouverture s'inspire d'une chanson sixties qui m'échappe. En revanche, il y a des musiques westerns excellentes au sein des épisodes.
Le premier épisode est un cas d'école, un magnifique bijou. On voit une action absurde qui s'enchaîne et ça dure une bonne partie de l'épisode. Il y a une cohérence, mais une cohérence sur le fil du rasoir et elle s'impose avec force pourtant, vu qu'il est question d'admirer le caractère non commun des deux héros. Ce n'est pas deux héros qui débarquent, ce n'est pas il y a un problème et il y a de l'action pour résoudre le problème, c'est un truc à rebondissements complètement farfelu, mais un farfelu qui crée l'atmosphère et nous en dit long sur les personnages.
Après, étant gosse, je n'avais même pas six ans, quand je découvrais la série Albator 78 avec les sylvidres qui se faisaient abattre et disparaissaient comme de la cendre. Cela m'impressionnait à l'époque, mais du coup Albator demeurait une œuvre assez peu marquée par l'érotisme. Ici, grosse surprise, il y a des scènes de viol, évidemment pas montrées, pas mal de tentatives de viol avec nudité, plusieurs tentatives de séduction et pas seulement par Simounora, des scènes de tentation, de bain, des scènes d'amour au lit, etc. Le traitement est résolument habile et soft, cela ne tourne en rien au fan service. Les images érotiques sont un minimum travaillées pour ne pas l'être complètement, on reste complètement dans l'histoire avec ses motifs érotiques importants, sans basculer dans l'érotisme torride à l'écran. C'est vraiment bien fait, et pourtant l'érotisme est cru. Ce qui est raconté est choquant en soi.
Dans chaque épisode, un nouveau village est visité en gros et on a droit à une satire sociale mais à partir d'un développement exagéré, un peu absurde. On a une ville de la plus haute moralité qui prend leurs chevaux aux habitants à leur arrivée pour ne pas qu'il y ait de crottin dans la ville, mais la police sur les gens de passage ne s'arrête pas là, ailleurs on a des arrestations mensongères faites par le maire que tous les administrés appuient pour des raisons bêtement financières, on a des interdictions de boire de l'alcool sous peine de mort et on a même une ville avec la liberté de tout faire où un citoyen en profite pour faire ses besoins au milieu de la rue, épisode où il faut d'ailleurs regarder les petits détails à l'image qui passent très vite.
Pour l'animation, elle applique les règles du "cheap" à la japonaise, on l'admire dans les limites étroites qu'elle se donne et parce qu'elle nous rend la saveur en partie d'un manga de Matsumoto, ce qui ne se limite pas à une galerie de bonnes bouilles. On a des passages esthétiques bien sûr par-ci, par-là. La colorisation est peut-être un peu trop vive, un peu trop lisse.
Après, j'aime bien, j'ai mis huit étoiles, mais j'aurais pu mettre dix étoiles, car c'est un vrai petit régal.
La fin n'en est pas vraiment une, c'est la fin d'un cycle, mais on est dans le clifhanger qui invite à attendre la suite ou à lire le manga.