Summum du mauvais goût et de la vulgarité, "Mariés, deux enfants" est une série unique en son genre qui fait la part belle à une famille de losers tout ce qu'il y a de plus détestable.
Les parents sont totalement indignes: le père Al (qui est finalement le plus à plaindre) est un péquenaud mou du bulbe, blasé par un taf merdique et mal payé qu'il n'assume pas. Peggy, sa femme, est une glandeuse vénale et nymphomane qui n'attend le retour de son mari que pour lui faire les poches et éventuellement le coincer dans la chambre à coucher.
Leur vie est nulle, leur maison est moche, ils passent leur temps à se plaindre, à envier et dénigrer les autres et considèrent leurs rejetons comme des parfaits abrutis. A juste titre puisque les glands ne tombent jamais très loin du chêne!
Ainsi Kelly, l'ainée, est une blonde peroxydée aux mœurs très légères et à l'intelligence régressive, tandis que Bud est un ado en proie à la puberté, voué à la loose comme tous les mâles Bundy et incapable de serrer une nana, ce qui lui vaut d'être la risée de sa sœur et même de ses bienveillants parents.
Car outre le cynisme et l'humour gras, la méchanceté est l'une des caractéristiques de cette série, certains épisodes feraient aujourd'hui hurler les associations de protection de l'enfance qui trouveraient parfaitement immoral de montrer des gosses affamés autour d'une table, obligés de voler ou de faire les poubelles car leur mère a pompé les économies de son mari pour refaire sa garde robe. Sans compter les vannes violemment poilantes à l'encontre de la gente féminine et des obèses dont ce bon vieux Al a le secret.
"Mariés, deux enfants" offre une vision totalement désacralisée de la famille. Chez les Bundy, chacun se la joue perso et tous les coups sont permis, on vole, on triche, on ment et on se moque volontiers du malheur de l'autre pour mieux se rassurer de sa propre médiocrité.
Ces gens sont les archétypes des ce que tout le monde déteste, ils sont négligés et malhonnêtes, méprisants et égoïstes, vicieux et antipathiques, opportunistes et malveillants, ils sont n'ont aucune éducation et encore moins de culture, ils polluent, ils salissent, ils consomment à tort et à travers... Jamais on n'aura vu une panoplie de beaufs aussi parfaits!
Et pourtant ce sont bien ces défauts qui rendent les personnages si intéressants et attachants. Ils sont des anti-héros du quotidien, des outsiders qui passent systématiquement à côté de la chance et qui prennent un malin plaisir à persécuter leur prochain pour se distraire à moindre frais.
Leur victime favorite est leur voisine Marcy, petite bourgeoise autoritaire et féministe qui se fait régulièrement laver le cerveau par Peggy et ses discours peu élogieux sur la gent masculine, et subit à peu près quotidiennement les remarques désobligeantes et sexistes d'Al sur son physique pas très avantageux.
Les trois premières saisons sont particulièrement drôles et traitent de manière assez crue de sujets comme la pauvreté, l'exclusion, la malchance mais aussi et souvent de sexualité. Il est régulièrement question des désirs non satisfaits de Peggy, des fantasmes d'Al, des nombreuses conquêtes d'un soir de Kelly et de la misère sexuelle de Bud, qui fait de lui le loser des losers.
Hélas, par la suite, le ton pince sans rire et irrévérencieux de la série sera progressivement délaissé au profit de la loufoquerie pure et dure, à la limite du cartoon. La méchanceté devient simple bêtise, l'humour noir devient blague potache, l'amertume devient acidulée, ça devient plus conformiste, plus acceptable pour un large public même si quelques épisodes parviennent à sortir du lot.
Malgré ce virage à mi-parcours, je garde en tête les nombreux fou rires que j'ai essuyé au cours des trois premières saisons et surtout l'excellence de l'ensemble des acteurs qui font le show devant un véritable public (pas de rires pré-enregistrés donc) et incarnent littéralement leurs personnages.
Si Al reste la figure emblématique de la série (un beauf affalé sur son canapé, la mine déconfite, une main glissée dans le fute, l'autre tenant une bière) les personnages de Peggy (K. Seagal) et de Marcy (A. Bearse) sont tout aussi mémorables. En particulier la seconde qui m'a souvent fait hurler de rire avec son jeu à la fois très théâtral et extrêmement sincère, et son sens de la répartie de plus en plus affûté au fur et à mesure des épisodes qui rend les échanges entre Marcy et Al franchement jubilatoires.
Pour récapituler "M2E" (puisque l’acronyme est à la mode) c'est sale, trash et méchamment drôle, du moins à ses débuts. Le souci c'est que comme beau nombre de séries de cette époque, ça a plutôt mal vieilli et beaucoup de potentiels spectateurs pourraient être rebutés par l'aspect des décors et des looks, ce qu'on ne saurait leur reprocher.
De même l'humour est très particulier, grinçant, corrosif, on rit souvent jaune et on est même parfois mal à l'aise, pour ma part c'est précisément ce côté sulfureux qui m'a fait accrocher à la série malgré son apparence obsolète. A l'époque les auteurs s'étaient frottés à la censure à cause de quelques scènes jugées trop "olé olé", aujourd'hui j'imagine que les épisodes seraient tous estampillés -16 ans rien qu'à cause du contenu des dialogues...
Une série culte, sans doute! Mais une série d'un autre temps, très certainement.