L’indiscutable réussite de son Sherlock – que l’on a le droit de considérer comme l’une des toutes meilleures adaptations de Conan Doyle – a placé Steven Moffat au pinacle des auteurs de séries modernes. Le voilà donc engagé par HBO pour développer une autre série TV « high concept », qui réussisse à mélanger les genres, ici la science-fiction et la comédie romantique, avec un soupçon de drame quand même.

The Time Traveler’s Wife, c’est l’histoire d’amour de Clare et de Henry, sur toute une vie, qui parcourt de manière « classique » toutes les étapes d’une vie de couple, mais avec un twist : cette histoire ne se déroulera pas de manière chronologique, ni pour les téléspectateurs (ce qui ne présente aucune originalité, on est bien d’accord), ni pour les personnages (ce qui est plus surprenant). Car Henry voyage dans le temps, ce qui en l’occurrence, puisqu’il ne contrôle pas ses allers-retours impromptus dans son passé et dans son avenir, est plus une malédiction qu’un super-pouvoir. Outre le fait qu’il apparaît nu – ses vêtements ne voyagent pas avec lui, bien entendu – ce qui crée des situations amusantes ou dramatiques, il revisite régulièrement des moments-clés de son existence (comme l’accident de voiture qui coûtera sa vie à sa mère), moments dont il peut être à la fois acteur et spectateur. D’après Moffat, il n’y a qu’une version possible de la réalité, donc Henry ne peut a priori pas influencer le futur, ce qu’il fait pourtant systématiquement (… mais le fait qu’il l’influence est de toute manière déjà programmé, d’après Moffat!).

On réalise très vite que la force de la série vient du soin apporté par Moffat à la logique interne de son scénario, à la cohérence d’une histoire de Science-Fiction exploitant les inusables paradoxes temporels avec un sérieux finalement assez rare : on se régale littéralement devant des twists absurdes et des mindfucks originaux, et réellement rafraîchissants par rapport au tout-venant de la SF hollywoodienne.

A l’inverse, on peut tiquer sur de nombreux aspects psychologiques peu convaincants de l’histoire : le peu d’impact apparent de la situation horrifique que vit Clare lors de sa première « date », la construction improbable de l’amitié entre Henry et Gomez, les effets dévastateurs – dans un dernier épisode de la saison peu convaincant – de la « stérilité » du couple, toutes ces maladresses prouvent que Moffat est plus à l’aise avec des concepts et des jeux de l’esprit qu’avec la vérité humaine de ses personnages. Du coup, et en dépit d’une narration maladroite, ou tout au moins dont la structure nous échappe, puisque chaque épisode semble traiter un sujet différent, on croit surtout aux personnages de Clare et de Henry grâce aux deux acteurs, Rose Leslie (qu’on avait découverte dans Game of Thrones) et le beau gosse Theo James (Divergent) : comme dans toute comédie romantique réussie, ce sont avant tout la grâce et l’alchimie existant entre les interprètes qui embarquent le spectateur.

Il est amusant que certaines voix se soient élevées, en particulier aux USA, pour critiquer le fait que le film montre fondamentalement un adulte « programmant » une petite fille dès son enfance pour qu’elle l’aime et devienne son épouse. C’est un argument recevable, mais on peut à l’inverse souligner que l’un des grands intérêts de The Time Traveler’s Wife est que la femme a le choix entre plusieurs versions de l’homme qu’elle aime, du jeune homme immature mais « bon coup » au lit à l’adulte mûr avec lequel une complicité profonde peut s’établir : face à un homme qui n’a aucun contrôle sur son existence, elle est la maîtresse de son destin, et du coup, de celui de son couple.

Comme plusieurs faits importants n’ont pas de conclusion à la fin des 6 épisodes, on peut imaginer que la série aura une seconde saison. Ce n’est probablement pas une très bonne idée, il eut été plus raisonnable d’en rester là et de ne pas courir le risque de complexifier encore plus une histoire déjà très « riche », au risque de perdre le téléspectateur et de détruite la crédibilité que la série a construite.

[Critique écrite en 2022]

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EricDebarnot
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le 17 sept. 2022

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Eric BBYoda

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