Les meilleures BD de 2019 selon Marius Jouanny

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J'espère avoir l'occasion un jour de m'étendre franchement sur le travail fabuleux de Raphaël Meyssan avec cette trilogie racontant la Commune de Paris avec des gravures de journaux d'époque, il y aurait énormément à dire. J'ajouterais simplement que si l'on prend la distinction de Simone Weil entre connaissance et vérité, cette approche historiographique de la Commune s'approche plus de la vérité que de la connaissance : en mêlant des témoignages émouvants de communards méconnus avec son propre regard contemporain, Meyssan propose quelque chose de définitif. J'ai très hâte de lire le dernier tome.

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Raphaël Meyssan conclue sa micro-histoire de la Commune de Paris sur une longue note déchirante, la Semaine Sanglante sur laquelle s'est fondée notre chère monarchie présidentielle. Le travail réalisé avec les gravures est toujours aussi captivant, consacrant le potentiel inventif du traitement de l'Histoire en bande dessinée. Certainement la trilogie la plus remarquable de ces dernières années dans le paysage de la bande dessinée française.

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Voilà une sacrée claque. Jérôme Bouquet aborde la préhistoire par l’anthropomorphisme avec une inventivité très stimulante. Les expérimentations formelles par les onomatopées sont audacieuses et pleinement intégrées à la narration. Surtout, la manière dont il narre les histoires collectives des différents clans passionne, entre croyances et jeu de pouvoir.

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Interview de Christophe Dabitch pour le numéro 126 (juin 2019) de la revue Casemate.

Dans le paysage du biopic BD celui-ci, qui relate la vie mystérieuse d'Eugénie Guillou nonne devenue prostituée sado-maso dans le Paris du début du siècle dernier, est véritablement atypique. Composant avec des sources morcelées et contradictoires, le scénariste établi un dialogue direct entre lui et cette femme aux aspirations complexes et touchantes, allant jusqu'à ponctuer l'album de pages de texte sans dessin. D'autre part, le dessinateur parsème l'album d'expérimentation graphique au croisement de l'illustration et de la peinture. Mais cette émancipation des conventions narratives n'est pas une simple esbroufe, tant elle sert une réflexion passionnante sur le travail de biographe et permet d'autre part d'exprimer des émotions très fortes, rendant Eugénie on ne peut plus empathique avec le lecteur. Par ces deux ambitions radicalement différentes, les deux auteurs donnent vie à leur projet et parviennent tout simplement à moderniser le biopic BD en l'évidant de tout ce qu'il peut avoir d'artificiel, un peu à la manière de la série "Les Damnés de la Commune".

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Réflexion passionnante sur le rapport de l'homme à la nature. Dessins somptueux. J'avais peur que l'album pêche par trop d'ambition, mais finalement confirme le talent de Moreau.

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Certes, la narration est classique. Mais prendre autant de soin à poser un univers historique avec force de détails visuels, et à poser des personnages qui révèlent peu à peu leur potentiel romanesque, c'est assez hors du commun. Peut-être une des œuvres d'art les plus importantes sur La Révolution française (il faut attendre la fin de la trilogie pour se fixer). En attendant, les deux auteurs investissent l'histoire avec une énergie politique communicative, de celle qui renverse les digues et prend les bastilles.

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Interview de Max de Radiguès (dossier western) pour le numéro 10 des Cahiers de la BD (janvier à mars 2020).

Cette adaptation d'un bouquin des années 50 propose une mise en scène folle de contemplation et de mélancolie. La première scène de cinq pages représente littéralement le personnage principal se faisant cuire un steak au milieu du désert, rien de plus. Sur le papier ça a l'air casse-gueule, mais c'est en réalité délectable et très prenant, car le souci du détail, de brosser les personnages par des non-dits et de longues scènes muettes fait complètement mouche. Au point qu'on en viendrait presque à regretter que la scène d'action finale prenne autant de place, là où l'ode à la marginalité et la vie en pleine nature aurait pu s'étendre encore plus longtemps.

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Cet opus de Lapinot a beau être mineur par son petit format, Trondheim y renoue avec une certaine spontanéité. En faisant avancer à tâtons ce récit muet publié à raison d'une image par jour sur Instagram, il trouve une narration rafraîchissante, plus contemplative et portée sur l'illustration d'un univers post-apocalyptique qui est peut-être une de ses plus grandes réussites sur le plan purement graphique. Il retombe malgré cela dans certains automatismes : le naturel revient au galop dans une dernière partie plus classique et habituelle pour l'auteur. Mais le voyage aura valu la peine, tant il est toujours plaisant de se replonger dans la mécanique ludique de ses récits.

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Interviews de Serge Le Tendre et Stéphane Servain pour le numéro 125 (mai 2019) de la revue Casemate.

Malgré seize ans d'écart entre la sortie du tome 2 et du tome 3, L'Histoire de Siloë s'appréhende vraiment comme une trilogie, qui construit un univers de science-fiction ambitieux et spécule de manière fascinante sur les possibilités de distorsion de l'espace-temps. Mais au-delà du contexte politique et social inventé par le scénariste et des décors impressionnant inventé par le dessinateur, le récit est avant tout intimiste. L'histoire de l'amour réciproque d'un père et sa fille. Et, malgré que j'ai lu les deux premiers tomes sur des pdf un peu pourris, il faut bien avouer que cet aspect-là m'a ému, et rend la lecture d'une seule traite des trois tomes assez passionnante.

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Cet épais pavé laisse l'impression que Tillie Walden s'est un peu laissée dépasser par ses ambitions narratives et esthétiques. L'univers de science-fiction qu'elle développe a pour première vertu de dépayser, ce qui est déjà un tour de force tellement on est abreuvé de récits du genre. Elle invente en fin de compte des mondes visuels entiers, à l'architecture chaotique et aux couleurs bariolés toujours dans la perspective d'y projeter des états émotionnels. Cela fonctionne très bien la plupart du temps, mais la profusion de personnages et de décors a tendance à diluer l'impact de chaque scène, ce qui est assez frustrant. La relation entre les deux personnages principaux reste le fil rouge du récit et l'autrice s'y tient, c'est le principal. Reste que, en ménageant ses effets et ses idées plutôt que de les déballer comme un gamin devant ses 35 cadeaux de Noël, Tillie Walden aurait certainement accompli une oeuvre définitive et retentissante.

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In Waves n'est pas le chef-d'oeuvre absolu comme beaucoup l'ont affirmé à sa sortie. L'épure graphique amène il est vrai à quelques grands moments d'émotion, en particulier dans la dernière partie du récit. Seulement, je m'attendais à un traitement visuel plus atypique : évidemment, quand un album fait autant parler de lui, difficile de l'aborder avec un regard neutre.

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Ce biopic sur un peintre canadien que je ne connaissais pas est vraiment exceptionnel. Là où Sandrine Revel aurait pu se contenter d'un récit très illustratif tant elle maîtrise bien les décors et le registre contemplatif, elle propose plutôt un récit éclaté, où le peintre en question est toujours vu d'un point de vue extérieur. Elle parvient donc à entretenir un mystère enivrant, d'autant que les circonstances de sa mort prématurée sont pour le moins troublantes.

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Un Alfred doux, sensuel, enivrant. On se promène dans ce jardin italien comme dans un rêve. Reste que les personnages manque d'une certaine consistance.

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Moa Romanova décrit sa dépression avec une précision et un sens de l'introspection remarquables. A cause d'un tel partis-pris, certains passages tirent certes un peu trop en longueur et globalement le récit s'éparpille beaucoup là où je pensais qu'il se concentrerai sur la relation entre l'autrice et son étrange mécène. Mais ce sont finalement les choix graphiques surprenants, sur le plan de la couleur ou de la proportion des corps des personnages, qui font la force du récit. Le traitement des décors notamment, qui ramènent toujours à l'état psychologique du personnage, est très inventif. Le passage imitant le style manga l'est clairement moins. Mais l'autrice a le mérite de chercher un vocabulaire propre, au croisement de la chronique punk et de l'onirisme désespéré.

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Tronchet est irrésistible en père paumé. De grands moments d'autodérision.

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Rochepeau et Azuelos nous plonge dans le quotidien de la ZAD en prenant le parti de la docu-fiction, ce qui revête multiple avantages, à commencer par une mise en scène très bien rythmée, une mise en image très poétique et des personnages attachants. Cette matrice très efficace permet donc de comprendre ce qu'on vécu et ce que vivent encore les zadistes dans leur combat pour une utopie autogestionnaire. Peut-être que la profusion de personnages vient quelque peu gripper la mécanique du récit (on ne comprend pas toujours bien les différentes relations) mais l'objectif principal, qui est de rendre hommage à cette lutte tout en en rendant compte avec un regard de documentariste est atteint avec une grande maîtrise.

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Interview de Jérôme Félix (dossier western) pour le numéro 10 des Cahiers de la BD (janvier à mars 2020).

Je m'attendais vraiment à pas grand-chose tant cette BD avait l'air de surfer sur la nouvelle mode du western en BD sans avoir grand-chose à dire. Erreur sur toute la ligne : le projet a été pensé avant ce renouveau du western en BD, et il révèle une belle profondeur au fil des pages. Non pas qu'il dise quelque chose de foncièrement nouveau sur la marche forcé du progrès capitaliste, en l'occurrence l'arrivée du chemin de fer à travers les Etats-Unis. Mais il traite ses thématiques intelligemment, et surtout il propose des dilemmes moraux et une descente aux enfers pour le moins haletante sur le plan narratif. Ajoutez à cela des planches foutrement chiadée, et il faut bien avouer que la proposition est très solide.

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Une fois encore, la série Transperceneige arrive à renouveler ses thèmes avec un prequel qui fait intervenir des terroristes écologistes dans un monde au bord du gouffre. Certes, il manque d'un personnage principal fort, mais c'est au profit d'une vision géopololitique très crédible, alternant les scènes d'un bout à l'autre de la planète pour que la réaction en chaîne amenant l'extinction de l'humanité prenne tout son sens.

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Le blockbuster de la rentrée made in Delcourt mérite en grande partie, il faut l'avouer, son insolent succès. L'épopée très dense qu'on parcourt sur 160 pages peut se lire à différents degrés, grâce à une réflexion sur le récit qui à défaut d'être novatrice ajoute une saveur inattendue au récit. Certes, les dessins de Guardino sont pour beaucoup dans l'attrait qu'on peut avoir pour cet album. Mais sa représentation satirique des inégalités sociales, de l'esclavagisme des Africains et du génocide amérindien permet finalement un melting-pot qui se tient bien, ménageant ses retournements narratifs et ses moments d'excès pour une succession de péripéties tout en finesse.

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Cette compilation de récits courts de Derf Backderf est délectable, tant elle parvient à croquer des tranches de vies insolites et souvent hilarantes en quelques cases. Bon, cela ne va pas au-delà de l'anecdotique la plupart du temps, mais quel plaisir !

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Interview de Ralph Meyer (dossier western) pour Les Cahiers de la BD numéro 10 (janvier à mars 2020).

Ce cinquième album d'Undertaker est plutôt satisfaisant après un tome 4 en demi-teinte. En s'intéressant enfin aux amérindiens, Dorison fait du récit une quête philosophique plutôt maline et sans concession. Le seul bémol c'est que pour cet album encore plus que pour les précédents on ressent un sentiment d'inachevé tant la fin est précipité.

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Interview CBD 11

Parmi les albums de Fabcaro, celui-ci est moins drôle que les autres mais la proposition est plus risquée, plus surprenante que les autres. Il ressort de ce huis-clos un sentiment de malaise inédit. C'est très bancal mais au moins l'auteur sort de ses habitudes.

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Le cadre du récit, sous forme de BD-reportage, est peut-être un poil trop convenu, tout comme la mise en récit de certains passages de la vie du groupe Redbone. Mais lorsque l'album fait des apartés pour raconter les luttes amérindiennes au cours des dernières décennies, et pour se focaliser sur des moments de la vie des Redbone (l'enfance en épilogue, notamment) il devient bien plus pertinent et même un peu émouvant. En tout les cas, voilà un travail de reportage et de mémoire qui est essentiel tant il met en lumière avec détail un pan de l'histoire américaine marginalisé par rapport aux mouvement hippies et à Woodstock.

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Interview d'Hubert réalisée pour le numéro 129 de Casemate (octobre 2019).

Me voilà très partagé. Ce début de série est un récit initiatique dans un univers de conte tout ce qu'il y a de plus convenu, tant les trois archétypes que forment les personnages principaux ne parviennent pas à s'extirper de l'idée qu'on s'en fait dès les premières planches (à savoir l'artiste naïf exploité par son employeyr et amoureux de la fille de son employeur qui est jeune et innocente). Résultat, le récit n'a rien de très exaltant tant il est éculé, la noirceur habituelle des récits d'Hubert ne venant pas ajouter une quelconque profondeur. Mais pourtant, il tire son épingle du jeu par le développement d'un univers visuellement inclassable qui ne manque pas de charme, d'autant que la dessinatrice débutante Gaëlle Hersent est très douée. Par la seule magie du dessin, le manque de relief du scénario est en partie comblée, tant elle sublime la moindre case. Il n'y a plus qu'à espérer que les personnages gagnent en épaisseur dans les albums suivants.

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Morveuse est blindée d'expérimentations graphiques en tout genre, multipliant les effets psyché en couleur et en noir et blanc pour figurer la dépression, le mal-être et la prise de drogue. De ce point de vue c'est très réussi, on en prend plein les mirettes. Mais cela prend un peu le pas sur le déroulement du récit qui est un peu trop confus et éparpillé. On comprend pas très bien pourquoi l'autrice est tant préoccupé par l'euthanasie tant cela fait peu écho à ce qui lui arrive. Reste que le portrait que l'autrice fait de sa mère est touchant par sa sincérité sans faille.

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Un peu déçu d'un one-shot que je trouve surestimé par la critique (Grand Prix de l'ACBD 2019). Le style est très froid, j'y ai peu adhéré tout en attestant de la grande maîtrise graphique d'Ugo Bienvenu. Mais surtout, je m'attendais à plus de consistance dans la réflexion, que ce soit sur l'intelligence artificielle ou sur la consommation culturelle. De très beaux moments dans la dernière partie de l'œuvre ceci dit. N'empêche que par rapport aux ambitions qu'on entrevoit, ça fait un peu l'effet d'un soufflé qui dégonfle.