Les meilleures BD de 2020 selon Fwankifaël

Annotation :

2 février 2023

Superbe bédé, sur la forme (j'ai trouvé admirable la technique de dessin et de mise en couleur, les angles de vue et les portraits) et sur le fond. Cette biographie sélective, personnelle et référencée de la diariste et écrivaine d'avant-garde que fut Anaïs Nin - que j'ai découvert grâce à Léonie Bischoff - est l'occasion de se pencher sur le profil atypique d'une femme embrassant avec beaucoup d'humanité, de doutes et de passion sa sexualité. Les deux premiers tiers du roman graphique sont galvanisants, parce qu'ils donnent à voir une femme d'une liberté quasi-absolue, admirée autant pour ses attraits que pour son intellect et sa puissance créatrice. La dernière partie, qui marque les retrouvailles avec le père, engagent l'oeuvre dans un aspect plus glaçant, dont le vertige permet toutefois une forme de rééquilibrage du sujet. Clairement une des meilleures bd que j'ai lue ces dernières années.

Annotation :

8 septembre 2021

Une lecture excessivement absorbante, tant le sujet et sa manière intime et détachée de l'aborder sont originaux. De la construction de son identité genrée et sexuelle, rythmée par des péripéties à la fois classiques et singulières, on aurait pu faire mille autres BD. Florence Dupré La Tour convoque un savant mélange d'impudeur et de naïveté dans son propos auquel le dessin très expressif - et qui me rappelle la manière dont ma sœur et moi avons souvent dessiné nos personnages - vient apporter une ampleur dramatique très réussie.

Beaucoup de choses interpellent dans cette histoire : l'atypicité d'un contexte familial de la grande bourgeoisie catholique expatriée, la prégnance des souvenirs et des émotions de l'autrice des années plus tard, sur lesquels elle tâche de conserver le regard candide de son enfance, la violence des relations et des situations et l'humour avec lesquelles elles sont restituées... J'ai hâte de lire la suite.

Annotation :

27 avril 2022

Essorage en règle sous le crayon de Joe Sacco. Le bédéaste américain, réputé pour ses œuvres d'investigation engagées et sur le terrain, enterre avec son pavé (300 pages) "Payer la terre" l’innocence galvanisante supposée de la conquête de l'Ouest américain et la prétendue fin du colonialisme.

Cette BD est un bulldozer de démonstration, qui explore chaque pan de l'identité brisée des peuples autochtones et exhume avec détermination la responsabilité abyssale des gouvernements canadiens successifs dans l'éradication minutieuse de cultures, de modes de vie et de façons d'être au monde qui caractérisaient encore il y a quelques décennies les Premières nations. La force du récit, qui ne laisse guère de souffle au lecteur estomaqué, tient pour beaucoup à la richesse de ses témoignages mis en musique avec beaucoup de doigté. On ne sort pas tout à fait indemne de cette lecture mais au moins armé d'une juste colère et d'éléments de réponse à brandir à la face d'un monde occidental gangrené.

Annotation :

3 août 2022
7,5/10

Décidément, cette Mirion Malle est une bédéaste à suivre. Quelques semaines après le très réussi "Adieu triste amour", cette plongée dans le dépression a tout autant de quoi convaincre. Le même équilibre narratif, la même délicatesse sur ce sujet mal compris, la même sensibilité dans ce dessin pourtant grossier. Évidemment, le sujet est plus lourd, ce qui a un peu affecté ma lecture, mais j'ai apprécié comment l'autrice prend la juste mesure des choses : alors qu'elle faisait du groupe d'amies la voie de salut vers la résilience amoureuse, elle en pointe ici les limites sur des sujets où la sororité ne peut pas tout, ce qui est le cas de la maladie mentale.

Comme un symbole, le lent cheminement de l'héroïne trouve une issue heureuse par la libération de la parole. Une parole que saisit cette jeune autrice avec beaucoup de brio pour détourer des sujets laissés dans l'ombre.

Annotation :

4 février 2025

Encoure une chouette surprise, puisque je ne m'attendais pas à tomber sur une BD encore non-lue (je ne connais pas la biblio de mes auteurs...) de Derf Backderf. Je suis fasciné par l'angle de ce bédéaste qui semble déterminé à exploiter toutes les occurrences où sa petite histoire personnelle a croisé celle de son Ohio natal. Avec une approche qui relève ici comme dans "Mon ami Dahmer" plus du journalisme d'investigation que de la création, il met à nu une péripétie tragique des grandes révoltes étudiantes contre la guerre du Vietnam dans les années 1970.

C'est avec un intérêt certain que je découvre vraiment, et mesure surtout, l'ampleur et la portée de ce mouvement qui a embrassé un peu, remplacé beaucoup, le mouvement des droits civiques des Noirs américains contre l'Amérique corsetée des trente glorieuses. "Kent State" reste résolument linéaire et choisit la plus petite focale pour décrire ce phénomène, mais le récit de ces quelques jours qui ont conduit au meurtre de plusieurs étudiants non violents par l'armée américaine sur son sol dit beaucoup de la lâcheté du pouvoir, de l'état de délabrement de la pensée politique et des enseignements que l'histoire peut nous apporter sur la raison d'Etat et l'usage du mensonge en politique. C'est assez édifiant.

Annotation :

22 juillet 2020

Un conte d'une grande sensibilité et d'une certaine intelligence, mis en dessin dans un style naïf qui ne dessert en rien le propos. Certaines planches évoquent même, dans leur manière de présenter l'action... celles de "L'Âge d'or", lue juste avant. Une similarité qui s'étend d'ailleurs à l'époque du récit, au Moyen-Âge.

Mais là s'arrêtent les ressemblances. "Peau d'homme" est un plaidoyer réussi pour le dialogue entre les sexes et les genres, qui défend la porosité entre les sexualités et les postures. Cette BD aborde avec beaucoup de simplicité et d'ingéniosité le rapport au corps et à l'homosexualité dans une société patriarcale et intégriste. Seul bémol, je trouve, mais ce n'était pas vraiment le propos, l'absence de référence au plaisir féminin malgré la présence d'une héroïne.

Annotation :

26 novembre 2021

Une BD enthousiasmante qui met en image et en mots de façon didactique et motivante l'aventure jardinière de Simon Hureau. Cette ode à la biodiversité ordinaire de nos arrières-cours et nos jardins touche une corde sensible en moi, même si je reconnais que la duplication de cette expérience n'est accessible qu'à des propriétaires de jardins, dont je ne fais malheureusement pas partie - qui plus est avec une activité professionnelle qui offre beaucoup de temps chez soi, ce qui n'est malheureusement pas mon cas.

Annotation :

24 août 2021 - 7,5/10

Une très chouette BD. Cy offre déjà un écrin très personnel et réfléchi à son histoire, en s'appuyant sur un panel restreint de couleurs et un tracé au crayon gras qui donne un charme désuet très "entre deux guerres" à ce récit qui se déroule précisément à cette période-là. Son dessin marque également par sa personnalité et son pouvoir d'évocation.

Ensuite, elle nous propose une lecture intime d'un drame méconnu qui a marqué l'histoire de l'industrie et de la recherche. Ce type d'évènements est malheureusement légion, la science avançant toujours à coup d'échecs dramatiques pour les premiers à en faire les frais. Mais là où "Radium Girls" aurait pu être la chronique assez factuelle d'un scandale sanitaire, rythmée par les épisodes scientifico-judiciaires de l'affaire, l'autrice préfère aborder son sujet sous l'aspect des liens personnels entre les protagonistes, des femmes avant tout et des amies. Cette lecture complète la patte très personnelle de cette aventure douce amère, qui recèle un certain doigté dans son rythme et conserve sa force de dénonciation.

Annotation :

19 mars - 6,5/10

Rester sur une terrible déception n'est jamais le meilleur moyen d'aborder une œuvre. C'est toujours avec l'affaire "Shangri-la" (ce sublime roman graphique de Mathieu Bablet n'ayant pas tenu, loin s'en faut, sa promesse scénaristique) en travers de la gorge que j'ai ouvert "C&S".

J'y retrouve avec le même souffle raccourci et ce nœud à l'estomac caractéristique l'incroyable explosion graphique de "Shangri-la". Dessin, soin accordé aux détails, torture des corps, infinies variations chatoyantes des couleurs surtout, Bablet est un graphiste hors pair. La récit, fait du même bois que son aîné (dérive techniciste sur fond apo ou post-apo), s'affranchit dès le début du cadre qui avait condamné celui de "Shangri-la" : reposant sur une aventure ouverte, il exclut la contrainte performative de la résolution d'une intrigue fermée (et même de plusieurs intrigues imbriquées) que n'avait su apporter la précédente BD de Bablet. Ici, il appelle à la longue et féconde contemplation d'un monde qui se meurt par les yeux de deux androïdes exactement semblables et opposés.

Ces deux personnages qui guident notre épopée soulignent la vision d'une rare noirceur, mais d'une véritable poésie, de leur auteur. Ils révèlent, parfois un peu superficiellement ai-je trouvé, et souvent avec beaucoup de lourdeur, l'enjeu majeur qui réside dans notre manière de concevoir et s'approprier notre monde, entre individualisme et lutte sociale, entre réalisme et idéalisme, entre contemplation et action, entre accomplissement et dévouement. Comme pour "Shangri-La" cependant, Bablet se heurte à son ambition démesurée de récit-monde et finit par faire émerger des contresens diégétiques carrément dommages. Belle matière donc, souvent maladroite, mais dont la mise en scène par ellipses offre une belle résonance.

Annotation :

21 juin 2020

Une nouvelle année s'écoule pour Esther, qui la voit toujours grandir un peu plus, un peu mieux. Ce bout de fille continue à me donner espoir dans la génération qui vient (me voilà vieux con), malgré la trivialité de sa petite vie. La générosité, l'indignation, la conviction dont elle témoigne me surprennent à chaque fois.

Curieux de voir comment elle a vécu cette période de confinement et de pandémie si particulière...

Annotation :

14 juillet 2021 - 5,5/10

Moins ébahi par la beauté des planches de Pedrosa (question d'habitude ou mood du moment, en accord avec la météo tristoune ?), surtout peu emballé par cette deuxième partie de récit qui plafonne un peu dans son dénouement. Deux cents pages pour livrer une bataille qui n'aura pas lieu, c'est beaucoup. Déjà que j'avais perdu le fil du tome précédent...

Il manque donc à ce deuxième et dernier tome un certain souffle, une complexité du récit que le premier tome, même s'il était imparfait, embrassait avec plus de vigueur. On en termine sur un éloge de la démocratie assez classique et sans guère de relief dans un monde dont la féodalité violente et arbitraire n'avait échappé à personne. Un peu déçu, donc.

Annotation :

22 septembre 2021 - 5,5/10

Pour la première fois depuis que je le lis, Gipi s'est associé à un autre dessinateur, Luigi Critone, pour réaliser ce médiéval "Aldobrando". Le rythme assez entraînant du récit donne à voir l'étendue du talent de Critone pour le dessin mais masque mal un récit assez convenu, voire caricatural, sur le pouvoir et l'humilité. Ce "petit", candide et valeureux, qui se dresse devant l'injustice d'un pouvoir absolu n'a pas de quoi révolutionner le genre. La galerie de personnages n'est pas inintéressante, à l'exception du couple surprenant et indigent de mièvrerie formé par la brute et l'esclave. Un peu déçu donc, par cette BD d'un de mes auteurs préférés, qu'on m'avait vendue avec moult enluminures.

Annotation :

19 février 2024

Je dois désormais vieillir avec l'idée que les idoles d'aujourd'hui, stars incontestées de leur art et reconnues comme telles de leur vivant, raisonneront dans un siècle et demi au plus comme un air de déjà vu, ou entendu, ou prononcé en lisant la plaque d'une place de centre-ville. Sarah Bernhardt, dont le nom me dit, aussi longtemps que je me souvienne, "quelque-chose", illustre ce cruel paradoxe de l'histoire. Sa remise en lumière sous la plume et le crayon d'Eddy Simon et Marie Avril m'a donc de suite attiré l'oeil.

Elle a embrassé bien des combats, embrasé bien des imaginaires, côtoyé et inspiré les plus grands auteurs et penseurs de son époque, mais il est éloquent de constater que sa figure a disparu derrière la carrure de ces hommes. La BD "Divine", qui se présente comme une série d'épisodes de la vie de l'excentrique, engagée et volontaire actrice, rend compte de la richesse de son parcours et, en creux, du sexisme de l'Histoire comme discipline des sciences sociales. Qu'une femme pareille ne soit pas ou plus ou peu enseignée traduit un malaise et une perte immense.

Revenons à "Divine" : ce roman graphique m'a fait osciller entre enthousiasme et indifférence, même s'il rend compte avec finalement assez de précision de ce qu'a dû être la vie de cette formidable actrice.

Annotation :

17 avril 2023

Séduit par les prémisses de ce qui se présente comme un roman d'apprentissage dans la plus pure tradition, et notamment par le dessin chaleureux de Nuria Tamarit, je dois avouer avoir été assez sévèrement déçu par le tour que prennent les aventures de Céleste. La nature mystérieuse et l'allure exubérante de cette héroïne pouvait augurer d'une réflexion progressive sur la différence et introduire à bon compte un regard décalé sur la société médiévale que dépeint Deveney. Las, malgré les détours bienvenus vers un personnage de sorcière des plus progressistes ou vers des personnages masculins éloignés des canons du genre, les aventures prennent la forme d'une succession de péripéties sans lien réel, dont l'héroïne ne semble rien retirer. L'épilogue faussement libertaire a achevé de me décevoir.

Annotation :

26 décembre 2020

Un cinquième tome un peu décevant, parce qu'il étire volontairement la résolution de l'intrigue un brin terrifiante qu'avait amorcé le tome précédent. Je retrouve certes avec plaisir les impressions candides et les premières expériences de l'ado que fut Sattouf, mais cela n'est pas suffisant.

Annotation :

30 août 2021

Le dicton dit que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes. Celle que Lupano et Cauuet nous servent commence à sentir le réchauffé. Nos trois héros croulants peinent à renouveler leurs aventures dans un opus qui s'étire inutilement pour nous apprendre, avec beaucoup de didactisme, qu'on a beau être anar, on n'en est pas légitime à mener tous les combats. Je préférais la veine plus intime des deux-trois premiers tomes que ces aventures du bout du monde qui semblent tirer vers la carte postale des luttes, aussi déterminantes soient-elles.

Annotation :

18 septembre 2021

Pas mauvaise en soi, cette BD m'a ramenée au maigre intérêt que je porte à cette histoire de "Légende" américaine dont la seule vertu est d'avoir tué des gens à l'autre bout du Monde.

J'ai voulu laisser sa chance à l’œuvre de Nury et Brunö (au style duquel je ne suis en général pas insensible), malgré le goût amer que m'avait laissé le panégérique de Clint Eastwood ("American sniper") sur le personnage. Finalement, le ton de cette BD, étrangement distant et inutilement scrupuleux, a fini de me convaincre que... ben... j'en avais pas grand-chose à faire.