Qui pour une partie de Counter Striker ?

«Avant tout allait bien puis y'a eu comme une ouverture d'un passage vers un autre monde, Là-dessus, y'a une chiée de créatures dangereuses qui débaroullent et puis voilà que des gens apparaissent et les éradiquent puis ils construisent une enceinte pour protéger la ville de Mikado City et maintenant l'histoire commence donc faites pas chier.»

World Trigger est une histoire qui s'entame sans préliminaires. C'est sans même un bisou qu'on entame les hostilités. En deux pages de temps, voilà qu'on nous assène qu'une porte vers un autre monde s'est ouverte, que des monstres en sont sortis - rien ne bon ne sort jamais des univers parallèles de toute façon - et qu'il a fallu composer avec. Ça va vite et ça ne s'embarrasse pas de la pantomime habituelle qui vise à rejouer la même scène de Nekketsu vue et revue par cent fois déjà ; Daisuke Ashihara ne fait pas semblant, il ne cherche pas à paraître quitte à ce qu'on le taxe de fainéant. Est-ce un bien, est-ce un mal, ça a en tout cas le mérite de commencer très vite et sans se donner des airs. À ça, j'y suis réceptif.

Mon propos n'est pas de dire qu'une entrée en matière n'a aucune importance ; car pour l'avoir dit et répété, la première impression est capitale. Et cette première impression, plutôt que des allures bâclées, elle laisse entrevoir la griffe d'un auteur qui privilégie le fonctionnel à l'esthétique. Le mieux c'est encore d'avoir les deux, mais quand on est habitué à n'avoir ni l'un ni l'autre, c'est de bonne grâce qu'on s'en contente. Et sans rechigner qui plus est.

Fonctionnel. C'est un terme lisse, propre même, un de ces mots qui met en avant des qualités pour taire les défauts implicites que suggère son utilisation. Car à faire dans le fonctionnel à outrance, Daisuke Ashihara néglige et abandonne tout ou presque. Quand un premier chapitre suppose d'y aller gaiement et de se présenter sous ses plus beaux atouts pour séduire cette gueuserie de lectorat, y'a même pas ici un décor à lui proposer. Y'a bien des cas où cette seule occurrence - pas si singulière qu'on le voudrait - suffit à saler l'écume qui me déborde des lèvres. Voilà qu'en principe, présenté à un pareil état de fait, je commence à aboyer, que je mords même ; mais pas là. Non. Je sens, je le vois même, que rien, absolument rien n'est fait pour m'impressionner. Quand, d'habitude, le Nekketsu, pétri, imbibé et dégoulinant de ses poncifs me livre ses protagonistes aux allures improbables parce que c'est ce qu'aiment les d'jeuns (d'après ceux qui ne le sont pas), ici, les conceptions artistiques de personnages tiennent au banal. Tout le monde est bien coiffé, y'a pas un cheveu qui rebique. Et ça, j'aime.

L'hirondelle fait pas plus le printemps que le vautour fait le cadavre, mais y'a un début d'indice qui me laisse suggérer que... peut-être (je m'en voudrais de me bercer de faux espoirs, d'où les précautions sémantiques), World Trigger ne serait pas un Nekketsu lambda. Et je vous parle là d'un peut-être à mettre au conditionnel dans un cadre hypothétique. L'espoir alors, est aussi permis que le doute.

On a quand même droit à l'entrée en scène du protagoniste qui met une pâtée aux «bullies» initiales. Trois fois de suite en deux chapitres. Déjà, mes crocs se révèlent.

Et puis, ajouté à cela, le caractère atypique de Kuga est souvent trop ingénu pour être vraisemblable. Des personnages comme ceux-ci, s'ils ne trouvent pas le moyen d'être foncièrement antipathiques, peineront à convaincre et à séduire. Et il en va de même pour le reste des protagonistes. Kitora, Miss Tsundere édition 2013 aura su se montrer quant à elle antipathique bien au-delà des espérances de l'auteur.

Avec World Trigger, le côté Bleach est quand même... prégnant, voire oppressant. Des créatures monstrueuses aux formes aussi marquées venues d'un autre monde, c'est le premier arc de Bleach en filigrane. La similitude ne tient cependant qu'à ça... mais elle tient bien. Assez pour que l'œil accroche.

En revanche, l'énergie du Trion est présentée suffisamment habilement pour que soient distillés prudemment tous ses tenants et aboutissants. Ceux-ci se voulant d'abord nébuleux le temps que le concept se définisse et s'affirme mieux avec le temps. Le concept derrière cette énergie est simple et même, oserais-je dire... fonctionnel. Oui, mon regard ne s'y est pas trompé, Ashihara jure par le strict fonctionnel et étale cette manie sur chaque pan de son œuvre.

Outre Bleach, on retrouvera même un ersatz très prononcé du Lt Colonel Hugues dont Takumi Rindo semble être la copie conforme. L'auteur n'est franchement pas inspiré quand il s'agit de créer l'apparence de ses personnages. Ses notes entre les chapitres, par ailleurs, attestent continuellement de sa difficulté à les dessiner.

Dans ce que je lis, il n'y a pas tellement d'ambition de haute volée, mais ça ne se vautre jamais dans la facilité. Cela dit, il nous apparaît clair que Icare vole en rase-mote tout du long, qu'il s'en faudrait de peu pour briser l'équilibre établi par le récit. Il y a un on-ne-sait-trop-quoi qui fait que, malgré des pistes de lecture déjà explorées ailleurs, on a envie de rester ; comme si on se le devait en tant que lecteur. La mise en scène y est pour beaucoup. Elle n'a rien de spectaculaire, mais elle est minutieuse. Il y a une forme de maîtrise calculée dans la manière dont on rapporte l'histoire sur papier. Et cela... me rappelle le brio d'un certain Yoshihiro Togashi. Un certain Yoshihiro Togashi qui n'en finira pas de se rappeler à mon bon souvenir tandis que je poursuis ma lecture.

Au fil de la lecture, on ne retrouve pas de drame ridicule ni de pitreries constantes, il y a un côté objectif et froid, rigoureusement fonctionnel dans le déroulé de l'intrigue. C'en est parfois déroutant, mais jamais désagréable.

Fonctionnalité et pragmatisme oblige : les explications narratives sont légions. À un point où le manga paraît parfois n'être fait que de ça. Pour chaque mouvement opéré, il y a un débriefing quinze fois plus long pour revenir dessus.

Et j'adore ça.

Tout le monde n'est pa nécessairement bon client de ce genre de procédé, mais il y a un charme dans le fait de détailler, ratiociner et approfondir tout et rien à toute occasion donnée. Ça permet de mimer un contenu intelligent qui, à force de singer l'intellect, finit même par s'en impégner. World Trigger n'est pas nécessairement une œuvre intelligente, mais une œuvre intelligemment rapportée à son lecteur.

Passés les deux premiers volumes - qui restent de relativement bonne facture si on n'en attend pas trop - l'intrigue entre davantage dans le détail et le lecteur s'investit dans une histoire qui avait longtemps tergiversé avant de se résoudre à s'amorcer.

L'absence de morts fait que les combats - tactiques dans ce que suppose l'idée d'une bataille militaire à petite échelle - paraissent parfois n'avoir que peu ou aucune incidence. Dès lors où personne ne connaît de perte réelle, seule la narration a le dernier mot pour déterminer le vainqueur. Elle est charmante cette narration, mais elle ôte toute autorité aux personnages qu'elle encadre qui ne sont plus que ses pions placés de part et d'autre. Cela dit, on se console en se disant que, de ce seul fait, n'importe quel personnage est susceptible de perdre quand un combat se profile, ce qui est assez rare pour être apprécié.

Les batailles, il faut d'ailleurs en parler. Celles-ci sont vraiment bien ficelées sans même avoir recours à des trésors d'ingéniosité. Tout a été pensé dans le cadre d'une stratégie d'équipe et le rendu des combats s'opère comme sur un échiquier glacé. Les amateurs de tactique et de stratégie - dont je suis - ne pourront que se satisfaire d'un Shônen contemporain qui, enfin, sait rendre ses affrontements intéressants.

Les personnages, très nombreux, sont correctement mis en scène comme l'on peut s'en douter, mais ils se distinguent péniblement les uns des autres en ce sens où leur personnalité jaillit de toute sa fadeur dès qu'elle se manifeste. Daisuke Ashihara là encore, se consacre une fois de plus comme un auteur strictement fonctionnel. Il sait bâtir la charpente de son œuvre mais n'a aucune vision créative pour mieux soigner la présentation de ce qu'il érige. Et c'est dommage, car il s'en faudrait de peu pour que World Trigger passez du statut de Shônen assez plaisant à celui de manga à part. L'auteur s'en tient à l'essentiel, il s'y cramponne même. La structure du récit et de ce qui l'entoure n'en ressort que plus solide, mais celle-ci manque de fraîcheur.

Yuuma est un personnage principal trop puissant. Une chance qu'il soit couramment en retrait au profit d'autres acteurs de l'intrigue plus intéressants.

Tout le monde est globalement sympa, même ceux qui dégagent une impression malveillante. L’environnement dans lequel baigne le manga est apaisant, peut-être trop, mais c’est en tout cas quelque chose de nouveau pour moi alors que je lisais un Shônen où le drame en peau de lapin et les cris tous azimut étaient purement absents. Je pensais qu'ici, cette relative béatitude m’engourdirait les sens au point de les émousser jusqu'à m’en lasser. Et finalement, il n’en est rien. Tout compte fait, c’est agréable de contempler des combats dont les enjeux ne sont pas gravissimes ; de se détendre en face d’une adversité sans incidence.

L’envers de la médaille étant que lorsqu’une situation s’avère critique…. l’atmosphère ne s’en fait jamais ressentir. Même la pire menace apparaît dérisoire ; on la toise sans même la considérer. Il n’y a pas de pesanteur, pas de risque apparent. Même au milieu d’un chaos orchestré, l’air y est léger. Les personnages, qui plus est, y figurent aussi sereins que des vaches sacrées. Il n’y a pas même un haussement de sourcil pour vaguement souligner la gravité d’une situation donnée. Pour un peu, ces antagonistes venus de l’extérieur, on leur en voudrait presque d’être des empêcheurs de tourner en rond. Oui, World Trigger est un curieux Shônen où les méchants sont de trop. Il faut le lire pour le comprendre et, quand enfin on saisit, on en rigole presque tellement la chose est saugrenue.

Cet arc de l’invasion de masse aura été une tache informe qui ne suggère rien à qui la contemple. La tactique y est absente, les enjeux soporifiques et on y trouve même, ici et là, des relents exécrables de Nekketsu lambda où la déferlante de puissance s’y exhibe sans honte. Et ça dure cette affaire, on s’y embourbe d’un sommeil profond.

Il faut attendre les B-Ranks Wars pour se régaler à nouveau. Et pour cause, cette compétition, en plus d’être délectable dans son agencement, a l’insigne mérite de coller l’intrigue globale qui sommeille sous le boisseau. Fini les voisins d’un monde parallèle, ils ne sont même pas évoqués et ce, au lendemain d’une invasion de masse. C’est à croire que l’auteur s’est rappelé que ce qui avait fait le succès de ce Shônen tenait au fait qu’il n’était pas un Nekketsu bas du front, mais qu’il avait de la ressource à exploiter. Une ressource qu’on avait cru tarie cinq volumes durant - le temps de cette invasion stérile - et qui nous jaillit à nouveau en pleine gueule pour se rappeler à nous.

Tactiques et briefings verbeux au menu. Il y en a à qui ça coupe l’appétit, mais le bon goût commande de s’en délecter sans réserve. Il y a, dans la narration, des sursauts – modestes certes – qui vous rappellent la narration des événements récents de Hunter x Hunter. Celui qui ne raffole pas de ce délice enrobé de dialogues épais et denses se rendrait suspect de barbarie cognitive caractérisée. Car même sans avoir rien à dire, cette modalité de narration, à elle seule, donne une substance concrète même à ce qui n’est pas. La mise en scène, méthodique, sans artifice, presque austère dans ce qu’elle implique, est pourtant admirable dans sa manière de disposer les éléments de l’intrigue pour donner envie de lire. On peu passer de très longues minutes à lire un seul chapitre, et l’issue de la lecture trouve toujours le moyen d’être plaisant.

Les amateurs de FPS type Counter Strike seront particulièrement séduits par l’ambiance. Le principe des équipements lors des combats séduira le plus grand nombre.

Néanmoins, à mesure que les chapitres s’effeuillent, on se dit que trop point n’en faut. Si j’aime la discutaille, les explications longues et noueuses, je n’apprécie vraiment la chose que lorsqu’elle sert un propos et un dessein bien particulier. À force de les entendre bavasser, on se rend compte que ces personnages déjà creux parlent surtout pour aménager le vide et surtout pour ne rien dire. Les schémas explicatifs perdent de leur charme, les combats ne se renouvellent pas vraiment et même, il faut le dire, lassent à l’usure. Le fait que l’on replonge en plus dans la trame principale – y faut bien à un moment – indispose aussi. C’est mieux écrit que n’importe quel autre Shônen contemporain, ça ne fait pas un pli. Mais mieux que rien, c’est pas un synonyme d’excellence.

World Trigger, c’est à lire néanmoins. L’œuvre, si elle est sobre au point souvent d’en être plate reste cependant exemplaire pour ce qui est de l’orchestration de l’action. Le système de combat au Trion est très bien géré pour de multiples applications relativement intéressante. On évite le travers de la déferlante de puissance et, un Nekketsu bridé (pas de jeu de mot s’il vous plaît), c’est déjà un mérite en soi alors que, partout ailleurs, ça dévaste les alentours au moindre moulinet du personnage principal. Il n’y a plus beaucoup de Shônens en parution qui méritent d’être lus, et World Trigger, bien que terne et finalement peu séduisant au premier abord, reste malgré tout un joyau. Un joyau mineur dont l’éclat n’est pas non plus aveuglant, un joyau néanmoins. Je ne suis pas homme à cracher sur une pierre précieuse au prétexte que celle-ci ne scintille pas suffisamment. Surtout quand le minerai a l’air de s’être tari depuis plus de deux décennies.

Josselin-B
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le 20 août 2022

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Josselin Bigaut

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