Cover Carnet de glanures : « Fragments »

Carnet de glanures : « Fragments »

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Liste de

473 livres

créee il y a environ 4 ans · modifiée il y a 3 jours

Suite orphique

Suite orphique (2024)

99 quatrains

Sortie : 7 mars 2024. Poésie

livre de François Cheng

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

80.
« Les êtres qui m’habitent, je les porte
Non en masse, mais un à un. Chacun
Vient à moi, chaque fois en méconnu ;
Les découvrant, je me vois, inconnu. »

92.
« Cette trop belle nuit nous remue les entrailles ;
Tant d’astres et de fruits sont là au rendez-vous !
Ils sont là pour nous seuls, car seuls nous les voyons ;
Ô Toi qui sais, sois enfin là, présent à tous ! »

55.
« Perdus dans la nuit, nous voici
dans une auberge sans visage.
La proche cascade nous prodigue, elle,
ses dons pérennes avec faste. »

91.
« Que valent les cailloux dans le fracas d’une chute ?
Que valent nos corps sous la houle des galaxies ?
Un œil qui voit, un cœur qui bat, en un instant,
L’univers est plain-chant déchirant sa propre nuit. »

69.
« Que de fois, un rendez-vous manqué nous laisse
désemparés ; l’être attendu n’est pas là.
Que de fois, l’Autre est là, mais n’ayant point
croisé notre regard, sans bruit, il s’en va. »

Attaquer la terre et le soleil
7.6

Attaquer la terre et le soleil (2022)

Sortie : 1 septembre 2022. Roman

livre de Mathieu Belezi

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« on travaille jusqu’au soir, et à la nuit tombante on se réchauffe la couenne autour des feux, les muscles revigorés par l’espèce de couscoussou que préparent nos moukères, on boit la gnôle que notre capitaine n’oublie jamais d’emporter dans ses expéditions

— Il n’y a pas de bon soldat sans gnôle, pas vrai mes braves ?

affirme notre capitaine, assis comme un pacha sur un trône en bois sculpté qu’il a trouvé dans la tour et qui lui sert à donner ses ordres, à imposer sa discipline au troupeau de moukères

on acquiesce, parce qu’au fond de nous-mêmes on sait bien qu’il a raison, qu’on ne serait pas aussi déchaînés dans les batailles si on n’avait pas notre gorgée de gnôle pour nous incendier les méninges

les nuits sont claires, sans un souffle parce que le vent du nord est tombé d’un coup, et c’est comme une bénédiction ce fouillis d’étoiles suspendu au-dessus de nos têtes, une grâce divine du ciel avec lequel nous nous sentons réconciliés, et si nous ne sommes pas des anges il y a certaines nuits où nous sommes tout près de le regretter

— N’est-ce pas capitaine ? »

« Cette vie de caserne ça nous panse nos blessures, on ne crapahute plus le ventre vide sur des chemins de poussière et de boue, on peut chier ou pisser tranquille à l’abri des guenillards kabyles toujours prêts ceux-là à nous couper les couilles, on mange à notre faim en tapant dans les réserves du fondouk, on chasse le lièvre et l’antilope pour améliorer l’ordinaire, on a rangé le fusil et la baïonnette et avec les moyens du bord on fait le maçon ou le charpentier, on s’étripe aux cartes des heures durant dans la chaleur des braseros lorsqu’il pleut ou qu’il neige, et que la pluie ou la neige tombées en abondance nous forcent à couver dans la paille les vermines qui nous collent au cul »

Journal du regard

Journal du regard (1988)

Sortie : janvier 1988. Journal & carnet

livre de Bernard Noël

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Dès qu'une peinture nous arrête, nous voyons sans le savoir sur elle l'influence de notre présent sur son passé, chose inestimable et qui fait que, dans la représentation, la réalité a tendance à se confondre avec la fiction. Alors, on se souvient parfois qu'il y a dans toute mémoire l'image d'un paradis, et dans tout regard une ouverture vers l'infini. La double trace de cette situation est inscrite dans la peinture, mais elle y demeure indéterminée, tout comme la part du dit et du non-dit dans un livre. »

« Chaque image est sans cesse remise au présent par nos yeux parce qu'on ne peut voir que présentement. Voir est un acte sur le vif, et peindre est le même acte. La main charnelle du peintre entre alors tout entière dans sa main mentale, et celle-ci contient ses yeux. L'histoire de la peinture n'est peut-être que l'histoire de cette passation. Par elle, le sujet quitte la tombe de l'anecdote et entre dans la mentalité; autrement, il n'y aurait sur la toile qu'un document et la mort. Le peintre détache de son sujet une figure, qui ressemble au sujet autant que celui-ci ressemblait à son modèle. Ce détachement fait de la représentation un état charnière entre le visible et la vue mentale que nous en tirons. »

« Les images sont à la fois détachées du réel et détachées du mental, mais pour occuper la surface peinte elles donnent la priorité à leur ressemblance avec la réalité. Le peintre n'utilise cette ressemblance que pour exprimer sa pensée, seulement c'est la ressemblance avec la réalité, et elle seule, qui est visible. On croit que le tableau est le miroir de la réalité, alors que sa réalité est le miroir de la pensée. »

« [...] Le visible ne cesse de transformer l'expérience intérieure en expérience extérieure, et réciproquement.
Voir est un acte dans lequel s'unissent la pratique et la pensée du monde. La peinture mentale visualise cet acte il faut toujours faire voir ce qu'on ne voit pas, et qui aussi bien s'effacera dans la vue puisque toute pensée éclaire, puis disparaît. »

« La nudité en peinture n'est pas la représentation du nu, mais la création de son équivalence. Il faut que la surface soit de la peau. Nous n'aurons jamais assez de peau pour toucher le monde et pour être touchables.
Jamais assez de peau voyante sur nos yeux.
Le corps du peintre, quand il peint, est une articulation de l'espace. Et l'espace alors est en lui la vue et la lumière. »

+ Commentaire sur Jean Hélion // sa rétrospective au MAM.

Les Elégies de Duino
8.6

Les Elégies de Duino (1923)

suivi de Les Sonnets à Orphée

Sortie : 2006 (France). Poésie

livre de Rainer Maria Rilke

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Et, légère, elle le conduit par le vaste paysage des Plaintes,
lui montre les colonnes des temples ou les ruines
de ces forts d'où jadis des princes de la plainte sagement
dominaient le pays. Lui montre les grands
arbres de larmes et les champs de chagrin en fleurs,
(les vivants ne la connaissent que comme une douce
feuillée) ;
lui montre les bêtes du deuil, en train de paître,— et parfois un oiseau s'effraie et trace, volant au ras de l'horizon de leur regard,
jusque très loin le graphe de son cri esseulé.
Le soir elle le mène aux tombes des Anciens
du lignage de la Plainte, aux sibylles et prophètes.
Mais quand la nuit s'approche, ils vont à marche plus légère,
et bientôt
le ciel s'enlune, et monte le monument tombal
qui veille sur tout. Fraternel à celui du Nil,
au sphinx sublime -: face altière de la Chambre recluse et
taciturne.
Et ils admirent, étonnés, la tête coronale qui, à jamais,
silencieuse a posé le visage des hommes
sur la balance des étoiles. »


« Chante, mon cœur, tes jardins inconnus ;
Jardins comme pris en cristal, transparents, hors d'atteinte.
D'Ispahan, de Chiraz, chante-les, eaux et roses,
Célèbre-les en joie, eux à rien comparables.

Montre, mon cœur, que d'eux jamais tu n'es manquant.
Que c'est pensant à toi que leurs figues mûrissent.
Qu'à travers les rameaux en fleurs tu t'entretiens
avec leurs souffles d'air enchéris en visages.

Évite cette erreur de croire à quelque qu'il manque,
dès lors que c'en est fait, décidé, ceci : d'être !
Tu viens de t'intégrer, fil de soie, au tissu.

Quelle que soit l'image à quoi tu t'es uni,
sens (serait-ce un moment où la vie est supplice)
qu'il y va du tapis, de l'ensemble en sa gloire. »

The Art of Dragon Age: Inquisition
7.7

The Art of Dragon Age: Inquisition (2014)

Sortie : 18 novembre 2014 (États-Unis). Version originale, Beau livre & artbook, Jeu vidéo

livre de BioWare Corp

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Très peu d'attributions ; difficile alors de faire des renvois aux artistes...

http://escapethelevel.com/art/dragon-age-inquisition-concept-art-by-matt-rhodes-128/

https://www.artstation.com/mattrhodes/albums/77989

Théodore Rousseau, la voix de la forêt

Théodore Rousseau, la voix de la forêt (2023)

Exposition, Paris, Petit Palais, du 5 mars au 7 juillet 2024

Sortie : 6 avril 2023. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Servane Dargnies-de Vitry, Dominique de Font-Réaulx, Pierre Wat, Sandra Buratti-Hasan et Petit Palais Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« C'est ce beau pittoresque qui fait flores au XIXe siècle, au moment de cette démocratisation de l'accès au Beau que veut alors être le développement du tourisme.
Avec ses guides, ses chemins fléchés et ses points de vue qui se retrouveront bientôt dans l'iconographie des cartes postales, Denecourt est l'un des plus éminents représentants de ce courant.
Rousseau s'oppose en tout point à ce projet. Pour lui, nature rime avec origine. En Fontainebleau, il voit une sorte de forêt primaire, mi-nature intacte, mi-histoire présente sous l'allure de traces, dont il faut préserver la forme c'est-à-dire la mémoire. Du beau pittoresque tel qu'il s'est formulé dans l'Angleterre de la fin du XVIIIe siècle, il privilégie le goût de la variété et de la surprise, au détriment de l'organisation de circuits à vocation panoramique. Sa conception de la "promenade", clairement romantique, lui fait préférer la Wanderung à la randonnée sur des sentiers balisés. Théophile Thoré […] parle de pérégrination aventureuse, identifiant ainsi leur expérience à celle du Wanderer, cette figure essentielle de la peinture romantique de paysage. Il s'agit d'errer sans but et de jouir de l'errance, loin de toute mise en coupe réglée du mythe bellifontain. »

« La critique, par Rousseau, du projet de Denecourt, relève de la querelle d'héritage. Le peintre revendique lui aussi son inscription dans la tradition de l'imaginaire bellifontain, même s'il privilégie un autre aspect : le romantisme, cette qualité que l'on accorde à la forêt dès le début du XIXe siècle.
Théodore Rousseau peintre romantique ? Que signifie ce terme, accolé à un peintre de l'École de Barbizon dont l’œuvre se déploie entre les années 1830 et 1860, c'est-à-dire entre l'apogée et le déclin de cette notion dans le champ des beaux-arts en France ? De fait, et c'est sans doute là l'une des originalités de l'artiste, celui-ci donne à ce mot, à en juger par ses tableaux, un sens plus proche de ce que les artistes allemands entendaient en leur temps que de celui que lui attribuent ses contemporains français. »

Visite

Visite

livre de Li-Cam

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« — J’en ai entendu parler. Je sais pas ce qu’elles ont avec cette planète.
— Elles lui font dire tout et n’importe quoi, intervient Millie.
— Je comprends pas.
— Pendant longtemps, on a fait dire des choses aux planètes, dit Gus.
— Ah bon ?
— Oui, on les imaginait comme des dieux, enfin des dieux avec des travers bien humains, des dieux se comportant comme les plus petits des hommes. Des dieux tyranniques. »


« — Penser comme une arbre, une fluv, an pierre, comme lae moindre brin d’herbe, la plus petite insecte. Écouter patiemment la vie qui anime lae monde, l’écouter respirer, grandir, grossir, se renouveler et découvrir lae beauté partout prêt à nous enseigner. »

« — Mensonge ! Mensonge !

Lae colère qui couvait trouve enfin à s’exprimer. Dans les cris. Dans lae progression de lae foule. Les représentantes réfugiées à l’intérieur de l’Agora tentent de fermer les portes de lae bâtiment, puis se ravisent, confrontées à l’agressivité grandissant des contestantes. Des coups de poing s’écrasent sur les vitres. Des coups de tête. Des crachats. »

« — Nous avons appris à habiter les vestiges du monde, annonce Bella en s’emparant d’an petit cuillère se transformant sans cesse et lae faisant tourner sur yel-même pour l’observer sous tous les coutures. »

« Elle voit mal les couleurs, et est incapable de les désigner, elle peut néanmoins les goûter, yels sont – acides, âpres, salés sur san langue – yels lui piquent les narines aussi. Néea voyage dans an univers de formes, de textures et de saveurs dans laequel ses yeux et san palais ne faisant qu’an – perçoivent, reçoivent – an réalité singulièren où les arbres aux hauts branches sentent la menthe et lae ciel est – poivré, sucré. »

Foi, espérance et carnage
7.7

Foi, espérance et carnage (2022)

Faith, Hope and Carnage

Sortie : 14 septembre 2023 (France). Entretien, Autobiographie & mémoires, Musique

livre de Nick Cave et Sean O'Hagan

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Un sentiment des possibles, peut-être ?

Oui mais de possibles réels. Les possibles de l'impuissance ironiquement. Non pas la possibilité de faire, mais celle de ne pas faire. D'un seul coup, j'ai pris conscience que je pouvais simplement rester chez moi avec ma femme Susie, ce qui était en soi incroyable puisque notre relation avait toujours été rythmée par mes départs et mes retours. Et du jour au lendemain, j'avais la possibilité de voir mes gamins, ou simplement de m'installer sur le balcon pour lire. Comme si j'avais reçu la permission de me contenter d’être, au lieu de faire.

Et au fil du confinement, il y a eu cette sensation que le temps se disloquait, que les jours se fondaient les uns dans les autres. Tu l'as éprouvée aussi ?

Oui, le temps paraissait altéré. C'est peut-être mal de dire ça, mais en un sens j'ai vraiment adoré la liberté étrange que ça me donnait. J'adorais me lever le matin avec la perspective d'une nouvelle journée où je pourrais me contenter d'exister, sans obligation de faire quoi que ce soit. Le téléphone a cessé de sonner sans arrêt et très vite mes journées sont devenues merveilleusement répétitives. Bizarrement, c’était comme de redevenir un junkie : le rituel, la routine, l'habitude.

Je dis ça alors même que la tournée précédente, où on jouait sur scène l’album Skeleton Tree, avait été l’un des moments décisifs de ma vie professionnelle, par le simple fait d’être sur scène soir après soir, porté par cette énergie farouche qui émanait du public. Je n’insisterai jamais assez sur cet extraordinaire sentiment de communion. Ça a changé ma vie. Ou plutôt, ça m'a sauvé la vie! Mais c'était aussi terriblement éprouvant, physiquement et mentalement. Alors, quand L tournée a été annulée, la déception a bientôt laissé place à un certain soulagement et, oui, à la perspective de possibilités étranges et anarchiques. Je me sens coupable rien qu’à le dure, car je sais à quel point pour beaucoup de gens la pandémie a été dévastatrice. »

La Société ingouvernable
8.4

La Société ingouvernable (2018)

Une généalogie du libéralisme autoritaire

Sortie : 19 octobre 2018 (France). Politique & économie, Culture & société, Essai

livre de Grégoire Chamayou

Nushku a mis 6/10 et le lit actuellement.

Annotation :

« L’absentéisme, assurait un dirigeant de General Motors, ne résulte pas de la monotonie du travail mais de la prospérité économique de la nation, du haut degré de sécurité et des nombreux avantages sociaux fournis par l’industrie. » La reproblématisation allait bon train : plutôt qu’aux moyens de remédier au « blues des cols-bleus », on conseillait de s’intéresser aux conditions sociales avantageuses qui leur offraient le luxe de se montrer si effrontés. Le problème n’est pas que le travail est trop dur, mais que la société est trop molle. »
 
« Les générations qui sont nées après 1973, celles qui ont grandi à l’ère de « la crise » perpétuelle, ont intériorisé, l’une après l’autre, l’idée que chacune vivrait globalement moins bien que la précédente. Elles ont réappris à avoir peur. Un retournement historique qui pourrait aussi se lire comme une sorte de psychothérapie de groupe, une rééducation de masse à la « tolérance à la frustration ».

« Du point de vue néoclassique, c’était là une surprise, mais aussi une énigme : comment expliquer, alors même que l’on considère en général le marché comme étant le seul mode de coordination efficient, que de telles formes hérétiques puissent même exister ? Il fallait rendre raison de la firme. Pour le dire en termes leibniziens : pourquoi y a-t-il de la firme plutôt que rien ? Ou, plutôt, plus exactement, pourquoi y a-t-il de l’autorité économique privée plutôt que du pur marché seulement ? »

Les Petits Oiseaux
6.8

Les Petits Oiseaux (1979)

Erotica II

Sortie : 1979. Recueil de nouvelles

livre de Anaïs Nin

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Elle pensait que cela venait peut-être d'avoir découvert qu’il avait appartenu à tant de femmes. Dès la première nuit, elle eut l'impression que ce n'était pas elle qu'il possédait, mais une femme comme des centaines d’autres. Il n'avait manifesté aucune émotion. Lorsqu'il l’avait déshabillée, il lui avait dit : "Oh! comme tu as de grosses hanches. Tu paraissais si mince, je n'aurais jamais imaginé que tu avais de si grosses hanches." »

« Elle regardait le plafond tout en posant.

Ils se trouvaient dans une très vieille maison : la peinture était écaillée et les plâtres très inégaux. Et, tandis qu'elle fixait le plafond, ce plätre rugueux et tombé par endroits prenait tout à coup toutes sortes de formes. Elle sourit. Là, dans ce mélange de lignes, de trous et de bosses, se lisaient toutes sortes de dessins.

Elle avait dit à Jan : "Quand tu auras terminé ton travail, j'aimerais que tu dessines pour moi quelque chose au plafond, quelque chose qui s'y trouve déjà, si tu peux le voir comme je le vois..."»

Barbares
7

Barbares

Barbarians

Sortie : 19 octobre 2023 (France). Science-fiction, Nouvelle

livre de Rich Larson

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« "Nous avons été élevés sur Vieux-Lire, ajoute Y. Le tout dernier bastion croulant de la Maison Novak. Un fantôme de sa gloire ancestrale. Un lieu pareil nourrit l'imagination, Et, par la suite, l'ambition.

- J'en ai entendu parler." C’est vrai : Vieux-Lire est l’un des mondes intérieurs des nébuleuses colonisés il y a un bail — peut-être même avant que l'humanité édifie son premier portœil. "Il y a des jardins nocturnes, non ?"

Leurs regards s’éclairent.

"Massifs, labyrinthiques, oui, dit X. De taille à engloutir une ville entière. Notre gouvernante nous promenait de l’un à l’autre, puis au suivant. Cela a duré quatre ans." Il titube, se plie en deux pour poser les mains sur le spath, se redresse et lève les yeux. "Nous voulions les voir tous avant qu’ils ne meurent, vous comprenez."

Un écosystème peut s'effondrer pour maintes raisons, et j'ai toujours considéré ces vastes jungles bioluminescentes sur Vieux-Lire comme délicates, mais sa façon d’en parler me donne un peu la chair de poule.

"Une maladie ?

- Un incendie, répond Y d’un air triste. Plusieurs, en fait. »

« On ressort dans une salle caverneuse flanquée de vastes murs parasismiques ornés de bas-reliefs usinés et de lampes à décalage vers le rouge que notre présence fait s'ouvrir tels les yeux croûtés par le sommeil d'un géant. Des volutes de vapeur à hauteur de cheville, sans doute des retombées des souffles, dissimulent le sol. Membrane gonflée évoquant des nuages, le plafond pulse, éclairé de l'intérieur par les lueurs périodiques des charges électriques qui entrent en collision. Le tout s'enfle et se rétracte en rythme comme les poumons d'un dieu endormi. « C'est le soufflet, l'un des organes dévolus aux échanges gazeux. » Je cherche du regard le tissu cicatriciel, vu que les ouvriers ont dû exciser un lobe entier pour loger cette poche d'infrastructure. « Pas étonnant que le nagevide soit mort. » » 


« Une géante gazeuse orange et violette a attiré dans son orbite la carcasse, satellite de chair et d'os rétroéclairé par les orages qui tournoient à la surface de la planète. La taille me sidère à chaque fois. Mes yeux ont de la peine à l'appréhender : ils suivent le bord d'un cratère, s'avisent qu'il s'agit de la crête d'un évent, prennent du recul, encore et encore... »

Battling le ténébreux
8

Battling le ténébreux (1928)

Ou La mue périlleuse

Sortie : 21 septembre 1928. Roman

livre de Alexandre Vialatte

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Fallait-il qu'à tant d'années de distance il retrouvât au fond de lui les mêmes éléments obscurs dans son amour pour l'étrangère, cette pitié pour lui, pour elle, cette haine, ce besoin de souffrir et de faire souffrir, cette avidité de gâcher sa chance et ce désir qui trouvait sa forme la plus aiguë, la plus déchirante, dans la détresse, cette volupté du regret qu'il voulait ajouter d'avance à l'irritation du désir ? »

« Et voici qu'il la retrouvait cruellement installée auprès de lui sous la tonnelle, avec son sourire pervers et malheureux, au seuil de l'étrangère indifférente dont le reflet, pâle comme une ondulation de l'air chaud, flottait sur les jardins exaspérés. Quel rêve, quel idéal, quel caprice où Battling n'avait point de part, occupaient son cœur indéchiffrable ? De qui s'étaient occupés ses beaux bras, ses mains blanches, sa bouche étrange, ses yeux pleins de pays et de figures lointaines ? Comment rencontreraient-ils jamais ce petit masque douloureux de gamin perfide assis entre deux poubelles dans une cour d'immeuble misérable, et pleurant sur sa méchanceté, sur sa tristesse, à l'heure de la première étoile où les pianos des quartiers riches distillent toute la nostalgie des sédentaires dans le crépuscule navrant ? »

« Je ne sais quel vieux charme rustique semblait monter des planchers de cette auberge, quelle hallucination tremblante se dégageait des prairies vespérales quand le premier brouillard s'élevait. On voyait au loin quelques becs de gaz patrouiller dans les faubourgs tristes où le camion d'un brasseur passe sans but entre des murs d'entrepôt fleuris d'affiches électorales que le vent déchire.
C'était à l'auberge de Mexico que, fumant en silence nos premières cigarettes, nous nous inventions des pays et des bonheurs qui n'existent pas ; c'était là que, souverains taciturnes, nous régissions des empires surnaturels. C'était là que nous lisions Toulet, Levet, Laforgue, que nous commentions l'existence et que nous nous illusionnions d'une façon méritoire sur les qualités du rhum-fantaisie. Les premières heures du soir, lavant le monde des réalités diurnes, dégageaient de la campagne visionnaire une sorte de mythologie rustique qui renouvelait la planète pour notre usage personnel. Bien que les éléments traditionnels de la féerie n'eussent absolument rien à voir dans ces histoires, il se passait là entre chien et loup d'étranges chose »

Le Tableau du maître flamand
7.1

Le Tableau du maître flamand (1990)

La tabla de Flandes

Sortie : 1993 (France). Roman

livre de Arturo Pérez-Reverte

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« L’ovale de son visage était délicat, parfait, et la ressemblance avec les vierges de la Renaissance trouvait sa confirmation dans chaque nuance, dans chaque détail. Pas une vierge à la manière des Italiennes consacrées par Giotto, gouvernantes et nourrices, parfois amantes, ni des Françaises, mères et reines. Vierge bourgeoise, épouse de maîtres syndics ou de nobles propriétaires de plaines vallonnées, semées de châteaux, de hameaux, de cours d’eau et de clochers comme celui qui se dressait au milieu du paysage, de l’autre côté de la fenêtre. Un peu vaniteuse, impassible, sereine et froide, incarnation de cette beauté nordique a la maniera ponentina qui eut tant de succès dans les pays méridionaux, l’Espagne et l’Italie. Et les yeux bleus, ou que l’on devinait de cette couleur, avec leur regard oublieux du spectateur, apparemment tout fixé sur le livre et pourtant pénétrant comme celui de toutes les Flamandes peintes par Van Huys, Van der Weyden, Van Eyck. Des yeux énigmatiques qui jamais ne révélaient ce qu’ils regardaient ou désiraient regarder, ce qu’ils pensaient. Ce qu’ils sentaient. » 

« Dans cette relation spirituelle délicate et souvent malaisée qui s’établit entre tout restaurateur et son œuvre, dans l’âpre combat que se livrent conservation et rénovation, la jeune femme avait la qualité de ne jamais perdre de vue un principe fondamental : une œuvre d’art n’est jamais remise sans graves dommages en son état originel. Julia était d’avis que le vieillissement, la patine, et même certaines altérations des couleurs et vernis, certaines imperfections, retouches, reprises, se transforment avec le passage du temps en un élément aussi important de l’œuvre d’art que l’œuvre proprement dite. Peut-être était-ce pour cette raison que les tableaux qui passaient entre ses mains en revenaient non pas revêtus de couleurs nouvelles et de lumières insolites, prétendument orig originales – courtisanes maquillées, disait César de ces restaurations –, mais nuancés avec une délicatesse qui intégrait à l’ensemble les marques du temps. »

Café Salé.net Artbook 03
8.3

Café Salé.net Artbook 03

Sortie : 2 juillet 2009 (France). Beau livre

livre de Collectif Café Salé

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Brosa ; Paul Chadeisson ; Thimothy Rodriguez ; Yohann Schepacz ; Vincent Levêque ; Miguel Coimbra & Edouard Guiton ; Remi Farjaud, Orkimede ; Marie Ecarlat ; Michel Koch ; Anthony Wolff ; Gaetan Henrioux ; ...

Olimpia
6.4

Olimpia (2010)

Sortie : 2010 (France).

livre de Céline Minard

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Si elle m’enlève le masque, cette ville de théâtre boursouflé, gonflée d’or et de stuc, hérissée de colonnes roides, de colonnes torses, gravées, plantées d’arcs à tout bout de champ grosse d’elle-même et de ses cirques innombrables, bouches et bouches de marbre purulentes, cette ville d’artifices avec sa grosse verrue dorée, sa perruque poudrée, le Vatican, je l’arrache, cette ville de carnaval continu, cette ville masque qui figura l’empire jusqu’à ce qu’il s’écrase, je l’arrache, cette ville masque que les papes remontèrent sur leur face sous les boucles de la coupole, le gros chapeau triple, la tiare, ce masque devant le monde, si elle me l’enlève, je l’arrache.

Si elle me chasse ; dans les flots je l’emporte.

Si elle m’exile, je l’arrache. »

« Les fêtes de l’inondation m’appartiennent. La pyrotechnie à Néron. À moi les nuages en stuc, les putti décapités aux joues gonflées de vent qui les poussent, à moi la lune ordonnatrice des marées, la reine pâle des nuits blanches et des hybrides, des humeurs. À moi les eaux souterraines, les rumeurs, les niches dérobées d’où je surgis, les ruelles enterrées où courent les os de l’empire, à moi les seins des sphynges, les cuisses du Danube, les bras du Nil, la multitude des fontaines ! Partout dans Rome, je suis, j’éclabousse, je réponds au soleil. À moi le jeu des perles d’eau devant Saint-Pierre, les vasques, le réservoir de Kircher, le therme des empereurs et la cloaca maxima, je prends, je garde, je récupère. »

Le Débat des dames
7.3

Le Débat des dames (2024)

Le Chevalier aux épines, tome 3

Sortie : 24 janvier 2024. Fantasy

livre de Jean-Philippe Jaworski

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« – Devin, je t’ai commandé un roman, pas un prêche.
– Un roman ? Tel est le nom que vous donnez au dithyrambe et au panégyrique !
– C’est quoi, ça ? De la magie ?
– Le plus grossier des illusionnismes : celui qui aveugle en prétendant éblouir.
– Ça m’a l’air pas mal. Si c’est le truc que tu as déjà utilisé, je suis preneur.
– L’art que j’ai mobilisé était tout autre. Sous couvert de divertissement, Le Roman du Bel Églantier n’était que miroir des vanités : à travers la farandole des morts et des vivants, j’ai tendu une psyché à mon lecteur afin qu’il y contemple en pied sa finitude, ses frivolités et ses ridicules. Que cette satire m’ait conféré un tel prestige est la plus folle des ironies. Appliqué à votre personne, je doute que le procédé satisfasse vos attentes… Mais vous n’avez rien à craindre. La contemplation des divins mystères m’a détourné depuis longtemps de la peinture de mes semblables. Désormais, je ne sais plus louer que le silence, l’effacement de soi et l’absence de passions.»

« Ma magie est autrement sacrée ! Mon art donne longue vie et non sa parodie ! J’ai retissé votre destinée en lui restituant l’originelle harmonie ; votre rose a été bouturée dans les treillages secrets de mon jardin des cœurs. Mes plantes ont l’éclat de vos vertus, votre vie s’abreuve de la sève de mes fleurs. Par quel rapprochement saugrenu pouvez-vous associer votre sort à la non mort ? »

« Le conte est flatteur, grommela-t-il, mais il me semble cousu de fil blanc. Un passage secret dont vous ignorez tout mais dont vous seul détenez la clef ? Et tout cela aurait été prévu par un enchanteur des siècles passés ? Moi, j’y vois moins la main de Cennargin que je ne sais quelle piperie de votre trop belle maîtresse. »


« Les Aventureux du Bois oiselé voyageaient selon leur habitude, c’est-à-dire selon la coutume des elfes qui ne ressemble qu’en apparence à la façon de se déplacer des autres peuples. Chez ces êtres anciens et passablement évaporés, la frontière entre le monde physique et la réalité immatérielle est très mince : il n’est pas rare qu’ils passent de l’un à l’autre comme une maîtresse de maison circule entre son âtre et son jardin. Usent-ils d’un art subtil pour vagabonder ainsi dans les marges ?
[...]
À leurs yeux, le voyage incite à la rêverie et la rêverie devenant voyage, leur déplacement épouse indifféremment les contingences du terrain ou celles du songe. Il en résulte que leurs vagabondages s’affranchissent parfois de la distance. »

« Incorrigible

Bleu Bacon

Bleu Bacon (2024)

Sortie : 10 janvier 2024. Récit, Peinture & sculpture

livre de Yannick Haenel

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« La nuit contient des éclats qui se contredisent : on se noie dans des mares d’angoisse, les couleurs se crispent en un jus acide où coagule l’absence, et quelques secondes plus tard on se retrouve au contraire aspergé de nuances ; c’est un torrent de violets pâles et de rouges crépitants qui nous inonde alors le cœur. On ne craint plus le prochain tableau, celui dont on redoutait la violence ; on se laisse maintenant porter par ces coulées rose lavande où la lumière se baigne comme dans un miroir ; on évolue de salle en salle, gratifié par le velours des couleurs ; la joie est retrouvée. »

« Je voulais maintenant entrer dans cette peinture, sentir cette chair, à la fois son velours et sa pourriture ; mais comment entre-t-on dans la peinture ? Au fil des années, cette question est devenue ma vie, et peut-être vaudrait-il mieux ne pas se la poser : en elle, quelque chose d’absurde ne cesse de rire, mais ce rire me plaît, il résonne en moi.
En écrivant des livres sur le Caravage et sur Adrian Ghenie, en étudiant la peinture de Bonnard et celle de Delacroix, je me suis lancé dans une aventure qui ne cesse de relancer ces questions : Que voit-on quand on regarde de la peinture ? Que se passe-t-il lorsqu’on se tient face à ces rectangles de couleurs où le visible se dépose si passionnément ? À quoi nous ouvrent ces impacts ?
Je cherchais ce point où, comme en amour, la réciprocité s’allume : il ne s’agit plus seulement d’un dialogue, ni même d’un simple partage : l’émotion vous mêle à l’objet qui la suscite, et cette émotion vous procure une clarté que vous n’aviez jamais connue, elle vous prodigue des battements de cœur plus amples. »

The Art of Journey
8.8

The Art of Journey

Sortie : septembre 2012 (France). Beau livre, Jeu vidéo

livre de Matthew Nava et Chris Melissinos

Nushku a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

"One of my personal interests is architecture. I love the idea of the "architectural canon," a system of proportions often used by classical architects to construct buildings that maintain a harmony among elements. Dif-ferent cultures and societies modeled these systems on various natural phenomena, such as the golden ratio, the human body, and even musical scales. For Journey, I wanted the architecture to have its own canon of proportions and design. It was great fun to study Greek, Islamic, and Japanese architecture to analyze how they constructed form. I created a set of rules for Journey in which I blended elements of these styles with , own motifs and designs, some of which were inspired by Native American art. The result was a completely new architectural canon that felt familiar due to its ties with these ancient cultures, while at the same time mysterious and otherworldly because of the new elements and forms that I added. In lots of games, I notice that the architecture is very silly. How ma, times have you asked yourself while playing a game, "Who would ever build a room like this?" No one would put spikes, flames, lava, or traps in his or her own castle. Of course, the reason is that these games are mechanics-centric, and gameplay is often prioritized above architectural integrity in development. For a game like Journey, where immersion is very important for deliver-ing the message, any game element that makes a player ask those kinds of questions can be seen as a problem. Despite this, the architecture ()I Journey needed to be interactive and entertaining to explore. However tempting it was for us to place platforms and ladders wherever they were most convenient for jumping, I made a point of going through and first figuring out what the purpose of each element was in relation to Journey's world history and how it could be designed to fit into the architectural style. This often made the process of designing interactive buildings more arduous, and required a lot of close teamwork with the game designers. However, I think that this method is wry important for maintaining im-mersion and cohesiveness across Journey's environments. Creating the architectural style ofJourney was a daunting task, but it was just the kind of design problem I had always wanted to solve. This chapter iuillptiuutthu art that went into creating Journey's architectural canon."

Sweet Harmony
6.1

Sweet Harmony (2020)

Sortie : 18 janvier 2024 (France). Nouvelle, Science-fiction

livre de Catherine Webb (Claire North)

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Enfin, quand elles réaliseront qu’elles peuvent simplement atténuer le bruit de fond, désactiver les brins de protéines, les assemblages dansants d’acides aminés et de globules de matière qui alimentent leurs hôtes, elles rêveront elles-mêmes.
Elles rêveront de matière qui n’a besoin d’aucun nom, et de sens qui n’a sur lui aucun poids plus ou moins lourd que le simple acte de voir.

Elles rêveront de la couleur rouge, qui ne représentera pas une mise en garde, le sang, la peur ni la mort, mais sera tout simplement un cramoisi extraordinaire, une pensée qui se noie.

Elles rêveront du parfum de la mer, et n’y trouveront aucune notion de tempête ni de terreur, du rugissement de l’océan sur une plage qui s’effrite ; elles n’y verront que de l’eau, infinie.

Elles rêveront de langage et, avec ce langage, s’exprimeront ; elles exprimeront l’infini de leur création, l’absence de bornes de l’imagination et de la pensée, et dans leur langage il n’y aura pas de prisons, seulement une vie sans fin. »

« – Je… non." Enfin, la voilà. Voilà la vérité, la soudaine prise de conscience de la situation qui la frappe tel un bouton sur le menton, une explosion de sang et de pus dans la nuit, tandis que son corps s’ouvre et se répand sous les coups de la dure réalité : elle n’est faite que de chair et de tissus entre lesquels serpentent des fluides luisants, miroitants. »

« Jiannis dit "Donne-moi ton téléphone", elle obéit et, tout en murmurant "C’est parfait, chérie, tu es vraiment parfaite, ça va être un parfait…", il achète une autre appli à l’aide de son crédit à elle, et elle regarde par-dessus son épaule tandis que s’effectue le téléchargement du wifi à son téléphone, du téléphone aux nanos qui habitent son corps, et elle s’émerveille des millions de machines microscopiques qui courent dans ses veines, qui s’autodupliquent, qui soutiennent, soignent, entretiennent, et elle se dit soudain que, lorsqu’elle sera enceinte — et elle le sera évidemment un jour —, elle n’est pas sûre de vouloir faire entrer en jeu les nanos, car il y a quelque chose de quasi obscène à imaginer un bébé conçu par du code binaire, un bébé dont la moindre caractéristique est déterminée par un ajustement ADN prénatal, un régime de données siphonné à travers le placenta. »

Zelda, le jardin et le monde
7.6

Zelda, le jardin et le monde (2021)

Sortie : 3 décembre 2021. Essai, Jeu vidéo

livre de Victor Moisan et Alex Chauvel

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Ce n’est pas un hasard si Miyamoto dit que The Legend of Zelda inaugura chez lui le concept des jeux conçus "à la façon des hakoniwa".

Le créateur en chef de Nintendo envisage ces univers comme des aires de jeux concentrées qui s’animent, vivantes, lorsqu'on ouvre la malle ou le tiroir aux trésors, et qui débordent dans notre monde en faisant de ce dernier l'équivalent d’une cour de récréation. En cela, la miniature est proprement libératrice puisque sa petitesse permet l'évocation débridée d’un monde plus grand, né de l’activité d’imagination. Nous voilà revenus à l'un des plus beaux moments de l'enfance, où le fait de se représenter le monde en miniature — qui sur une feuille coloriée, qui dans un jeu de figurines, qui par la construction de petites maisons en carton — est une façon de s’approprier le monde, de le faire sien. Aussi faut-il considérer le jouet non pas comme une copie vulgaire et inoffensive de la réalité mais comme une puissance d’expérimentation. "Ce que j'appelle jardin miniature, c'est un lieu d'expérimentations", précise naturellement Miyamoto, pour qui la conception du ludus est à l’origine bien plus proche des ravissements du bac à sable que du choc esthétique produit par le jardin paysager japonais. »

« L'immensité du jardin japonais doit donc être comprise comme l'effet ressenti devant son fourmillement de miniatures, ouvrant entre elles d'innombrables distances, détours et interstices qui créent du jeu entre les éléments de la composition. Celui qui fait l'expérience d'un jardin à la japonaise se retrouve projeté dans un espace où les échelles de notre monde sont dévalorisées (souvent, on bannit les référents extérieurs qui, par leur taille "réelle", trahiraient l'effet de miniature) afin que le monde puisse être recomposé à partir de subtils rapports d'échelle. Le jardin décrit une forme de microcosme virtuel qui, comme un monde de jeu vidéo, cherche à faire corps au-delà de sa portée symbolique : un arbuste de vingt centimètres au bord d’un filet d’eau ne symbolise pas un arbre au bord d’une rivière ; il le devient par la concentration de notre regard posé sur ce tableau en trois dimensions, "concrétisé", comme le formule Irmtraud Schaarschmidt-Richter. »

Titus n'aimait pas Bérénice
6.6

Titus n'aimait pas Bérénice (2015)

Sortie : 20 août 2015.

livre de Nathalie Azoulai

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Le babil de sa convalescence se modifie. Entre les aphorismes se glissent désormais des vers de douze syllabes, appris au lycée ou non, des vers de la Comédie-Française, raides et vieillots, étrangers, tellement étrangers qu’ils lui donnent tantôt l’envie de faire le voyage et d’atteindre ce pays où les gens se parlent ainsi ; tantôt l’envie de se moquer, d’y plaquer dessus des rires gras, des intonations grossières qui les démantèlent, des syllabes familières, mal articulées, en tout point contraires, si tant est que le contraire d’une langue pareille existe. »

« Jean a dix ans. C’est son premier automne à l’abbaye de Port-Royal des Champs. Il regarde longuement la terre brune reluire au milieu des bandes de verdure. Il n’a jamais vu les labours de si près. La terre reluit tant qu’elle en devient presque rouge. Le rouge et le vert s’allient à merveille. Un peintre devrait peindre cela, pense-t-il, lui qui ne connaît de la peinture que les quelques portraits sévères qui ornent la galerie du réfectoire. Quelqu’un devrait juger important de rendre cette alliance de couleurs qui raconte le dynamisme organique de la terre, les semis, les repousses, la vie des hommes dans la nature. Hamon lui apprend que le sang a parfois ce même aspect gras, qu’il change de couleur selon l’endroit où on va le chercher dans le corps. »

« Dans l’obscurité, les couleurs lui reviennent, grasses, luisantes, le rouge et le vert déposés l’un près de l’autre, apposés. Jean songe que la plupart des choses qui ont du sens s’affirment et se lient de cette façon. À côté et ensemble. Il aimerait parler avec la même densité, poser ses mots comme on pose ses couleurs, avant tout mélange. Car les mots sont pareils à la terre, ils sèchent quand ils sont trop remués, perdent en sens et en force, ont besoin de toujours plus de mots entre eux pour signifier. Il se demande ce que seraient des mots frais puis, las de tant de confusion, enfouit cette question dans un coin de son esprit et s’endort. »

Pour en finir avec la nature morte

Pour en finir avec la nature morte (2020)

Sortie : 19 novembre 2020. Essai

livre de Laurence Bertrand Dorléac

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Là comme ailleurs, les archéologues ont dépassé l’étude des grands monuments prestigieux pour aller plus loin dans la connaissance de ce monde, unifié par l'émergence de l’État vers la fin du JV° millénaire avant notre ère. Mais chaque découverte ne remet pas en cause la place importante des formes dans l’ancienne Égypte, y compris pour l’usage privé. Ainsi, pour ce fossile d’oursin (Echinolampas africanus) de plus d’un millier d’années avant notre ère, découvert par l’égyptologue Ernesto Schiaparelli à Héliopolis en 1903 : il porte une ligne de hiéroglyphes qui peut se traduire par «trouvé au sud de la carrière (k) par le père divin Tjanefer ». Dans la mesure où cette offrande appartient à ces choses conservées dans un dépôt d'objets votifs destinés au dieu Soleil (Rê), dont la forme n’est certainement pas étrangère à leur valeur, Alain Schnapp suggère que ce prêtre découvreur mériterait bien une place dans la galerie des premiers collectionneurs de l’humanité : il fait partie de notre paysage contemporain où les monuments d’éternité sont adorés. »

« C’est la raison pour laquelle les artistes puisent dans l'imagerie du monde ce dont ils ont besoin pour résoudre leurs problèmes urgents sans se soucier de "styles". [...] La liste est bien plus longue des artistes qui puisent dans l’histoire indistincte du passé le plus ancien des formes étrangement amies et familières. Leurs découvertes marquantes demeurent singulières et se produisent parfois in situ mais plus souvent lors des expositions en galerie ou au musée, au marché des antiquités (vraies ou fausses !), dans les ouvrages ou les revues qui assurent la reproduction plus ou moins fidèle des pièces anciennes. Surtout, s’il faut toujours se demander de quels événements l'artiste est contemporain, il vaut mieux avoir en tête qu’il mêle cette actualité à beaucoup d’autres sources anciennes : c’est bien ce mélange détonant qui produit les formes au présent. »

[+ extraits longs en commentaires]

Autorité - La Trilogie du Rempart Sud, tome 2
6.8

Autorité - La Trilogie du Rempart Sud, tome 2 (2014)

The Southern Reach Trilogy - 2

Authority

Sortie : octobre 2017 (France). Roman

livre de Jeff VanderMeer

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Le fantôme était juste là, dans les transcriptions depuis son retour de la Zone X, allant et venant dans le texte. Des choses qui s’étaient montrées dans les espaces vides, rendant Control réticent à prononcer à voix haute les mots de la biologiste, de crainte de ne pas vraiment comprendre les courants sous-jacents et références cachées. Une description isolée d’un chardon… Une mention du phare. Une description en une ou deux phrases de la lumière sur les marais. »

« Certaines rumeurs sur la Zone X étaient compliquées et dans leur complexité, ressemblaient pour Control à des bancs des plus mortelles mais volumineuses méduses de l’aquarium. Quand on les regardait, quand on suivait des yeux leur évolutions onduleuses, elles semblaient à la fois réelles et irréelles, dans le bleu pur de l’eau.

« Non, la vaste collection de textures de la directrice révélait 'seulement' qu’elle s’était absorbée dans son travail, comme si elle avait absolument tenu à consigner aussitôt ses observations, n’avait voulu ni oublier, ni avoir un rédacteur interne interrompre sa quête de compréhension. Ni laisser à un hacker la possibilité de voir les rouages de son esprit, résumés ou non dans un fichier DMP.
Il eut donc à trier non seulement des piles de "documents" de première main, mais aussi un récit désordonné de la vie de la directrice et de ses pérégrinations dans le monde extérieur au Rempart Sud. Informations utiles, parce qu’il n’avait trouvé que des rogatons dans le dossier officiel – soit parce que Grace y avait touché, soit parce que la directrice elle-même avait réussi à ce qu’il se réduise comme une peau de chagrin. »

« Les autres l’entouraient, telles des constellations, puis il y avait de préoccupantes phrases et locutions en une riche patine de biffures, recouvrements de peinture et autres marquages, comme si quelqu’un avait créé un compost de mots. Il y avait aussi une frontière : un anneau de flammes rouges qui se transformait aux extrémités en monstre bicéphale, avec la Zone X dans son ventre. »

« Comme Control détestait sa propre imagination, qu’il aurait voulu voir se flétrir, brunir et se détacher de lui. Il était plus disposé à croire que quelque chose dans ces notes l’observait, le regardait en restant caché, qu’à accepter que la directrice se soit fourvoyée dans des impasses. Il n’arrivait pourtant pas à le voir : il ne voyait toujours qu’elle en train de chercher, et se demandait pourquoi elle le faisait avec autant d’énergie. »

Les Petites Terres

Les Petites Terres (2008)

Bribes, fragments, parcelles

Sortie : février 2008. Récit, Autobiographie & mémoires

livre de Michèle Desbordes

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« J'ai pensé aux choses qui commençaient, au froid et au gris et à la tristesse de ces jours-là. À toi là-bas dans la petite chambre qui peut-être, quelque part autour du lit, autour des livres, dans la pénombre douce des lampes et l’air que tu respirais délicatement, si délicatement, percevais ce qui venait vers toi, arrivait lentement, à pas comptés, mesurés comme le fauve qui avance vers sa proie, de loin l’a repérée dans les buissons et le taillis. Le fauve avançait doucement et doucement tu te mettais à l’écart, tu te retirais comme on se retire pour ces choses-là sans se dérober, à peine un repli, un silence plus grand, et ce regard plein de fatigue et de lenteur qu'on voit à ceux qui renoncent, alors on comprenait, on se disait qu’une sorte de patience, de vaillance peut-être t'avaient fait tenir jusqu'aux derniers mois, aux derniers jours, que peut-être là sous le grand, le terrible dénuement quelque chose d’inconnu, quelque chose d’insoupçonnable t'avait fait résister, tenir comme tiennent les braves et même les autres, à ces moments-là on ne distingue plus rien de la bravoure ni de la faiblesse ni de toutes ces choses qu'on ne peut s'empêcher d'imaginer, et qu'à présent tout ça, la vaillance, la patience et tout ce qu’il avait fallu pour arriver Jusque c'était fini, ça avait assez duré. Il y a eu ce moment j'ignore lequel où ton sourire a disparu pour ne plus revenir, je ne crois pas l'avoir pensé, fût-ce sans mots sans images me l’être dit comme parfois on se dit les choses. Un jour, une de ces dernières fois dont on ignore qu'elles sont les dernières tu as souri, ton visage a paru s'éclairer, il a paru dire Tu es là tout va bien, puis tu t'es éloigné sans te retourner »

Les Derniers Jours des fauves
7.4

Les Derniers Jours des fauves (2022)

Sortie : 3 février 2022. Roman

livre de Jérôme Leroy

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Mais ce sera pour une autre fois car l’exercice de l’uchronie est toujours délicat. Imaginer un cours différent aux événements politiques désormais connus de tous, comme l’élection de Nathalie Séchard, le 6 mai 2017, serait un défi que le narrateur ne se sent pas capable de relever. »

[Macron passe :] « Elle apprend, par la bande, qu’elle a grillé la politesse à un jeune mec arrogant qui avait eu la même idée qu’elle, la même analyse de la situation. C’est le secrétaire général adjoint de l’Élysée. Dépité, le type a démissionné de son poste et a rejoint la banque d’affaires d’où il venait. »

« Clio ne dit jamais de gros mots. Clio estime que c’est une preuve de faiblesse ou de mauvais goût. Elle aime seulement les insultes situationnistes, celles dans les lettres envoyées par Guy Debord à des destinataires qu’il méprisait. Elle fait son régal des deux minces volumes gris de La Correspondance de Champ libre :
– L’insulte est un art, mon Lulu, c’est-à-dire le contraire de la vulgarité.»

« Pourtant, ce roman est bref et désincarné comme il se doit chez l’éditeur aux couvertures blanches et au liseré bleu. Mais Lucien croit au style et seulement au style, comme Flaubert. Le problème, c’est que contrairement à Flaubert, il n’est pas rentier [...]»

« Quand le virus est arrivé, il y a quinze mois, Manerville a été sidéré, comme tout le monde, mais pas surpris. Il avait toujours pensé qu’il ferait partie d’une génération qui allait devoir vivre avec la perspective d’un effondrement.»

« Ce petit monde-là, au fil des années, s’était rencontré, croisé, reniflé dans les lieux habituellement fréquentés par l’hyperclasse : lobbys d’hôtels dubaïotes, expositions new-yorkaises, fêtes tropéziennes, festivals de cinéma à Venise, opéras wagnériens sur la colline sacrée de Bayreuth. Des connexions s’étaient produites autour d’une vision commune de l’avenir. La cristallisation s’était faite grâce au notaire Cardot qu’il faut imaginer comme un personnage balzacien où, derrière une allure passe-partout, agit un génial gestionnaire de fortunes, un vrai Mozart de l’optimisation fiscale dont l’étude parisienne, avenue de la Grande Armée, est l’Ultima Thulé de tous ceux, assez nombreux, il faut bien l’avouer, qui n’ont pas du tout, mais alors pas du tout l’intention de se soumettre à des impôts confiscatoires, même si ça va un peu mieux depuis que Séchard est à l’Élysée : elle ne peut pas avoir non plus tout raté, celle-là. »

Les Enfants de Dune
7.6

Les Enfants de Dune (1976)

Le Cycle de Dune, tome 3

The Children of Dune

Sortie : 1978 (France). Roman, Science-fiction

livre de Frank Herbert

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Là-bas, derrière ce mur qui les séparait du Bassin du Nord se trouvait le centre de tous ses problèmes.
Dans l’ombre brûlante, l’aube pointait, maintenant. Le soleil se glissait entre les turbans de poussière et de minces franges blêmes se dessinaient entre les replis rouges de la tempête qui s’éloignait. Fermant les yeux, Leto essaya d’imaginer la venue de ce jour sur Arrakeen, et la cité fut là, soudain, au centre de son esprit, comme un jeu de boîtes dispersées entre la lumière et les ombres nouvelles esquissées par le jour. Le désert… les boîtes… le désert…
Il ouvrit les yeux et seul le désert subsista. »

« Pouvait-il vraiment faire un tel choix ? Les enfants de Muad’Dib étaient-ils responsables de cette réalité qui occultait les rêves des autres ? Non. Ils n’étaient que les lentilles par lesquelles filtrait cette lumière qui révélait des formes nouvelles de l’univers. »

« Toutes les formes de son passé humain et non humain, toutes les vies auxquelles il commandait à présent étaient enfin intégrées en lui. Il était pris dans le flux et le reflux des nucléotides. Sur la toile de fond de l’infini, il était une créature protozoaire chez laquelle la naissance et la mort étaient virtuellement simultanées, mais il était à la fois infini et protozoaire, une créature aux souvenirs moléculaires.
Nous, les humains, sommes une forme d’organisme-colonie ! pensa-t-il. »

« Ils vendent des morceaux de marbre corrodé, dit Duncan en les désignant. Savais-tu cela ? Ils les déposent dans le désert et les vents de sable les sculptent. Parfois, les formes sont intéressantes. Ils disent que c’est une nouvelle forme d’art, très populaire, de véritables œuvres du vent de Dune. J’ai acheté une de ces pièces la semaine dernière, un arbre doré à cinq branches. Gracieux mais très fragile. »

Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science...

Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science...

Sortie : 16 mai 2018 (France). Jeunesse

livre de Loïc Mangin

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Venons-en à l'absence de Lune dans le reflet des eaux du fjord. Certains ont proposé des explications symboliques ou psychanalytiques. Pourtant, les lois de l'optique et de la réflexion suffisent. [...] La Lune réfléchie devrait être perçue selon le même angle, mais cette direction est déjà occupée par le reflet de la maison : la Lune disparaît naturellement. Ce phénomène explique également pourquoi le toit de la maison et son reflet ne sont pas identiques. Si la vie de Munch est jalonnée de drames, il n’en avait pas pour autant perdu tout discernement. »

« À sa décharge, Léonard de Vinci, qui fut le premier à représenter un tel édifice géométrique, n’avait à sa disposition que les instructions de son ami Pacioli. Il n’avait sans doute pas de modèle, du moins n’en connaît-on aucune trace. Aucun modèle ? Pourtant, sur le portrait de Luca Pacioli attribué au peintre Jacopo de' Barbari, le solide suspendu à sa droite est bien un rhombicuboctaèdre ! Regardons de plus près ce tableau, daté de 1495 et dont la paternité est contestée. Pacioli, habillé en franciscain, illustre sur une ardoise marquée Euclide un théorème de ce dernier. Sa main gauche est sur les Éléments d'Euclide, ouverts au niveau du livre XIII. À droite, sur la table, un dodécaèdre en bois est posé sur un livre, probablement la Summa de arithmetica, geometria, proportioni et proportionalita que Pacioli a publiée en 1494, à Venise. L'identité de l’homme, au second plan, est incertaine : certains reconnaissent Guidobaldo de Montefeltro, 3e duc d'Urbin, d’autres Albrecht Dürer.

Le rhombicuboctaèdre semble être en verre et devait donc être lourd, d'autant plus qu’il est à moitié plein d’eau. Comment un tel récipient pouvait-il être suspendu par un fil si fin ? Des artisans de cette époque étaient-ils capables de fabriquer des joints étanches pour un objet aussi complexe ? Ces questions jettent le doute sur la réalité de ce modèle. Autre indice, plus probant: le rendu du fil sur la toile, et notamment sa réfraction à travers l’eau et le verre, n’est pas réaliste, la version moderne du rhombicuboctaèdre en attestant : le fil devrait paraître coupé, à l'inverse de ce que l’on voit sur le tableau.
Ainsi, tant Barbari que Vinci ont dessiné le rhombicuboctaèdre sans modèle. Rendons-leur justice, pour un solide à 26 faces, c’est plutôt réussi ! »

Dans le visible

Dans le visible (2023)

Sortie : 9 novembre 2023. Poésie

livre de Christophe Langlois

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Certains jours éclatent singulièrement
entaille de la couleur dans la taie de l’œil
animation du sang sous la tessiture
oiseau comme une soie qu’on triture
dehors nos pas pressés l’ignoraient
martelaient la majestueuse torsion des tulipes
et ces signaux disparus soudain évidents à faire peur
à la fenêtre d’en face
  
C’est l’inversion tant attendue
la peau des nuits redevenue précieuse
d’où sortez-vous qu’on ne sente
depuis les caves jusqu’aux soupentes
tubercules et fruits pousser leur inexorable vie ?
maintenant à cloche-pied voici nos baisers maladroits
chaleur invisible au tissage de l’instant
reflet éblouissant — toi ! — »


« Tu te régales du simple surgissement de vivre
comme d’une essence trop tôt dérobée
dont il n’est donné qu’à toi de humer l’arôme
Alors interdit d’avoir vu la mer étale
l’immense mot dont chaque lettre est l’égale
tu nous ouvres les bras en cerisier magnanime
ô jour plein sonnant de l’éphémère clarté !
Prêt à danser manches bouffantes chemise blanche
devant la sainte prodigalité
arche aux merveilles d’une vie sentie
d’elle tu es le signe-servant fier
Ce bel orgueil à ton front nous apprend à chérir le demi-jour
ce bord indistinct cette quille où tu te tiens
où rien n’est sûr qu’espoir
afin qu’accueillis par toi nous avancions à notre tour
jusqu’au comble de vie qui est vie »

Adrienne Mesurat
7.8

Adrienne Mesurat (1927)

Sortie : 1927 (France). Roman

livre de Julien Green

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Aussi quel précieux spectacle c'eût été pour un observateur que ce jeu de cartes quotidien ! Ces trois personnes étaient réunies autour de cette lampe, que d'intérêts les divisaient, que de pensées hostiles dans leurs cœurs ! Le père craignant pour la paix et les habitudes de sa maison, une fille torturée d'amour, l'autre de jalousie et de curiosité. Et il semblait que tout cela fût représenté d'une manière concrète par ce jeu qui consistait à prévenir le voisin dans son plan d'attaque, à faire avorter ses projets et à triompher de lui. Dans le silence, les cartes s'abattaient sur le marbre avec un petit bruit sec et de temps en temps une voix proclamait un résultat, émettait une appréciation brève. »


Adrienne ne répondit pas. Il lui semblait que dans cette pièce qu'elle connaissait si bien, quelque « chose d'inconnu se glissait. Un changement indéfinissable avait lieu ; c'était une impression analogue à celle que l'on peut avoir dans les rêves ou des endroits que l'on sait n'avoir jamais vus paraissent familiers. A un premier mouvement de curiosité succède l'effroi puis la terreur de ne pouvoir s'enfuir, de se sentir immobile et prisonnier. Elle se demanda si elle ne devenait pas folle, et jeta un regard autour d'elle. Ce n'était pas l'aspect connu des choses qui la frappait mais plutôt leur caractère étrange et lointain; cependant, comme dans un rêve, elle éprouva l'horreur de ne pouvoir faire un mouvement, d'être retenue par une force invisible entre ce fauteuil et cette table. »


« Assurément, il était heureux : sa vie était des plus simples, mais elle était faite d'habitudes qu'il avait prises les unes après les autres, comme on choisit des fleurs, des cailloux rares au cours d'une longue promenade, et il les chérissait de tout son cœur. Le tour quotidien à travers la ville, l'arrivée des journaux du soir, l'heure des repas, autant de moments agréables pour cet homme qui semblait ne jamais devoir quitter ce monde, tant il mettait de joie et d'énergie à y tenir sa place. »

Demain, les animaux du Futur
8.1

Demain, les animaux du Futur (2015)

Sortie : 20 mai 2015. Essai, Sciences

livre de Jean-Sébastien Steyer

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Les simulations sont fondées sur des modèles. Pour faire simple, un modèle est un peu comme un énorme logiciel bourré d'équations qui mettent en jeu des variables (mouvement des masses d'air, taux d'épargne des ménages, etc.) et des lois (comme les lois de la physique des fluides dans un modèle climatique). Un modèle n'est jamais définitif, il est toujours perfectible en fonction des connaissances que l'on a du phénomène et de ses lois. Galilée a visé juste lorsqu'il a écrit que "le livre de la nature est écrit en langage mathématique". Aujourd'hui, à l'ère des supercalculateurs, tout ou presque est devenu quantifiable, modélisable, simulable. Les mathématiciens nous apprennent que même les systèmes chaotiques sont modélisables à l'aide de fractales. L'évolution biologique est-elle prévisible ou modélisable ? En écologie quantitative, l'évolution d'une population donnée peut être modélisable à court terme et dans une région géographique limitée. Mais, comme nous l'avons rappelé dès les premières lignes de l'ouvrage, ce n'est pas le cas de l'évolution des espèces. L'évolution est un phénomène contingent et chaotique (au sens physique du terme) faisant intervenir une Infinité de paramètres aussi bien biotiques (compétition entre espèces, mutations génétiques, etc.) qu'abiotiques (variations climatiques, impacts météoritiques, etc.). Elle n'est donc ni modélisable ni prédictible. »

Nushku

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