L’année dernière, la découverte de Handprint Negatives, le premier Ep publié en France (en Europe…) des Néo-Zélandais de Ha the Unclear s’avérait l’une des plus belles surprises de 2023. On y découvrait des zinzins produisant une musique qui ne ressemblait à pas grand chose. Un an plus tard, une tentative plus « sérieuse » de débarquement, ou plutôt de reconnaissance par chez nous se matérialise avec ce « premier » album joliment nommé, avec un sens de la modestie (de l’auto-dérision) qui caractérise leur leader, Michael Cathro, A Kingdom in a Cul-de-Sac.

Soyons néanmoins précis pour éviter tout malentendu, il ne s’agit pas complètement d’un nouvel album de la part d’un groupe qui en a déjà publié deux – assez confidentiels – en Nouvelle-Zélande : Bacterium, Look At Your Motor Go (2014) et Invisible Lines (2018). On va parler plutôt d’une compilation d’anciens et de nouveaux titres qui puisse offrir au public français / européen une vision à peu près exhaustive de la musique d’un groupe qui a un talent foudroyant pour partir dans tous les sens. On retrouve d’abord les 5 titres merveilleux déjà compilés sur Handprint Negatives, sur lesquels on ne reviendra pas ici, vu l’enthousiasme débordant qu’on a manifesté à leur propos il y a un an. Mais pas de panique ! Il reste sept titres à découvrir : trois anciennes, dont l’efficace Wallace Line, datant de 2018, qui a tout d’un tube, et quatre toutes nouvelles chansons, qui, tout en restant dans le même ton (mais quel ton ?), balaient un spectre musical hallucinant, et touchent à chaque fois juste au centre de la cible : notre cœur.

Pour comprendre un peu mieux toute cette histoire, dont la complexité tranche avec la limpidité et l’évidence absolue de la musique de A Kingdom in a Cul-de-Sac, on a pu rencontrer Michael Cathro, originaire de la fameuse ville de Dunedin (le centre de la musique néo-zélandaise de la « grande époque »), au lendemain du concert au Supersonic. « Au début, j’ai commencé tout seul dans ma chambre, j’ai réalisé un premier EP, auto-produit, puis je me suis dit, bon il faut que je joue ces chansons sur scène, il me faut un groupe. On a démarré en 2011 de manière très organique, avec une batterie qui est était juste un carton, avec une pelle comme caisse claire ; on jouait dans les cafés, mais les chansons devenaient plus complexes, on a rajouté de la guitare. Mon style d’origine, c’était plutôt de l’anti-folk, comme les Moldy Peaches, cette scène new-yorkaise avec cette merveilleuse (fausse) naïveté, Adam Green, etc. C’était une façon aisée de débuter dans la musique, mais sur les deux albums que nous avons fait, j’ai cherché des arrangements plus complexes. Il y a eu des changements de musiciens avec le temps, mais la plupart du temps avec mon frère Paul à la basse. On a un nouveau batteur, mais la formation est stable maintenant avec Theo, à la guitare qui est là depuis un bon moment. »

Même si, quand on joue au jeu des influences à propos de la musique de Ha The Unclear, on est sûr de perdre, on note un soupçon du fameux Dunedin Sound, comme dans la belle cavalcade de Fish. Michael : « Oui, ces groupes [du Dunedin Sound] sont toujours influents, et toujours actifs, on a joué avec The Chills l’année dernière ! Chris Knox vit juste à côté de là où je travaille, il a eu une attaque, malheureusement, il n’est plus mobile, mais il a toujours le même esprit !« .

Avec cet album volontairement conçu comme une carte de visite, on est à nouveau frappés par la versatilité de Ha The Unclear, par le fait que chacune des chansons semble partir dans une direction différente, explorer une autre manière de faire de la musique. Michael est très clair sur ce sujet : « Je m’ennuie très vite, et il est difficile de nos jours de trouver des groupes qui se différencient réellement de tout ce qui a déjà été fait. Je cite par exemple Parquet Courts qui réussissent ça… ce truc unique. Personnellement, je ne peux pas écrire la même chanson deux fois, si je recherche une atmosphère similaire à une de mes chansons précédentes, je me dis : « Non, je l’ai déjà fait ! ». C’est comme revoir le même film une deuxième fois, ça m’ennuie, je connais déjà l’histoire ! Chacune de mes chansons doit être unique, j’en ai besoin pour me sentir excité par ce que je fais ! »

A propos de Strangers, qu’on pourrait réduire à l’histoire d’un coup de foudre (potentiel) dans un ascenseur, Michael explique : « Je viens de terminer des études sur le travail du philosophe français Gilles Deleuze et le concept de connexion chaotique, et je pense que ça a commencé à influencer mon écriture. Strangers, c’est moi qui imagine quelle serait la dynamique que je pourrais avoir des gens avec lesquels je partage du temps dans l’ascenseur, dans le métro, ou simplement des gens croisés dans la rue… Ces micro-interactions sont fascinantes… »

Et puis il y a cette étonnante version déconstruire du tube des Rita Mitsouko, dont on ne reconnait que des fragments de paroles en français au milieu d’une réappropriation totale par Ha the Unclear : « C’est Comme Ça est une chanson que nous adorons, ça ne dénote pas particulièrement de notre part un amour de la France (rires). Non, c’est juste un morceau tellement unique, avec des vocaux fantastiques. »

La délicate et (faussement) dépouillée Infatuated est l’une des nouvelles chansons qui nous touchent le plus, tant elle dégage un sentiment de naïveté, de pureté dans l’expression des sentiments, de fragilité : « Quand on a démarré, il y avait chez nous cette approche de faire du bruit avec des guitares acoustiques, mais pas avec un accent américain comme on a tendance à faire au début, plutôt notre accent à nous. Mais il y a chez nous une vraie fragilité. J’essaie très fort d’exprimer des choses extrêmement intimes avec des mots qui soient compréhensibles aux autres« . Mais la mélodie prend ensuite son essor et la chanson s’élève vers les cieux. Et la magie se reproduit avec la merveilleuse conclusion de l’album, Mind and Matter, tout simplement bouleversante.

Quel est donc le secret de Ha the Unclear ? Michael a une réponse, même s’il a l’intelligence d’être tout sauf péremptoire : « Je fais attention quand j’écris une chanson de ne pas vouloir être tellement universel qu’au final tout est dilué, que je ne dis plus rien de significatif. La spécificité établit plus de connexions avec les autres que l’universalisme. La description d’expériences personnelles, spécifiques, est un défi immense, avec la contrainte des mots. Et il faut éviter la pensée binaire, bon / mauvais, qui nous limite tellement… »

Spécificité et ambigüité, sincérité et versatilité, des qualités rares dans le Rock, qui rendent la musique de Ha the Unclear étonnante. Et puis, quand même, un incroyable talent pour écrire des mélodies fantastiques !

Cette chronique inclut des propos de Michael Cathro enregistrés lors de l’interview qu’il nous a accordé le 19 avril.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/04/25/ha-the-unclear-a-kingdom-in-a-cul-de-sac-debarquement-neo-zelandais/

EricDebarnot
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le 29 avr. 2024

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Eric BBYoda

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