Quand j’ai eu entre les mains ce one-shot pour la première fois, deux éléments m’ont interpellé :
- d’abord sa taille : près de 290 pages, cela donne un format un peu éloigné des tomes habituels mais permet de disposer de 10 chapitres, pour un développement de l’histoire qui ne soit pas marqué par l’urgence ;
- ensuite sa couverture avec le regard, ainsi que la posture, de Masatomo Tanahashi, les mains sur les bretelles de son cartable… Il y avait aussi le jeu des couleurs mais ce petit bonhomme de sept ans a eu toute mon attention, du début à la fin de la lecture, et même bien après.
Sans aller à l’école je suis devenu mangaka nous montre comment le dérapage d’une prof’, alors que Masatomo avait 7 ans, va avoir un effet boule de neige et l’empêcher d’avoir une scolarité « normale ». L’école devient rapidement pour notre héros un lieu de souffrances et non d’épanouissement. C’est une épreuve d’y aller, d’y entrer, d’être dans la salle. Il fait un blocage, un vrai de vrai, et cela va peu à peu l’éloigner des autres qui ne vont pas se gêner pour se moquer de lui (l’école, un autre univers impitoyable). Réalité d’un système scolaire : les professeurs sont différents, le courant ne passe pas de la même manière avec tous les élèves, ils n’ont pas tous la même approche, méthode et pour les élèves qui ne s’accrochent pas au navire classe, on ne pourra pas toujours jeter une bouée de sauvetage.
C’est ce qui arrive à Masatomo. On comprend à travers les épreuves qu’il subit, à travers ses pensées, comment il se représente lui et sa position dans la salle de classe. On sympathise avec lui, on comprend (même imparfaitement) ses souffrances muettes, on est triste de voir qu’il ne peut extérioriser cela, que le déclic ne se produit pas. Aucune potion magique n’est là pour tout résoudre.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé pourtant : psy’, professeurs qui passent à la maison, cours particuliers, préparer son trajet pour l’école, l’école de rattrapage de la « célèbre » Me Inagawa… beaucoup de choses sont tentées mais il n’y a pas de décollage. Et le manga met le doigt sur le fait qu’il n’y a aucune mauvaise volonté de la part de Masatomo, ni de ses parents. Le jeune garçon essaye mais ça ne veut pas. Il ne le fait pas exprès. Le « cancre » qui dit non avec la tête mais oui avec le cœur n'est pas un fainéant qui devrait travailler plus pour réussir. Même quand notre héros donne tout ce qu’il a pour réussir, essaye de s’intégrer, devenir « un autre », il se rend compte que ce n’est que temporaire et qu’il doit encore franchir d’autres marches pour rattraper les autres.
Surtout que Masatomo ne vit pas bien cette situation. Alterner entre des phases à l’école et des phases où il ne peut y aller n’est pas source d’épanouissement. Cette scolarité n’est pas agréable. Être chez lui la journée n’est pas le paradis. Il ne manque pas de regarder par la fenêtre ses camarades quand ils rentrent de l’école. Il aimerait être avec eux. Cela me fait penser à ces moments où, plus jeune, lorsque j’étais malade, je restais une journée à la maison et faisait des pieds et des mains pour retourner à l’école le lendemain, parce que je m’ennuyais et voulait retrouver mes camarades et le chemin de l’école le plus vite possible. Ce chemin, notre héros n’arrive pas à le reprendre.
Heureusement, il a une passion : les mangas, notamment Dragon Ball. A 7 ans, Masatomo dessine bien mieux que moi actuellement ! Je ne vous raconte pas comment l’écart se creuse au fil du temps… Cet intérêt pour le manga va être sa bouée de sauvetage, sa bouffée d’air frais. Un endroit où il n’a aucun complexe à avoir, aucun blocage. Il va dessiner, dessiner… et puis un jour une rencontre aura lieu, qui va changer sa vie.
A la fin, on comprend que la vie de l’auteur/du personnage principal n’est pas toute rose. Mais il a le sourire. Parce qu’il fait quelque chose qui lui plaît, un métier pour lequel il peut se donner à fond. On tient là un espoir, une promesse : ses jeunes années n'ont pas été faciles mais elles ne le bloquent pas. Il a pu avancer, trouver sa place.
Le titre de cet avis est un clin d’œil au roman de Daniel Pennac, Chagrin d’école où l’auteur nous parlait justement de ses problèmes à l’école. De nombreuses pages trouvent un écho à ce qui se passe dans Sans aller à l’école... (voir par exemple la partie IV : « Tu le fais exprès »…). Le passage qui suit m’a passablement marqué et il résonne un peu plus fort quand on a fini de lire le manga : « On les entend, ces malins, dans les salons, sur les ondes, présenter leurs déboires scolaires comme des hauts faits de résistance. Je ne crois, moi, à ces paroles, que si j’y perçois l’arrière-son d’une douleur. Car si l’on guérit parfois de la cancrerie, on ne cicatrise jamais tout à fait des blessures qu’elle nous infligea. Cette enfance-là n’était pas drôle, et s’en souvenir ne l’est pas davantage. […] Pour autant, le cancre tiré d’affaire ne souhaite pas qu’on le plaigne, surtout pas, il veut oublier, c’est tout, ne plus penser à cette honte. Et puis, il sait, au fond de lui, qu’il aurait fort bien pu ne pas s’en sortir. Après tout, les cancres perdus à vie sont les plus nombreux. J’ai toujours eu le sentiment d’être un rescapé. » (p. 95-96)
Syoichi Tanazono nous livre, avec ce one-shot, son vécu, qui balaie bien des idées reçues sur les enfants en échec scolaire. Masatomo est un jeune garçon que l'on a envie, dès la couverture, de prendre dans ses bras pour consoler cette tristesse scolaire. Sur le tableau noir du malheur et même sans craie de toutes les couleurs, Syoichi Tanazono dessine le visage du bonheur avec Sans aller à l'école, je suis devenu mangaka.