Une regrettable erreur de parcours

Que je n’aime pas ces œuvres qui s’entament ou qui se concluent sur un apophtegme creux ayant quelques vertus prétendument philosophiques. Rien, en tout cas, ne crie mieux « je me la pète » que ce genre de procédé. Et c’est là-dessus que trébuche d’emblée Buraiden Gai alors qu’il nous annonce les faits.


Un protagoniste aux airs « cool » - autant que puisse le permette le dessin très géométrique de son auteur - qui tabasse huit policiers comme si de rien n’était pour afficher une dégaine ténébreuse avec une chemise couverte de sang… non, décidément, Nobuyuki Fukumoto ne nous avait jamais habitué à quoi que ce soit de si tapageur. Lui accordant le bénéfice du doute, j’en venais à croire qu’il avait prêté sa plume à un confrère pour l’accorder au seul dessin. Mais rien n’y faisait, je ne trouvais pas un élément pour le disculper alors que le dessin, comme l’écriture, étaient tout deux de son fait.


Il est parfait l’homme-là, celui dont on suit les pérégrinations. Et, précisément parce qu’il est parfait, on s’en désintéresse. Il devine tout à l’avance comme s’il lisait dans les pensées de ses adversaires, fait preuve de prouesses martiales l’amenant à vaincre le tout venant… vraiment, je cherche inlassablement à vérifier si le scénario a été écrit par quelqu’un d’autre. Mais non… c’est bien du Nobuyuki Fukumoto. Du moins de nom, car son style ne se sera jamais autant compromis qu’en cette circonstance.

Et ça cause pour ne rien dire, pour mieux faire passer le personnage principal pour un malin… mais plus il se perfectionne en étalant sa magnificence immaculée et imparable, et moins on veut en savoir sur lui. Kaiji est un protagoniste qui plaît car il est vulnérable et faillible. Ici, pas même Kenshirô n’aurait pu contrer Gai.


Il y a un travail de recherche sur le système judiciaire, notamment celui incombant aux mineurs dont on avait eu un aperçu du système carcéral dans Bakuen Retto ou encore Shamo. Mais si ce n’est ça, on ne trouvera pas matière à se repaître d’un contenu valable. Une histoire de vengeance se tapisse en toile de fond. Poisseuse la toile ; qui ne donne en tout cas pas envie qu’on se laisse prendre dans ses filets.


Le milieu carcéral, ici, est ridicule. Le coup du sédatif pour emmener deux mineurs dans une prison impitoyable n’a pas le moindre sens sur le plan scénaristique ou scénographique. Tout cela est purement gratuit et stupide pour créer une tension indue et un drame qui n’apparaît que depuis les profondeurs du néant. Certains douteront du ridicule de la chose, ne voudront pas croire que Fukumoto soit tombé aussi bas… eh bien figurez-vous que dans cet institut carcéral pour mineur spécial, les gardiens ont des uniformes de S.S et il y a des miradors aux remparts.


Oui. À ce point.


Une fois encore, pour chercher à me rassurer, je scrute fébrilement le nom du scénariste en espérant que celui de Nobuyuki Fukumoto n’apparaisse pas. Et pourtant... et pourtant. Bon Dieu, j’avais par moments l’impression de relire Rainbow. Quelle terrible erreur de parcours que celle-ci monsieur Fukumoto… on peine à croire qu’un auteur de votre trempe ait pu se compromettre avec ce manga avant de se rattraper à l'écriture avec l'excellentissime Saikyou Densetsu Kurosawa.


Néanmoins, le passé de Gai, exception faite de ses jérémiades adolescentes, contribue à l’absoudre de sa perfection d’apparat du premier volume. Du moins si l’on fait abstraction du fait qu’il soit devenu un maître du combat en deux temps et trois mouvements. Le coup monté dont il fut victime, en outre, n’était pas des plus astucieux. D’autant que le plan est transpercé de part en part par des élans de facilité scénaristique bien peu crédibles. La famille Hirata qui corrompt à la fois le médecin légiste, la police venue constater le corps et l’institut carcéral juvénile… on y croit très péniblement.


Puis, Gai s’en va nous faire un salto arrière depuis le deuxième étage pour retomber sur ses pieds et sans même une crampe. Chacune de ses actions semble a voir été pensée et envisagée pour mieux décrédibiliser l’œuvre dont il est le héros. La tentative d’évasion qui fera suite sera digne d’une œuvre de science-fiction tant elle est improbable dans les faits. C’en est gênant à lire.


Le gros du manga sera une séance de torture où les prisonniers devront vivre comme des chiens et répondre à des questions sournoises du gardien-chef. Le reste, une évasion. Le récit ne sait pas où il va depuis le premier jour où, hagard, il chemine pour aboutir à un parcours bien mal branlé, pavé par la gratuité d’élément scénaristiques pompeux et arriérés. Si on m’avait dit que j’écrirais un jour ces mots pour accabler une œuvre de Nobuyuki Fukumoto, jamais je ne l’aurais cru. Mais les faits sont là. Et ils sont accablants.


Le coup de l’explosion de gaz providentielle qui est advenue exactement au moment de l’alibi en vidéo… ça n’est plus de la facilité scénaristique. Il faut s’en remettre aux néologismes pour mieux déterminer ce que caractérise ce phénomène du point de vue de l’intrigue. À défaut d’avoir un terme approprié, on appellera ça du foutage de gueule ostensible. Je n’ai jamais vu ça et je n’aurais jamais cru le voir venir d’une œuvre de Fukumoto. La dégringolade n’en finit pas. Dieu merci, Buraiden Gai ne dure que cinq tomes. Allez savoir jusqu’où serait descendu son auteur si cela avait dû continuer.


Et toutes les pistes d’intrigue se concluent finalement dans un ultime chapitre venu soudain tout concentrer d’un coup afin d’aboutir à une conclusion mièvre et prévisible au possible. Oh non, décidément, je ne pouvais pas attribuer une note convenable à cette œuvre. Moi qui croyais son auteur immaculé, je constate qu’il lui est arrivé d’avoir quelques modestes faiblesses entre deux élans de force. Tout cela n’était heureusement qu’une malheureuse passade sur son parcours… mais quelle débandade.

Josselin-B
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le 5 avr. 2024

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Josselin Bigaut

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