Au vu du résultat, l’idée parait évidente : il fallait rien de moins que l’animation pour mettre en image l’univers littéraire foisonnant d’Amélie Nothomb. Métaphysique des tubes était un récit autobiographique atypique, écrit du point de vue d’une enfant capable de s’exprimer presque dès sa naissance, l’autrice exploitant (extrapolant, dirons-nous) ses dons d’hypermnésie pour construire un point de vue singulier sur le monde des adultes et la cellule familiale. Le film épouse pleinement cette originalité : l’alliance entre la voix off d’un être à l’égocentrisme démesuré (se présentant comme Dieu, donc) et la découverte progressive du monde se déploie dans un large spectre de sensations, de mouvements et de couleurs. Alors que l’enfant est au départ dans sa bulle, la cathartique découverte des sens par le goût du chocolat blanc (et l’identité originelle Belge) révèle brutalement un environnement univoquement exotique. L’espace se déploie (la maison, le jardin, la ville, la plage), les interlocuteurs se diversifient, dans une galerie de portraits permettant d’abord de découvrir les siens, avant de prendre conscience que le noyau familial est lui-même une bulle identitaire perdue au milieu d’un pays doté de son folklore, ses coutumes, ses saveurs et sa palette chromatique.
Les techniques d’animation, qui proposent une déclinaison des aplats proposés par Rémi Chayé dans Tout en haut du monde ou Calamity (les réalisateurs Maïlys Vallade et Liane-Cho Han ont travaillé avec lui sur ces longs métrages) ont le bon goût de coller à la singularité du récit, en évitant le lissage de l’animation numérique conventionnelle.
Par le prisme de l’enfance, l’esthétique est d’abord celle de l’enthousiasme l’hyperbolique l’apprentissage de la marche, la course, vertigineuse ou la découverte des fleurs qui offre une nouvelle déclinaison à la superbe séquence du Voyage de Chihiro. Mais c’est aussi un biais qui permet de redessiner, avec tact et tendresse, l’appréhension de réalité plus graves : le portrait de la propriétaire, japonaise rigide qui « se retient d’aimer », ou cette vision d’un récit de guerre subis par la famille de sa nourrice qu’Amélie retranscrit dans sa perception de sa préparation du repas, où les explosions et les bombardements sont figurés par la vapeur ou les tronçons de légumes. Le récit initiatique se confronte ainsi à la prolifération de la vie, tout comme de la mort qu’elle implique (le rite des lanternes, la disparition de sa grand-mère), et condense, en 1h15, toute la magie des premiers pas. De quoi remplir un bocal de souvenirs, dans lequel le vide est bigarré de couleurs et de toute l’intensité des premières fois.