La phrase prononcée par Gilles Deleuze retranscrite à l'écran "Ne soyez jamais pris dans le rêve de l’autre..." est l'antithèse du nouveau long-métrage (dé)borderline de l'inventif Bertrand Bonello. En prologue, un court-métrage comme une lettre lue à sa fille, Anna 18 ans, confinée comme tant d'autres jeunes filles en 2020, à l'aube de son passage à l'âge adulte. Ces phrases adressées mêlent inquiétudes et espoirs dans un temps figé où s'est endormie la confiance, une forme de Coma existentiel. En réponse : un geste de cinéma déjà daté, un geste clair comme un retour de printemps, un geste fou comme une rafale de vent.


Une jeune fille (Louise Labeque) a pour océan une chambre et pour radeau un simple lit. Elle pagaye sans même se mouvoir dans ses propres strates sédimentaires, voyage interne aux vagues tantôt plates tantôt houleuses. Capitaine d'un bateau sans nulle autre destination que ses obsessions, pour l'écologie et ses arbres qui tanguent, pour les tueurs en série et les poupées barbie, pour la liberté et le libre-arbitre, la jeune fille aperçoit l'horizon se brouiller, l'avenir l'angoisser, son réel se disloquer.


Enfermée dans sa chambre, la jeune fille entretient un rapport au monde extérieur par le judas du virtuel, celui de Patricia Coma (Julia Faure), influenceuse internet, brouillant la porosité entre rêve et réalité. Le dynamisme, si ce n'est l'éclatement formel de Coma (images d'archives, images de caméra de surveillance, images de vidéos internet, images de conversations Zoom, scènes tournées dans la maison des poupées, celles dans la Free Zone (le monde des limbes est l'univers le moins convaincant), ajout de scènes en stop-motion ainsi qu'en dessins animés, rendent tangible l'insaisissable, une zone grise. Anne ne discerne plus le rêve de la réalité ; nous aussi.


Les questionnements sur l'instauration du doute, du libre-arbitre, du déterminisme de nos actions, de la perception des images et des projections que nous en faisons donnent à ce film des airs de boîte à outils, un avenir à fabriquer en kit main libre. L'angoisse est perpétuelle, l'espoir aussi. Pourtant, tout se contamine, le rêve la réalité, le blanc le noir, jusqu'à la figurine barbie récitant des tweets acerbes de Donald Trump, jusqu'à cette main baladeuse au fin fond du Crudimix, jusqu'à cette intrusion dans un appartement, jusqu'à ne plus savoir ce que nous voyons.


Si l'Occident s'en remet de plus en plus à la raison comme la meilleure (voire la seule) façon d'appréhender le monde dans lequel nous vivons, l'efficacité est devenue reine, Bonello l'a décapitée. L'imagination du réalisateur est aussi authentique que n'importe quel fait descriptible. Coma est une tentative de raviver le merveilleux de l'expérience humaine dans ce qu'elle a de plus sombre et profond. Le chaos est en ordre, Bonello l'a saisi.

Pout
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Films vus en 2022

Créée

le 15 juin 2022

Critique lue 217 fois

9 j'aime

Pout

Écrit par

Critique lue 217 fois

9

D'autres avis sur Coma

Coma
Pout
7

Rêve party

La phrase prononcée par Gilles Deleuze retranscrite à l'écran "Ne soyez jamais pris dans le rêve de l’autre..." est l'antithèse du nouveau long-métrage (dé)borderline de l'inventif Bertrand Bonello...

Par

le 15 juin 2022

9 j'aime

Coma
Sergent_Pepper
7

Mélodie, ou les limbes du maléfique

Avec Coma, Bonello conclut sa trilogie de la jeunesse, qui après avoir suivi les élans de révolte (Nocturama) et l’ouverture sur un autre monde (Zombi Child) s’achève dans le confinement : cet opus,...

le 1 déc. 2022

8 j'aime

Coma
Sabri_Collignon
4

La métaphysique selon Bertrand Deleuze

Bonnello se voudrait metaphysicien d'une jeunesse en déshérence, alors que son film n'est qu'une longue (malgré sa courte durée) et pénible litanie sur les méfaits de l'immatériel affectant les ...

le 5 déc. 2022

3 j'aime

Du même critique

La Panthère des neiges
Pout
8

L'affût enchanté

Jusqu'alors, je n'avais du souvenir de lecture du livre éponyme de Sylvain Tesson qu'un duo : lui, le virevolteur de mots, celui aux semelles de feu qui a écumé le monde et ses angles morts (Sylvain...

Par

le 15 août 2021

34 j'aime

6

The Chef
Pout
7

Cuisine ouverte

Désormais, et c'est le cas dans le long-métrage The Chef réalisé par Philip Barantini, la tendance est à la cuisine ouverte. Cette dernière exhibe ses formes et ses couleurs face à la pièce à vivre,...

Par

le 2 nov. 2021

25 j'aime

3

Les Sorcières d'Akelarre
Pout
8

Portrait de jeunes filles en feu

Faire mien les mots du poème La Femme et la flamme d'Aimé Césaire pour peindre Les Sorcières d'Akelarre qui est "un dragon dont la belle couleur s'éparpille et s'assombrit jusqu'à former l'inévitable...

Par

le 29 nov. 2020

23 j'aime

2