Resté dans l’ombre depuis 2016 avec son incroyable "Mademoiselle", Park Chan-Wook refait surface avec un thriller / film noir romantique qui mélange les influences et les références. Mais pas question ici d’être un simili Vertigo d’Hitchcock ou autre Basic Instinct de Verhoeven aseptisé, la volonté est toute autre, proposer grâce au film de genre une histoire d’amour impossible sans cesse illustrée par une mise en scène d’une richesse visuelle et narrative sans limite.

Le scénario est on ne peut plus classique du thriller érotique, un cadavre retrouvé, une femme suspectée (Tang Wei), une relation naît entre l’enquêteur (Park Hae-IL) et la criminelle, la différence majeure ici réside dans l’absence de relation charnelle entre les deux protagonistes. Le film reste dans une sorte d’ambiguïté qui donne au film toute sa force, le rend extrêmement touchant et renforce l’humanité des personnages, surtout de l’enquêteur qui reste en théorie intègre à sa femme.

Dans la mise en scène, tout sépare les personnages en commençant évidemment par leur statut, policier/suspecte. Puis leur nationalité, elle est chinoise, il est coréen. La barrière de la langue est là et est montrée dans le film, ce n’est pas qu’un prétexte oublié après deux répliques, leur relation naît aussi de cette barrière et de la manière que Tang Wei a de rire quand elle ne trouve pas ses mots. Elle n’a de relation qu’avec des connards, il est un homme intègre, il est insomniaque, elle s’endort sans peine.

Tout dans les images que Park Chan-Wook nous montre est fait pour illustrer cette séparation et ce qui pourrait les rapprocher, le film regorge de raccords ingénieux, de mouvements de caméra inattendus, souvent opposés d’ailleurs selon le sujet, Park Hae-il ou Tang Wei, de jeux de miroirs et de surcadrages, même la colorimétrie change régulièrement quand on passe brusquement de l’un à l’autre lors d’un raccord ou d’une ellipse. Les décors sont évidemment aussi un marqueur, le film opposant souvent la mer (la tapisserie de Tang Wei) et la montagne dans son scénario, scénario lui-même, divisé en deux parties bien distinctes ou le sentiment amoureux change de camps.

Et cette seconde partie est une n-ième surprise pendant le visionnage, alors qu’on s’attend à voir le générique de fin commencer on se dit qu’un truc cloche, que c’était trop court, et effectivement seulement la moitié du film était passé. On change de ville, une ellipse a lieu, et on est reparti pour un tour de manège. À priori Tang Wei et Park Hae-il ne se connaissent plus jusqu’à ce qu’ils se recroisent par hasard, ce qui va relancer l’intrigue, et précipiter le film vers sa fin (qui tarde peut-être un petit peu à arriver, si on devait faire un reproche à ce film ça serait celui-là). Mais tout commence à clocher, ou plutôt beaucoup de choses sonnent faux où ne sont pas très crédibles, la mise en scène utilise le manque de sommeil de Park Hae-Il pour appuyer ces éléments qui viennent perturber le spectateur. Je pense à la rencontre hasardeuse entre Park Hae-Il et Tang Wei, à un téléphone retrouvé en pleine mer, à de la neige à un endroit de la ville et pas dans l’autre, un final fort et symboliquement beau mais irréaliste, même le nouveau coéquipier de Park Hae-Il est caricatural et en opposition avec le premier. On est souvent dans l’onirisme, amené j’ai l’impression lorsque Park Hae-Il se verse des gouttes pour les yeux. C’est à se demander si notre bon flic n’a pas tourné la carafe au milieu du film et que cette partie est en totalité ou en partie qu’un fantasme de sa part. Comme il le dit lui-même : "Je suis brisé". Park Hae-Il est brisé, cassé par la relation qui s’est nouée et le film, les images, la cohérence se sont brisés avec lui.

Le film mérite plusieurs visionnages pour rendre compte de la richesse de la mise en scène. Il n’usurpe en aucun cas son prix de la mise en scène à Cannes 2022 et je recommande à quiconque de voir ce qui s’avère être le meilleur film de Park Chan-Wook.

FabienBe
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le 5 juil. 2022

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Fabien B.

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