J'étais enthousiaste à l'idée d'aller voir Le mal n'existe pas : un film japonais, contemplatif et esthétique, un conte écologique, le tout par Ryusuke Hamaguchi, le réalisateur de Drive my car, un des films les plus fantastiques du XXIe siècle (si ce n'est plus). Quelle déception finalement… D'ailleurs l'enthousiasme n'a pas duré longtemps puisque dès le premier plan, un travelling de la cime des arbres vue de dessous, magnifique mais interminable, ça se présentait mal. Reprenons depuis le début.

Le film s'est énormément inspiré de Dersou Ouzala, le film de la renaissance d'Akira Kurosawa. Comme chez Kurosawa, la photographie est proprement somptueuse, avec des plans de la forêt et des montagnes à couper le souffle. On se rappellera sans difficulté de ce premier travelling, qui devient une sorte de peinture de feuilles et de branches sur fond blanc, auquel répond le dernier plan du film, en version sombre. De ces plans de forêt d'hiver aux couleurs multiples et à la brume inquiétante. De ce coucher de ce soleil derrière la forêt depuis un chalet peu à peu recouvert de la fumée de sa propre cheminée. Le tout avec une musique qui incarne parfaitement le double visage de la forêt, à la fois sereine et inquiète, et avec un montage ambitieux fait de coupes de plan et de musique parfois surprenants. Le personnage principal est en outre un Dersou Ouzala, en version dépressive cette fois, homme bourru connaissant la forêt et ses secrets comme sa poche. Le sujet principal est enfin le même dans les deux films : la relation entre l'être humain et la nature. Mais là où le film de Kurosawa pêche par sa naïveté et ses fantasmes, celui de Hamaguchi se veut sérieux et réaliste.

Le mal n'existe pas se prend les pieds dans le tapis (de feuilles) sur d'autres aspects. A croire que le réalisateur n'a pas assez bûché sur son œuvre. Déjà, c'est beaucoup, beaucoup, beaucoup trop lent. Alors oui c'est contemplatif et magnifique, oui c'est pour montrer que le temps de la nature est plus lent que celui des hommes (le rythme du film change entre ces deux mondes), gnagnagna… Mais ça n'excuse pas, il y a bien d'autres façons de le faire. Pour comparer ce qui est comparable, Dersou Ouzala lui n'est jamais chiant alors qu'il est tout autant contemplatif, si ce n'est davantage encore. L'autre défaut majeur, c'est le scénario. Il n'a pas de colonne vertébrale, que dis-je, il n'a pas de tronc ! Et pourtant le script n'est pas parti d'une feuille blanche… Le film démarre sur un projet totalement idiot de camping qui viendrait déséquilibrer et gâcher l'environnement naturel de ce village. Si le traitement qui en est fait devient vite caricatural (la distinction ville / campagne, la cupidité bête et crasse des entrepreneurs, la sagesse des habitants), le thème est majeur et en plein dans l'ère du temps. Mais tout ça est rapidement oublié. Ça sert plutôt de prétexte à un épisode de Martine (et Martin) à la forêt. Pour finir sur une battue afin de retrouver un enfant perdu dans la forêt (dans le maquis ?) et sur un dénouement totalement inattendu, inexpliqué et de toute façon inexplicable. Tout comme une forêt naturelle, le scénario est broussailleux et brumeux. Mais ce qui fait le charme de la nature ne se prête pas forcément bien aux œuvres humaines. A trop vouloir refléter l'environnement, Hamaguchi commet sans doute le péché qu'il dénonce justement dans son film : il y a le monde de la nature, et il y a le monde des hommes, à chacun sa souveraineté et ses caractéristiques inhérentes, d'où le nécessaire respect de leurs frontières.

Alors loin d'être flamboyant, le film est plutôt un feu de broussailles…

Samji
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le 13 avr. 2024

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Samji

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