Zodiac est l’anti-Seven en tout point : exit la crasse, exit le tueur machiavélique, exit le jeu de pion et son climax dérangeant. Ici, le coup de grâce n’a pas lieu. Ici, tout le monde se lasse de l’affaire, même le tueur.


Obsession et frustration
Pourtant nous sommes bien dans un film d’investigation. On plonge au cœur de l’enquête, dans la paperasse. Mais c’est une investigation sans fin, qui broie plus qu’elle n’éclaircit. Un entonnoir inversé : plus on avance, plus la mélasse s’élargit. Chaque nouvel élément vient contredire le précédent. Chaque nouvelle piste débouche sur une impasse. Mais la grande force du film est de ne jamais s’épuiser face au piétinement de l’enquête. Fincher nous tient 2h30 durant. Passés les premiers meurtres, la mécanique narrative déploie d’astucieux changements de points de vue qui relancent le souffle, quand on le croyait perdu. Mais c’est aussi le coup de maître du cinéaste : ce second souffle ne donne pas satisfaction au spectateur. Et finalement ne restent que l’épuisement et la frustration. C’est l’histoire d’un homme qui refuse d’abandonner. Mais à quoi bon continuer à jouer quand tout le monde a quitté la partie ? Et c’est la première chose qui nous est racontée, une énigme sans réponse, qui peut-être même, n’envisageait pas de solution.


Histoire d’une gloire éphémère
Ce qu’on nous raconte aussi, c’est le poids des médias. Gone girl explorera le sujet différemment : un média manipulé est un média manipulateur. Dans Zodiac, la presse tient le rôle de relais. Les journalistes sont les communicants du tueur. En un sens : ses complices. Pour eux, c’est une aubaine, un jeu. Ils pourraient presque caser les cryptogrammes du tueur à côté des mots-croisés. Et ces médias vont être mère de l’affaire, car sans eux, pas de Zodiac. Ce n’est donc pas un film sur un tueur, mais sur ce que représente ce tueur dans l’opinion publique, sur les fantasmes qu’il nourrit et les passions qu’il éveille. Mais aussi sur ce que cette affaire télescope d’envies et de frayeurs. La gloire du tueur entraîne celle du journaliste (Robert Downey Jr.) qui, lui aussi, finira par tomber dans l’oubli. Le spectateur, de son côté, est tenu par la subjectivité du héros, tenu par son seul point de vue, qui peut être faux d’ailleurs. L’enquête devient en fait l’affaire de tous. Souvenez-vous de cette scène où la radio du taxi diffuse milles et unes hypothèses prononcées sur l’affaire par des auditeurs, mais aussi de cette scène dans laquelle les témoins improbables s’enchaînent devant la police, les renseignant n’importe comment en croyant voir le Zodiac dans les traits de leur voisin.


Le tueur n’existe pas
Pas de Zodiac sans média, on l’a dit. Le tueur n’existe pas seul. Il n’existe pas tant qu’il ne s’est pas manifesté par voie de presse. Et en fin de compte, il n’existe pas, car on ne le trouve pas. Mais il n’existe même pas en tant que menace. Au début du film, il n’est qu’une ombre à contre-jour, puis une signature. À la fin, le spectateur a un visage, mais la police n’a qu’un suspect, pas un tueur. On est donc très loin de la menace qui plane dans Seven. On a ici un tueur mauvais, indécis, au projet mal préparé, qu’il finit par abandonner. Et c’est en ça aussi que le tueur n’existe pas, car tout efface la réalité de ses meurtres : sa notoriété, son appel au jeu, et l’épuisement de l’affaire. À un certain stade du film, le tueur n’est déjà plus qu’un lapin à débusquer. D’où l’efficacité terrifiante de la scène de la cave, dans laquelle le héros se rend compte qu’il s’est peut-être jeté dans la gueule du loup. À trop prendre cette affaire pour un jeu, il en a oublié qu’il s’agissait d’une chasse.


Mort d’une époque
Le film s’ouvre sur un couple lassé du drive-in. On est déjà entrain de quitter une époque, on passe dans l’édification d’une autre Californie que celle des hippies. Cette affaire Zodiac, c’est un peu la cousine ratée de l’affaire Manson. Le tueur de Los Angeles a au moins ça pour lui de représenter le revers de la médaille, tout l’esprit noir de l’époque, son versant satanique, et d’être connu pour ça. Le Zodiac lui, avait toutes les cartes en main en oeuvrant à San Francisco, mais a définitivement foiré en étant rien d’autre qu’une succession de meurtres maladroits et irrésolus. On verra alors au fil du film se construire la Transamerica Tower. Signe d’une époque révolue. Signe que le Zodiac est arrivé trop tard, au mauvais moment, et que le temps passe sans qu’on ait besoin d’attendre que l’affaire se termine. Les années 60 sont finies, on passe à autre chose.


La tension en image
Enfin, je voulais dire un mot sur le travail de l’image chez Fincher. Il est, à mes yeux, comparable à ce que fait de son côté un Michael Mann. Chez les deux cinéastes, l’image est trop impeccable pour n’être qu’esthétique. C’est bien plus. Ça agit sur le spectateur. Ça prend un sens, et impossible de l’expliquer sans plonger dans une analyse détaillée – ce que je suis incapable de faire. Mais je peux dire au moins une chose : il transforme la luminosité de San Francisco en une obscurité inquiétante. La lumière participe à conserver la tension, elle agit conjointement avec le récit, comme un outil narratif. C’est inexplicable, mais c’est là, on le sent. Au-delà de la narration et des thématiques, il y aurait alors matière à analyser le grain et la lumière chez Fincher, comme on le fait chez Mann. Sa manière d’éclairer la ville et les personnages donne son sens propre à chaque plan.


Bref, je n’en aurai jamais fini de faire le tour de ce film. Plus je le regarde, plus il me fascine. Fincher est définitivement un grand, un très grand réalisateur.

-Alive-
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le 31 mars 2018

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