Deadly Premonition Origins
7.4
Deadly Premonition Origins

Jeu de Access Games, Toybox et Numskull Games (2019Nintendo Switch)

Adapter une œuvre à un autre média, ou même à la sauce d'un autre auteur n'est pas chose aisée. On le voit par exemple avec les adaptations parfois (souvent ?) douteuses de BD ou de jeux vidéos au cinéma. Et pourtant, ça ne date pas d'hier et à toute époque des gens ont voulu se réapproprier des œuvres émanant d'autrui (il suffit de voir les mythes type Médée / Antigone, réadaptés autant par Corneille en 1600 qu'Anouilh en 1900). Je dis ça car Deadly Premonition est l'adaptation non-officielle en jeu de la série Twin Peaks de David Lynch (tout comme Earth Defense Force l'est pour Starship Troopers). Et ce genre de projet soulève également une autre question qui revient souvent : est-ce qu'on peut faire du jeu vidéo comme on fait du cinéma ? Quand des productions de moins en moins interactives et de plus en plus narratives à la Quantic Dream ou Don't Nod, ou simplement les Visual Novel (romans illustrés) sont sur le marché, à quel point a t-on besoin de s'emparer des codes de son média pour réaliser l'adaptation d'une œuvre non-vidéoludique ? Et bien, aussi épuisant, désagréable et cassé qu'il soit, Deadly Premonition à une opinion à apporter à ce débat.


Niveau scénaristique, le jeu de Swery reprend donc quasi-exactement la trame des premières saisons de Twin Peaks (au moins au début) : agent du FBI citadin et excentrique qui débarque dans une bourgade campagnarde américaine qui pourrait sortir tout droit d'Oregon, meurtre violent d'une jeune fille (retrouvée nue) dans des conditions sordides qui traumatise la ville, habitants aux personnalités parfois très étranges, la nana qui se balade avec un rondin de bois, le flic un peu fragile/efféminé, et j'en passe tellement car la liste serait beaucoup trop longue : les références pleuvent et l'hommage à la pièce maitresse de Lynch est absolu, les fans y trouveront leur compte et c'est cool de se dire que Swery a pu en caler autant dans son jeu sans se prendre un procès. Niveau gameplay on va donc se trouver sur un jeu à la croisée de l'expérience narrative (beaucoup de cinématiques pour pouvoir développer des scènes cocasses à la Twin Peaks avec les personnages), du jeu d'enquête/thriller puisque la toile de fond va effectivement être de récolter des indices pour déterminer qui est suspect dans le village, mais également de jeu d'horreur puisque pour une raison qui m'échappe le projet s'offre des phases "à la Silent Hill" où notre enquêteur va se retrouver dans des labyrinthes cauchemardesques remplis de zombies à flinguer et de petites énigmes. Ces phases ont été rajoutées au chausse-pied à la demande de l'éditeur, et ça se sent car malgré une légère dimension fantastique (légère... je sais pas pourquoi je dis ça vu la fin) elles paraissent complètement déconnectées du reste... et pourtant elles fonctionnent au final plutôt bien ! Car grâce à cette variété de proposition, le jeu renouvelle très bien son rythme et le joueur n'a pas vraiment le temps de se lasser de quoi que ce soit : on explore le village posément, on discute avec quelques habitants pour obtenir des infos sur quelqu'un, puis on regarde une cinématique, on se marre face aux dialogues stupides. On rentre dans un bâtiment, et là, c'est parti pour l'exploration horrifique sous adrénaline à courir pour éviter du zonzon ! Le jeu se tient très bien de bout en bout pour une proposition finalement assez inhabituelle d'enquête-horreur.


Mais ce qui fait que ce jeu est particulièrement rentré dans la postérité, c'est deux éléments supplémentaires. Parlons tout d'abord du côté lumineux : ses parti-pris de déglingué ! Le jeu propose une approche en monde ouvert, c'est top pour pouvoir explorer la ville à sa guise (on aurait tous aimé faire ça dans Twin Peaks je pense), mais en monde beaucoup trop ouvert ! C'est une gestion en temps réel quasiment à la Shenmue, il faut gérer sa faim, son sommeil, son hygiène, faire le plein d'essence pour sa voiture, les habitants suivent une routine et sont donc à des endroits différents de la ville en fonction de l'heure de la journée ! Anachronique pour son époque mais assez plaisant à jouer au final, surtout dans un contexte d'enquête, puisque des fonctionnalités assez pratiques et marrantes viennent contrebalancer la lourdeur que ce système pourrait amener : on peut épier par la fenêtre ou les serrures de portes pour voir ce que les gens font chez eux, on peut fumer des clopes ou dormir pour passer le temps rapidement et le jeu dispose au final de beaucoup de lits / restaurants, les jauges ne sont pas contraignantes à gérer. Un autre coup de génie du jeu est que le protagoniste parle souvent à un ami imaginaire, Zach, qui se trouve être en fait... le joueur lui-même ! Très marrant, pas martelé de manière lourde et qui offre une apogée splendide sur la fin du jeu. Le jeu comprend aussi énormément de références au cinéma, genre le héros qui en parle tout le temps en voiture, ça ajoute encore un supplément de personnalité à un projet qui n'en manquait pas. Le fait qu'on puisse choisir ou non de parler avec son passager en voiture, la liste de petits parti-pris de designs malins est infinie donc je vais m'arrêter là mais le jeu est constamment réjouissant, on se dit "ha oui pas bête" quand on voit les fonctionnalités et séquences de jeu qu'il nous a concocté ! Et on se dit ça d'autant plus que le deuxième point qui a donné au jeu son statut de "culte"... c'est sa technique tout simplement misérable. Considéré comme un véritable nanar, Cyberpunk n'a qu'à bien se tenir. Bugs à foison (j'ai un clip d'une voiture qui traverse les bâtiments au calme) et fluidité en chute libre dés qu'on va un peu trop vite, synchro labiale inexistante en cinématique et mise en scène souvent claquée, musiques sympathiques mais qui tournent en boucle et qui contiennent des espèce de cris de singe (?), conduite parmi les plus mauvaise de l'histoire du jeu vidéo à base de glissade de savonnette dans la douche, grande rigidité dans les phases d'action. Ca m'a plus crispé que fait rire personnellement, c'est jamais cool de jouer à un jeu pas agréable mais on a quand même envie de rester jusqu'au bout pour tout le reste, c'est cassé mais pas assez pour faire fuir le joueur je pense (pas moi en tout cas).


Pour le coup je trouve que Pseudoless a résumé le jeu de la plus belle des manières avec cette formule : "Deadly Premonition est un jeu pas ouf souvent génial". Adaptation non officielle de Twin Peaks proposant des parti-pris de design hyper originaux pour son média malgré une réalisation technique qui donne envie d'avaler 1 kilo de graines rouges, le jeu de Swery possède une personnalité assez remarquable et mérite d'être essayé si vous êtes fan de la série de Lynch pour sûr, si vous êtes fan de jeux d'enquête peut être, et si vous accordez beaucoup d'importance à la technique surtout pas. Ca donne en tout cas vraiment envie de voir le reste de sa ludographie (assez aléatoire malheureusement il paraît), Swery semble vraiment avoir des idées de game-design à revendre.

Tomega
6
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le 17 avr. 2022

Critique lue 39 fois

Tomega

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