La vie peut être étrange... tout comme l'avis des autres parfois.

Aborder un titre considéré comme mémorable ou bien placé sur un piédestal par le grand public sous un regard critique est une tâche délicate et difficile. Tout le monde a déjà placé ce type de constat tôt ou tard dans une critique à contre courant et il y a peu de chances de voir l'inverse au fil des ans. L'acte est autant plus délicat ici quand il s'agit d'un jeu aux origines françaises : étant donné la difficulté pour ces titres de gagner une place dans l'esprit du grand public dans le temps sans être apparenté au géant Ubisoft ou se contenter d'une reconnaissance d'initiés au vu de notre système culturel ainsi que la fierté des joueurs (aussi bien des initiés que du grand public) à défendre leur médium et certains de leurs "chouchous" frisant parfois la véhémence, voir un "jeu narratif" vieux d'une demi décennie continuer à être cité et apprécié par le grand public relève un peu de l'exploit.


Pour autant, est ce que cela signifie forcément que l'oeuvre est intouchable ou du moins assez perfectible pour lui attribuer des reproches non anodins ? Personnellement je penche pour la seconde option dans le cas suivant ; et au risque de prendre une volée de caillasse virtuelle par certains, j'assume la phrase qui suit et m'a incité en grande partie à prendre la plume : Life is Strange est un titre surestimé et bien trop bancal dans son exécution pour être considéré comme une réussite et ce, même dès sa sortie.


Mettons les choses au clair tout de suite : le fait que le titre soit un "jeu narratif" n'est pas le souci ici ; bien qu'ayant une préférence pour les titres privilégiant la technicité et l'apprentissage de mécaniques, le fait de privilégier l'histoire par rapport au "jeu" ne me pose pas de problème tant que le propos reste pertinent. Ce n'est pas non plus le fait de se retrouver auprès d'adolescents au caractère parfois digne d'une mauvaise série superficielle bien que cela n'aide pas.
L’intérêt de casser du titre populaire ou titre "indé" est encore moins le but ici ; cela est inutile et vain dans le cas présent vis à vis d'un titre aussi inscrit dans l'esprit du public. De toute manière, d'autres individus le feront à ma place et ayant aucune gêne pour afficher leur venin ou leur immaturité...


Et enfin, ce n'est pas non plus pour un soi-disant "manque de mécaniques de jeu" : ce type de remarque est ridicule posé ainsi en plus d'être inappropriée. Tout ce qui compte vis à vis du gameplay d'un titre quelque soit son genre ou sa catégorie, c'est qu'il soit en accord avec la narration proposée et surtout qu'il reste cohérent en lui-même ; la quantité reste toujours accessoire en comparaison de la qualité et de l'exécution.


Et c'est bien là le problème principal de Life is Strange : toute sa mécanique basé sur le retour dans le temps est bancale voire inconsistante ; un souci qui vient intrinsèquement effriter sa narration qui plus est.


Pour expliquer en détail, Max (l’héroïne du titre) acquiert un pouvoir de retour dans le temps suite à des circonstances accidentelles (à savoir un meurtre commis sous ses yeux dans les toilettes de son université ; la routine quoi) la faisant revenir dans sa salle de classe, à sa place lors du tout début de l'épisode. Ce pouvoir peut également se transférer par le biais de photos permettant un retour plus lointain, Max étant apprentie photographe et se baladant toujours avec son Polaroid. Dit comme cela, il y a rien à redire. A la fin du cours, on peut commencer à expérimenter le pouvoir à notre guise pour essayer un peu... et on se rend compte que contrairement à la première fois, Max reste là ou elle est une fois son pouvoir de retour temporel activé.


Si vous avez un minimum de connaissances dans l'écriture du voyage dans le temps, vous commencez à comprendre la source du problème : en restant sur place lors du rembobinage, Max s'est tout simplement téléporté d'un point à un autre sans explication ni aucune trace de sa présence au moment passé tout en ayant conservé les souvenirs d'avant l'activation. Ce n'est plus un retour dans le temps à ce stade... sauf quand l'écriture se rend compte de l'éventuel problème et fait éventuellement revenir Max à son point initial. La seule conséquence notable étant au niveau de l'état physique, une utilisation prolongée ou trop répétée finissant par grandement affaiblir votre personnage.
Il n'empêche que ce genre d'incompréhension doublé d'une incohérence assez grossière se répète pratiquement tout le long des cinq épisodes et est pratiquement idéal pour mettre à mal votre suspension d'incrédulité tant la cohérence finit ébranlée... à l'exception relative des moments où Max reste au même point lors de l'utilisation du pouvoir (en restant assise par exemple).
De plus, non seulement elle conserve ses souvenirs à chaque retour mais aussi les objets récupérés avant chaque activation ; ce qui veut dire que même si vous remontez dans le temps, l'objet censé être avec quelqu'un ou posé reste dans votre poche. Pas de dédoublement, pas de disparition, rien. Or, si l'objet finit dans notre poche au moment d'avant, n'est il pas censé être posé plus loin également ? N'est il pas censé se dédoubler surtout si il est dans les mains de quelqu'un histoire d'éviter le paradoxe temporel ? A en juger par le carton indiquant d'entrée de jeu la possibilité de conserver les objets, les scénaristes semblent l'avoir oublié... ou s'en moquent.


Mais là où le parti-pris atteint l’inconsistance et se prend les pieds dans son propre tapis, c'est lors des choix dit importants : lors de moments clés, vous devez faire un choix divisé en deux le plus souvent basé sur un dilemme cornélien et implique parfois de prendre un objet ou une photo ; une composante classique du jeu narratif. Et une fois le dit choix fait, l'histoire se contente de continuer... sans aucune possibilité de retour en arrière et ce alors que tous les autres choix du jeu vous le permettent. Pourtant, qu'est ce qui nous empêche de le faire à part l'obligation d'avancer dans l'histoire ? On peut très bien faire un choix, voir les conséquences et faire un retour en arrière pour changer d'avis avant alors pourquoi pas maintenant ? Max est pourtant souvent en état pour activer son pouvoir... Et aussi, pourquoi ne pourrait t'on pas décider de prendre tel objet sans subir les conséquences lié à ce dernier, remonter dans le temps, le conserver avec nous et faire l'autre choix pour n'avoir à ne rien subit puisque le jeu LUI MÊME semble ne pas soucier de ce genre de considération ?
Bref c'est incompréhensible, bancal et en devient vraiment frustrant à la longue. Et le fait que si peu de personnes ne relèvent pas ce genre d’erreur narrative ou de game-design aussi grosse alors que pourtant le voyage temporel est au sommet de la liste des détails le plus souvent relevé par le grand public n'arrange rien.


Et même si le titre parvenait à se corriger sur cette partie là (ce qu'il ne fera jamais même lors du dernier épisode qui révèle toute la conséquence) :


Car oui, la vision en début de jeu se réalise : la tornade finit par s'abattre sur Arcadia Bay mettant toute la population en position de faiblesse. Et peu avant le choix ultime, Max est confronté à une vision : le restaurant intact, toutes les personnes importantes dans sa vie sont présentes... y compris un double de elle-même. Un double qui annonce sans détour qu'elle est "l'une des nombreuses Max qu'elle a laissé". L'UNE DES NOMBREUSES MAX. Est ce que ça veut dire que les scénaristes étaient conscients d'avoir sciemment ignoré une des règles fondamentales du voyage dans le temps pour faire leur histoire quitte à saboter la cohérence du tout ? Si c'est le cas alors ce point ne fait que confirmer le fait que cette histoire a été mal géré dès le départ.


Bref, il lui resterait encore un problème non négligeable à subir : l'écriture des personnages.
A l'exception d'une poignée d'entre eux (Kate, Joyce, Frank et même Max dans une certaine mesure), pratiquement tous les autres lorgnent entre l'oubliable, le cliché et l'insupportable (avec en tête de liste de cette catégorie Chloé, l'ancienne amie de Max devenue une punk avec le temps et un don pour se retrouver dans des situations risquées... en plus d'avoir un caractère à la limite du détestable malgré son contexte, cherchant la provocation à tout le monde tout en n'ayant retenue sur les insultes même envers ceux qui ne le méritent pas). Sans compter que les conversations "entre les jeunes" ou même certaines pensées sont constamment ponctués de citations de films ou séries dites populaires parfois sans raison une fois remis dans le contexte... Et quand je dis "citation", ce n'est pas de répliques connues dont je parle mais de littéralement citer les titres des dites œuvres (dans le tas, on a Mad Max, la Planète des Singes, Superman, Thelma et Louise, Final Fantasy les Créatures de l'Esprit... bon ok celui ci fait doucement sourire vu son contexte ; et ce n'est même pas le tiers si on comptabilise toutes les références "affichés" dans le décor). Niveau rentre dedans avec le public pour l'impliquer dans le récit, ça se pose là. Rappelez moi pourquoi Spielberg a été jugé en tant qu'ignare sénile vis à vis de la "pop-culture" avec Ready Player One ?


Pour autant, malgré tous les reproches cités, Life is Strange possède un ou deux mérites dans le lot même si cela ne suffit pour sauver le navire : la musique qui parvient constamment à s'accorder avec l'ambiance du titre, misant sur des sonorités basés sur la guitare et étant jamais désagréable à l'oreille ou dissonant avec le moment. Et enfin, le titre arrive à créer ce qu'on peut appeler des "moments" : des scènes ou séquences où l'écriture parvient à se sortir du marasme pour friser l'excellence et essayer de nous marquer. Ce type de scène se retrouve personnellement avec :


Tout l'arc narratif de Kate montrant tous les ravages que peuvent causer le harcèlement en milieu scolaire ou universitaire vis à vis d'innocents pouvant mener à l'acte qui semble le plus salvateur : le suicide. Si cette séquence est l'un des rares moments pouvant justifier le détournement des règles temporelles, elle est également un moment déchirant à subir si on ne réussit pas à trouver les mots justes avec Kate ce qui implique d'avoir bien écouté ses discussions.


La mort volontaire de Chloé et sa rectification : dans l'épisode 3, Max doit subir les conséquences pour avoir détourné le destin du père de Chloé le sauvant d'un destin funeste. Mais en faisant cela, cela entraîne un changement créant une ligne où elle finit dans un fauteuil en tant qu'infime. Suite à une nuit douce, elle finit par nous demander... de mettre fin à ses jours avant que la maladie ne s'en occupe. Malgré tout le ressentiment envers elle, il est difficile d'être insensible à un choix aussi lourd en responsabilités même virtuel. Un choix d'autant plus déchirant quand il faut par la suite re-rectifier le tir auprès de son père et assister de manière passive à sa future mort par accident, l'élément catalyseur de la dérive de Chloé et de son état originel. Si cela ne justifie pas tout et peut se montrer insistant, ce chapitre aide à voir Chloé sous un autre angle... sans pour autant balayer la poussière sous le tapis.


Et enfin la seconde séquestration avec le tueur en série, Mr Jefferson : cette fois, plus possible de retourner loin en arrière pour sauver les fesses de Max de ce psychopathe responsable de meurtres d'adolescentes pour sa recherche de beauté. Mais le fait d'utiliser le pouvoir à répétition pour prédire ses mouvements à la longue quand David vient vous sauver à la dernière minute. Non seulement la cohérence tient debout pour l'une des rares fois et l'exécution de la séquence nous donne vraiment l'impression de la dernière ligne droite d'une partie d'échecs face à Jefferson usant de ses dernières défenses avant son arrestation.


Life is Strange est un titre qui essaye d'aborder l'univers de la jeunesse universitaire et en perdition avec un point de vue aux Etats Unis ; un parti pris louable sur le principe. Mais il le fait avec la finesse et la précision d'un éléphant de par son utilisation peu habile de clichés. Et même sans compter sa mécanique de retour temporelle qui lui porte clairement préjudice, l'histoire qu'il délivre reste malheureusement moyenne et emmêlés dans certaines de ses ficelles. Pas de quoi être hostile mais pas de quoi non plus le porter aux nues comme l'a fait le public.


Je peux relativement comprendre que ce dernier a agi ainsi vis à vis de sa façon de toucher la corde sensible ; et en un sens, il peut être bon d'encourager ce genre d'expérience plus tournée par la narration pour explorer d'autres voies. Mais il est tout aussi dommage de voir des titres bardés de défauts être élevé sur un piédestal sans que la majorité ne veuille les remettre en cause. Parce que voir Life is Strange occuper le sommet de la liste des "meilleurs jeux français" et "meilleurs jeux européens" au vu de son bagage personnel a de quoi faire tiquer. Des titres comme Furi, les Dishonored, les Metro et même A Plague Tale ont su explorer divers voies narratives sans pour autant négliger leurs mécaniques et ont su en tirer des propositions plus abouties tout en sachant exploiter les codes propres au jeu vidéo.


Après, peut-être que Dontnod a appris de ses erreurs vis à vis de cette franchise : Life is Strange 2 semble tout aussi salué par le public bien que n'ayant pas bénéficié du même niveau de succès. A en juger par certains, le studio aurait même changé de méthode pour aborder les questions de la jeunesse ; reste à savoir si cette approche est pleinement aboutie cette fois ci contrairement à celui de son grand frère qui reste à mon sens en dessous des mérites vantés.

Jadenterre
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le 25 juil. 2020

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