Faire profession d'historien. 10 essentiels pour aborder des études d'Histoire

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Marc Bloch, fondateur de la revue des Annales, est un personnage essentiel dans l'Historiographie Française dans les années 1930. Juif et résistant, il sera fusillé en 1944 par les Allemands et n'aura pas terminé d'écrire cet ouvrage, destiné à son fils et terminé par son comparse Lucien Febvre. Il rend compte, dans ce petit essai, de tout ce que l'histoire apporte à l'homme : ce ne sont pas que des papiers épars que l'on analyse froidement. Ce sont les fondements même de la vie qui émanent de ces milliers de documents, et l'objectif de l'historien est de rendre le vrai dans toute sa vivacité. C'est pourquoi le reste de l'essai s'applique à la meilleure manière de rendre la vie. Si vous commencez votre L1, lire cet ouvrage est un must.

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Braudel aussi n'a pas eu de chance. Ayant commencé une ébauche de cet ouvrage à la fin des années 30, il est fait prisonniers par les allemands alors qu'il servait l'armée française et reste quatre longues années dans un Stalag sans aucune de ses sources à proximité. C'est donc une mémoire d'éléphant qui permet à Braudel, sans ces sources, de reconstituer ce qui deviendra un des livres d'histoire les plus influents du XXe Siècle. Reniant le caractère de l'événement comme fondateur de l'Histoire, Braudel veut plutôt voir le temps long, la continuité et les changements de fond dont les événements sont les preuves plutôt que les seuls déclencheurs. Encore aujourd'hui, 70 ans après, l'historiographie française s'installe dans cette continuité.

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Kantorowicz, lui, est essentiel dans l'évolution de l'historiographie et de la manière dont on présente la monarchie. Pour ébaucher à très grands traits, jusqu'à lui, on considérait que la forme de l'Etat médiéval ne se constituait que de la forme du roi ; et qu'en soi, les royaumes comme celui de la France sont en quelque sorte d'énormes patrimoines jusqu'à la révolution. Kantorowicz, avec cet essai magistral, renverse entièrement ces valeurs. Il démontre au contraire qu'en France et en Angleterre, deux corps de l'Etat se créent à la fin du Moyen-âge : la personne matérielle, celle du roi, et celle immatérielle, celle de l'Etat, la seconde se fondant dans la première et se séparant d'elle lors de la mort de ce dernier. C'est ce qui justifie la célèbre phrase "Le roi est mort, vive le roi", et que prouve un ouvrage passé à la postérité.

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Dans la lignée de Braudel, Duby, grand ponte de l'histoire médiévale, ne croit pas réellement en l'Histoire des événements. Du coup, lorsqu'il doit expliquer la Bataille de Bouvines, victoire française de Philippe Auguste en 1214 contre les Impériaux et les Anglais, il utilise les sources non pas pour parler armement et stratégies, mais tout ce qui se passe autour, les cadres sociaux de l'évolution de la chevalerie, les liens seigneuriaux au roi, etc. C'est une histoire sociale qui se créé autour d'un événement qui semble le moins évident pour ça (une bataille) mais qui réussit son objectif en beauté.

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C'est assez drôle de se dire que cet ouvrage est écrit par un homme qui n'a pas réellement eu de cursus universitaire d'histoire. Pourtant l'Histoire de la Mort en Occident a changé grandement la manière de penser la société. On la pensait en termes quantitatifs jusque là, mais Ariès propose une compréhension des émotions des personnes de l'époque, que représente bien le rapport à la mort et les sources qui en dépendent. L'histoire des sensibilités est alors née dans l'historiographie française, et n'est pas prête de la quitter.

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Le Roy Ladurie, qui sera connu plus tard pour avoir théorisé le petit âge glaciaire (entre le XVIe et le XVIIIe Siècle) est d'abord connu pour son ouvrage maître de Montaillou village Occitant. Prenant comme source le rapport d'un Inquisiteur sur ce petit village, entre 1294 et 1324 (donc durant la période cathare), Le Roy Ladurie parvient tant bien que mal à reconstituer, de manière quasi-exhaustive, la vie d'un village et jusqu'aux petites combines de ses habitants remarquées par l'Inquisiteur. Pour l'histoire médiévale, cet ouvrage est un must-have, même si beaucoup le considèreront trop dense pour réellement l'apprécier.

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Pour la petite histoire, en 1976, Nicolet devait à l'origine écrire un livre sur la vie quotidienne des habitants romains (genre "vers 7 heures le jeune romain se levait pour déjeuner", ce genre de choses), mais le matériau qui en est sorti était d'un tout autre gabarit. L'éditeur originel a refusé l'ouvrage, mais pas Gallimard, qui l'a fait publier sous le signe prestigieux de la NRF. Et il y a de quoi, car l'ouvrage de Nicolet synthétise et formule toute la recherche antique de l'époque, et surtout sur la question du citoyen pendant la république romaine ; pour les historiens de Rome, il est devenu indispensable et aucun livre sérieux sur la république romaine ne l'oublie dans sa biblio. Nicolet prouve que c'est avant tout la volonté des citoyens, leur acceptation des normes et de la tradition, et leur dialogue politique incessant avec les élites romaines, qui a ancré la république, par essence oligarchique, dans une durée rarement connue dans l'Antiquité.

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Je le sais, ce n'est pas un ouvrage d'histoire, mais l'Histoire a su accepter le legs de la sociologie. Bourdieu, en l'occurrence, a montré dans cet ouvrage l'importance et la consistance des marqueurs sociaux dans la différenciation et la prééminence sociale actuelle ; mais Bourdieu adore faire communiquer sa matière avec les autres et utilise nombre d'exemples tirés de l'Histoire. De plus, pour les historiens, l'ouvrage est devenu essentiel pour faire de l'histoire sociale, et notamment les élites sociales et politiques.

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Si vous serez en L1 histoire l'année prochaine, vous en entendrez forcément parler au détour d'un TD d'histoire moderne. Le Fromage et les Vers raconte non pas la vie d'un homme connu ou même d'un personnage riche ; il utilise les sources juridiques pour traiter d'un "nobody" absolu, meunier dans le Frioul du XVIe Siècle, mais passé au peigne fin par ses accusateurs et dont la vie est, de fait, connue dans les moindres détails. Cela fournit des infos très intéressantes sur la vie quotidienne de personnes ou d'un groupe social qui n'est pas privilégié et dont on n'a pas beaucoup de sources. L'ouvrage, au fur et à mesure, est devenu un manifeste d'une nouvelle historiographie : la micro-histoire, ou le fait, non plus de s'intéresser aux rois ou aux marchands, mais aux petites gens qui font aussi la société de leur temps.

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Bon. Il serait triste de ne pas parler au moins une fois de l'histoire des femmes, d'une part parce qu'elles sont quand même l'autre moitié de l'humanité, et d'autre part parce que, depuis une trentaine d'années, il y a un vrai bouillonnement sur la question. Et ce bouillonnement, c'est à Michelle Perrot qu'on le doit. Tout son travail est axé sur l'histoire des femmes, mais s'il fallait choisir un ouvrage, ce serait celui, colossal, magistral et en cinq tomes, qu'elle avait co-dirigé avec Georges Duby lui aussi intéressé par le domaine. Avec une étude riche (quoique un peu générale) de la question, Perrot ouvre un nouveau thème historiographique qui fait encore florès aujourd'hui.