Chargée de son sac volumineux, la narratrice, est en chemin, marchant vers et le long des frontières. Femme rejetée, elle s’est repliée aux marges, au Nord et à l’Est du pays, et finalement en Espagne, pour se perdre dans le chemin, la forêt et la boue, pour exténuer le chagrin et la solitude.
Les images et les mots se succèdent, paroles et scènes saisies à la volée, qui ébauchent un portrait sombre de l’humanité ; villages désertés, traces de la guerre et monuments aux morts dans l’ombre de la lecture de Claude Simon, misère sociale et précarité là où il n’y a plus de travail, croix gammées sous un pont, relief des églises et des écluses qui viennent ponctuer le paysage plat, instantanés de pornographie, et les gestes touchants des donneurs d’eau.
«Dans le café PMU, la télé, réglée sur une chaîne de courses hippiques, tonitrue. Un fard épais alourdit les paupières de la patronne. À nouveau, des femmes-poules, grasses, poings sur les hanches, te regardent passer.»
En contrepoint la narratrice épouse le paysage pour se fondre en lui, devenant un animal migrateur qui se terre la nuit dans un creux, au cœur d’une nature dégoulinante de pluie mais vivante, dans les scintillements nocturnes de la forêt, en compagnie des lièvres virevoltant au crépuscule et des insectes qui crissent, dans la terre grasse et les pierres du chemin.
«Nuit parmi les plumes et la paille, journées dans les averses, le vent, le ciel bas. Pays vert, aux champs rebondis, qui donne l’impression d’être dans la matière nuageuse, sans horizon. Tu avances dans le vert et la brume.
Tu veux photographier le sol comme une stèle, tu veux que cette terre sur laquelle ton regard tombe soit vue comme un paysage qui serait vertical, une peau à laquelle on ferait face, aux mille pores, scories, traces, scarifications. Tu veux qu’on perde l’échelle du paysage.»
La plume de Colette Mazabrard évoque un large pinceau étalant la matière, gonflé par le tumulte du vent et de la colère, alourdi par la glaise et la volonté d'épuisement du chagrin.
Un premier roman paradoxalement superbe, où la boue des chemins est transmuée en poésie (éditions Verdier, 2015).
Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/03/27/note-de-lecture-monologues-de-la-boue-colette-mazabrard/