« Rue des Voleurs » est le parcours de Lakhdar, un marocain d'à peine vingt ans, et de son meilleur ami Bassam, jeune capté par un groupuscule islamiste mais qui reste fasciné par les seins des filles.

Lakhdar, chassé par ses parents pour avoir couché avec sa cousine, se retrouve sur un chemin qui va le mener des quartiers modestes et de la zone franche de Tanger jusqu'à la Barcelone des immigrants, des junkies et des prostituées de la rue des Voleurs. Son goût des livres, en particulier des romans noirs – Manchette, Izzo... - achetés chez un bouquiniste de Tanger, a façonné son identité mélangée et les livres vont en grande partie mener son destin, le poussant à chaque fois dans des nouvelles étapes par rencontres successives.

Autres cailloux blanc du roman, les récits de voyage d'Ibn Batouta, voyageur-pèlerin du XIIIème siècle originaire de Tanger, et l'histoire de Casanova soulignent que Rue des Voleurs est un roman d'aventure, même si Lakhdar a toujours le sentiment d'être en retrait de sa propre vie, de ne jamais être encore passé à l'acte.

Mathias Énard réussit l'exercice difficile de conserver la force de la fiction, tout en la greffant sur l'actualité récente, les révolutions arabes, la crise économique en Europe et la révolte des jeunes que celle-ci en Espagne, en écho au désir de liberté des jeunes de l'autre côté de la Méditerranée.

« Judit était observatrice et attentive ; nous avons parlé de Révolution, de Printemps arabe, d'espoir et de démocratie, et aussi de la crise en Espagne, où ça n'avait pas l'air d'être la joie – pas de travail, pas d'argent, des coups de matraque pour ceux qui avaient la prétention de s'indigner. L'indignation (dont j'avais vaguement entendu parler par Internet) me semblait un sentiment assez peu révolutionnaire, un truc de vieille dame propre surtout à vous attirer des gnons, un peu comme si un Gandhi sans projet ni détermination s'était un beau jour assis sur le trottoir parce qu'il était indigné par l'occupation britannique, outré. Ça aurait sans doute fait doucement rigoler les Anglais. Les Tunisiens s'étaient immolés par le feu, les Égyptiens s'étaient fait tirer dessus place Tahrir, et même s'il y avait de grandes chances que ça finisse dans les bras du cheikh Nouredine et de ses amis, ca faisait un peu rêver quand même. »

« Les villes s'apprivoisent, ou plutôt elles nous apprivoisent ; elles nous apprennent à bien nous tenir, elles nous font perdre, petit à petit, notre gangue d'étranger ; elles nous arrachent notre écorce de plouc, nous fondent en elles, nous modèlent à leur image – très vite, nous abandonnons notre démarche, nous ne regardons plus en l'air, nous n'hésitons plus en entrant dans une station de métro, nous avons le rythme adéquat, nous avançons à la bonne cadence, et qu'on soit marocain, pakistanais, anglais, allemand, français, andalou, catalan ou philippin, finalement Barcelone, Londres ou Paris nous dressent comme des chiens. »
MarianneL
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le 20 oct. 2012

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