"Sept générations d'exécuteurs. Mémoire des Sanson" est une vraie-fausse autobiographie de Sanson père et fils, une famille de bourreaux au service de l'état Since 1688 jusqu'en 1847 : date de la révocation d'Henri-Clément Sanson pour défaut de paiement de dettes de jeu... La classe ! En même temps, je comprends qu'on puisse trouver refuge dans la dépendance et la consommation effrénée de jeu d'argent quand on a un métier aussi gai. À cette époque, ils se transmettaient la charge de bourreau de père en fils, ce qui peu paraître complètement hallucinant aujourd'hui notamment lorsqu'on hérite du métier très particulier qui consiste à donner la mort par décollation à la hache ou à l'épée, puis par la guillotine à partir de la Révolution française.
Pourquoi vraie-fausse autobiographie ? Tout simplement parce que dans la préface de l'ouvrage, vous apprendrez que l'auteur de ces mémoires n'est pas Henri-Clément Sanson mais un illustre inconnu, Casimir Guillemeteau et pour certains passages, on parle même de Balzac (nègre de luxe)! En effet, Sanson ne sait pas raconter mais il semblait plus intéressant de faire croire au public du XIXe siècle (mais ça marche aussi aujourd'hui), avide de sensationnel, de sang et de larmes, que ces mémoires sont des mains du dernier bourreau "professionnel" de l'histoire de France. Ce fut d'ailleurs un très grand succès de librairie à l'époque et qui permit à Henri-Clément Sanson de se racheter un peu de dignité !
Attention chers lecteurs, si ce n'est pas Sanson qui écrit effectivement ses mémoires, il s'agit néanmoins d'un ouvrage historique (et pas une fiction) car les présents écrits sont adaptés des notes, des journaux intimes et d'appréciations diverses laissées par la famille Sanson au cours de leur vie de bourreau. Ce qui donne un style plutôt ampoulé, pas toujours très fluide à lire pour un contenu relativement romancé, donc à prendre avec des pincettes.
Il y a trois degrés de lecture : Henri-Clément Sanson qui feint de raconter à la première personne (puisque ce n'est pas lui qui écrit) en évoquant sa famille ou les victimes qui ont été tuées ; l'ancêtre en question de la famille Sanson qui écrit son journal au soir ou au lendemain de l'exécution et qui utilise aussi la première personne du singulier, et les victimes elles-mêmes qu'il fait parler dans des dialogues directs ou rapportés notamment lorsqu'il évoque les procès expéditifs ou leur état d'esprit à la Conciergerie quelques heures avant le supplice. Du coup, c'est un peu le bordel !
Qu'est ce qu'il y a à se mettre sous la dent ? Le livre se divise en trois grandes parties inégales au possible. Un plan pareil à l'université, c'est -12/20.
Première partie sur l'avant Révolution, vous pourrez y découvrir les joies et les détails SORDIDES de l'exécution de Damiens, en 1757, sur l'actuelle place de l'Hôtel de ville de Paris ainsi que deux autres exécutions plus soft à l'épée. Et voilà, maintenant on passe à...
...la Révolution française ! Ici vous apprendrez quelques menus détails sur la mort de Louis XVI, Charlotte Corday, la Reine Marie-Antoinette, Olympe de Gouge, Louis-Philippe d'Orléans, Madame Roland, Madame du Barry, Danton, Robespierre, Fouquier-Tinville... et plein d'autres encore ! C'est génial ! Le livre fait approximativement 340 pages, la guillotine révolutionnaire séquestre les trois-quarts du livre. Dans la troisième partie, l'auteur évoque assez brièvement les trois mises à mort d'Henri-Clément Sanson himself avant la perte de sa charge. La condamnation à mort de Lesurques est particulièrement touchante. Citoyen innocent des crimes qu'on lui reproche, il est inexorablement conduit à l'échafaud malgré les nombreuses preuves à sa décharge, malgré aussi les déclarations du complice du véritable assassin qui le proclame innocent jusque sur l'échafaud. Non, la sentence est prononcée, il doit mourir. Quelle horreur ! Imaginez un scénario pareil aujourd'hui ? Et là, ce n'est pas comme aux USA, le gars est déclaré coupable et tué en moins de 24h. J'ai d'autant plus apprécié ce livre qu'il nous propose un visage de la Révolution française plutôt méconnu du grand public. Tout le monde a entendu parler de la Terreur mais qui connaît le déroulement d'un procès au Tribunal criminel de Paris ? Qui peut aujourd'hui citer des victimes de la Terreur ? Sait-on qu'on envoyait, parfois par groupe entier, des femmes et des hommes à la mort uniquement parce qu'ils avaient une opinion différente ou parce qu'ils/elles étaient la femme de..., le fils de..., l'ami(e) de... ? Rien que pour cet aspect, le livre est édifiant.
Pour les âmes sensibles, rassurez-vous, le récit n'est pas si prolixe en détails macabres et tant mieux parce qu'après avoir lu les mutilations de Damiens in media res, on n'a pas trop envie de se taper 320 pages supplémentaire sur le même registre. L'auteur (j'entends par auteur, le bourreau qui raconte l'exécution qu'il orchestre avec ses aides) s'attarde plus souvent sur la dimension psychologique des condamnés, mais aussi sur ses propres souffrances et sur la pesanteur de sa tâche qui lui impose de mettre à mort des milliers de femmes, d'hommes et d'enfants (oui, exécuter des adolescents à la Révolution, c'était tendance). 2918 personnes furent dévorées par la guillotine des mains du grand-père d'Henri-Clément Sanson pendant la Révolution... De fait, on a de belles considérations sur l'abolition de la peine de mort plus de 140 ans avant sa date effective. Voici deux extraits tirés de l'épilogue : "La peine de mort a fait son temps. En la supprimant, on affranchira de devoirs pénibles une classe de fonctionnaires pour lesquels j'élèverai d'autant plus la voix que j'ai cessé d'en faire partie. On rendra à l'estime de leurs concitoyens des hommes qui n'en ont démérité que sous l'empire du plus illogique des préjugés. Vieillard, j'ai conservé sur ce sujet toutes les idées de ma jeunesse et de mon âge mûr. Il est absurde de faire supporter à l'exécuteur seul tout le fardeau de la répulsion qu'inspire la peine de mort." ; "Chaque jour est un pas rétrograde devant le vœu de l'humanité qui se prononce de plus en plus, et bientôt la législation acculée sera obligée de déposer les armes et de jeter aux ornières le sanglant couteau qui salit encore ses mains."
Pour résumer, les "Mémoires des Sanson" est un livre sympathique et séduisant, avec un sujet que l'on peut qualifier de "croustillant" ce qui permet d'embrasser un large public pas forcément féru d'histoire. De fait, l'ouvrage fait son office (même si le propos n'est pas toujours très clair) car il rend accessible, par des moyens détournés, quelques notions d'histoire et philosophique sur la Révolution et la peine de mort en France.

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le 21 juin 2015

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