Paru en 2011 aux éditions Inculte, ce livre regroupe des textes écrits lors d’un voyage en transsibérien, organisé avec plusieurs écrivains à l’occasion de l’année France-Russie, ainsi que des nouvelles issues de plusieurs autres voyages, traduisant la fascination pour la Sibérie d’Olivier Rolin.
Cette fascination prend sa source dans le mot même de Sibérie, objet du magnifique premier texte de ce livre, un nom au charme inacceptable tant il est synonyme de malheur, emblématique de la démesure dramatique du territoire et de son Histoire.
«Les noms ont une couleur, une odeur, comme celle d'étoffes leur texture s'offre au toucher. Il en est qui ont l'expansion des choses infinies. Sibérie, ça sonne bien, vaste, comme Sahara. J'y entends tinter le fer, j'y vois briller la fourrure des zibelines. J'y vois une étoile fondre tel du sel dans l'eau noire, comme dans un poème de Mandelstam : "Et plus pure la mort, plus âcre le malheur / Et la terre plus cruelle et plus vraie."»
La Sibérie est l’expérience d’une immensité insondable, d’une région du globe où les dimensions géographiques et le cours de l’Histoire changent d’échelle, «un endroit de la terre où elle ne fait pas les choses à moitié».
«La Sibérie, c’est le grand large sur terre. Tchekhov note que "la mesure humaine ne s’applique pas à la taïga. Seuls les oiseaux migrateurs, dit-il encore, savent ou elle s’achève".»
Tout prend des dimensions grandioses là-bas, l’éclosion des fleurs au printemps après la fonte des glaces, les épisodes du voyage et les rencontres avec ces hommes qui ont des vies qui semblent «taillées à coup de hache.»
«Pendant mon séjour à Khatanga, j’ai encore vu défiler un philatéliste natif de Macon, qui venait pour la quatrième année consécutive oblitérer au pôle, un cheikh arabe photogénique et jovial, que les mauvais esprits gratifiaient du surnom de «quarante-deux femmes», ce qui était évidemment très exagéré (je l’aurais bien vu en revanche amant de l’infortunée Lady Diana), deux militaires français qui allaient s’entraîner sur la banquise (en prévision du jour de la guerre avec les Esquimaux ?), et même un cardinal romain.»
Sur la trace des grands écrivains russes, Olivier Rolin conclut ce périple géographique et littéraire sur les traces de Varlam Chalamov à Magadan, une quête qui souligne et dénonce l’amnésie de l’Histoire autant que son cauchemar.
«"Se souvenir du mal d’abord, et du bien ensuite. Se souvenir du bien pendant cent ans, et du mal pendant deux cent ans" : telle est l’âpre leçon que Chalamov retire de la Kolyma.»
Un petit livre en réalité très grand.
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