«Nous sommes comme des petits singes qui essaient de comprendre une énorme jungle.»

C’est un peu l’impression que j’ai eu en rentrant dans cette jungle foisonnante qu’est "La fille automate", le récit d’un futur dans le royaume de Thaïlande, après l’effondrement de l’énergie fossile, dans un monde où la biodiversité n’est plus qu’une mine d’or disparue, et où de grandes pandémies ont dévasté le globe. Après une période de guerre et de dévastation, épidémies et fondamentalisme religieux menacent toujours, mais le commerce mondial reprend lentement ; et une poignée de sociétés dites caloriques (AgriGen notamment) contrôlent l’alimentation et le destin des humains avec leurs semences stériles et brevetées, d’un prix naturellement exorbitant.

Dans une ville de Bangkok menacée par la montée des eaux, une cité corrompue, grouillante et brûlante, Lars Anderson sous la couverture d’une activité de production d’énergie à base d’algues transgéniques, cherche à satisfaire les appétits impérialistes d’AgriGen et à mettre la main sur la banque de semences préservée par le royaume de Thaïlande.

Personnage ambigu (comme beaucoup d’autres ici), Anderson va croiser et être séduit par Emiko, une fille-automate de conception nippone, éduquée pour servir un maître japonais, puis abandonnée dans un bordel de Bangkok, un être programmé pour plaire et obéir mais apte à ressentir la souffrance et l’humiliation.

Au cœur des luttes acharnées pour le pouvoir thaïlandais, la fille automate n’est finalement qu’un personnage parmi d’autres, dans ce récit qui forme une prolongation extrêmement convaincante et imaginative des facettes les plus inquiétantes de la modernité.

«Des vendeurs de rues tendent leurs bras drapes de guirlandes de soucis, offrandes pour le peuple, proposent des amulettes scintillantes de moines révérés pour se protéger de tout, depuis la stérilité jusqu'à la gale purulente. Des étals de nourriture fument et grésillent dans l’odeur d’huile de friture et de poisson fermenté ; autour des chevilles de leurs clients, les formes tremblotantes et chatoyantes des cheshires s’enroulent en gémissant, espérant quelques restes.
Plus haut se dressent les tours de l’ancienne Expansion de Bangkok, vêtues de lierre et de moisissure, leurs fenêtres explosées depuis longtemps, elles ressemblent à de grands os blanchis par les charognards. Sans air conditionné ni ascenseur pour les rendre habitables, elles se contentent de cloquer au soleil. La fumée noire des feux de fumier illégaux s’échappe de leurs pores, révélant les locaux où les refugiés malais font cuire leur chapatis et bouillir leur kopis avant que les chemises blanches n’aient le temps d’investir leur refuge dans les hauteurs et de les tabasser pour crime.»
MarianneL
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le 18 juin 2013

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