Mon petit renne
7.4
Mon petit renne

Série Netflix (2024)

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L’écossais, acteur, auteur et cinéaste Richard Gadd s’empare de sa propre biographie d’humoriste gravement harcelé, victime d’un traumatisme enfoui, pour nous livrer une fiction brillante d’une extrême originalité, troublante et profonde, symptôme du malaise de toute une époque : Mon Petit Renne.

Dans Baby Reindeer, avec une nudité et une sincérité totales, Richard Gadd nous fait plonger dans la noirceur fascinante et la généalogie démente des traumatismes (harcèlement et viol) dont il fut lui-même victime.


L’ensemble pourrait être glauque et s’annuler au bout du 3ème épisode dans une surenchère vaine. Il n’en est rien tant la véracité d’analyse et la singularité d’écriture de l’auteur sont prégnantes et subtiles.


Mon Petit Renne s’agrippe avec une force rare à un matériau ciné-génique présent, intense et puissant inventant dans le personnage de ce one man show looser, traqué, hanté par la honte et vulnérable, le double contemporain de Lenny (le film de Bob Fosse avec Dustin Hoffman) ou le versant auto-psychanalysé de Joker.


Car la grande réussite de Mon petit Renne n’est pas seulement d’attaquer de front avec courage et ultra lucidité les problématiques de ce que génère un traumatisme (la perte de confiance, la haine de soi, la destruction de l’identité, la défaite du moi, la culpabilité obsessionnelle, l’extrême vulnérabilité) mais de projeter ce récit dans la lumière noire, vénéneuse et nébuleuse d’une psychanalyse existentielle qui devient elle-même la forme du show du héros (Donny Donn), sa matrice à rire et réfléchir.


Mon petit Renne prend le spectateur par surprise l’emportant loin dans ses abimes tant par son sujet(la manipulation psychique et la mort blanche qui s'ensuit) que par l’intensité dramatique de son récit ( déployant la destruction systématique et tortueuse que provoque l'abus) et la haute qualité de ses acteurs (Richard Gadd himself dans le rôle titre, Jessica Gunning dans celui de la harceleuse mentalement instable, Nava Mau dans le rôle de la petite amie trans)


Serveur dans un bar miteux de Londres, un humoriste (Donny Donn) voit sa vie littéralement ravagée et détruite par l’intrusion d’abord enfantine et anodine puis de plus en plus envahissante et flippante d’une déséquilibrée( ancienne avocate radiée) focalisant sur lui et décidant de faire de sa personne l’objet absolu de ses fantasmes et obsessions. À partir de là, ce qui paraît d’abord n’être qu’un jeu un peu malséant, libidineux et risqué saute d’un cran dans la dérive psychotique et le délire de cette Martha qui n’en peut plus d’écrire, de harceler, de vouloir, d’aimer ou de haïr Donny, son Petit Renne comme elle l’appelle dans les centaines de mails et les milliers de messages vocaux qu’elle lui inflige.


Richard Gadd écrit lui-même que le harcèlement à ce point d’intrusion et de dépossession de la vie, de l’intime de l’autre est une maladie mentale. Sa série utilise certes cet axe pour monter en crescendo dans la veine du thriller mais ne réduit pas la densité de sa dramaturgie à la toxicité du harcèlement.


En effet le scénario contient cette ambiguïté de prendre en compte l’humanité de Martha, de ne pas la juger trop sévèrement d’emblée, de lui laisser la liberté de ses raisons. Et c’est cela qui est très juste et émouvant dans les choix d’écriture de Richard Gadd : ne pas juger, essayer de comprendre, laisser tous les personnages avoir raison, aller jusqu’au bout avec eux.


Si écrire c’est comme le dit Georges Bataille montrer l’anatomie, aller jusqu’au bout, dire la vérité. Cette série n’est pas en reste. Arc-bouté sur les complexités de son récit et les ambiguïtés de la vérité, voulant questionner et nous entraîner à le faire, mu par un désir de dire la vérité avec les armes du cinéma, Richard Gadd saisit les rênes de son autofiction et par suite de sa destinée artistique avec un cran et une vulnérabilité vraie, une audace courageuse et stimulante.


L’ensemble est inénarrable (et pourtant purement vrai) et dépasse de loin ce que nous n’aurions pu juste qu’imaginer. Mélange de thriller, comédie dark et de terribles mystères psychanalytiques , jusqu’au-boutiste, ironique, tendre et affranchie de faux-semblants, la mini fiction Mon petit Renne nous arme d’un courage nouveau dans la lutte contre les abus de toutes sortes, place l’humain héroïque et déchu, l’humain fou et blessé au cœur de son écriture et montre à quel point nous avons « l’art pour ne point mourir de la vérité ».


Pour aller plus loin c'est par ici, https://www.lemagducine.fr/critiques-series/mon-petit-renne-serie-richard-gadd-saison1-netflix-10068382/

VioletteVillard1
9

Créée

le 22 avr. 2024

Critique lue 564 fois

8 j'aime

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8

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