L'Empire
5.8
L'Empire

Film de Bruno Dumont (2024)

Si je me souviens bien L'Empire était le titre de travail d'Hors Satan, un des meilleurs Dumont et l'un de ses derniers avant qu'il ne se mette à la comédie. C'est là qu'on se rend compte qu'à la fois tout à changer et que rien n'a fondamentalement changé dans son cinéma. Il est toujours obsédé par la figure du mal, par le nord de la France, par les visages atypiques, mais dans l'Empire le mal semble indissociable du bien. Il ne cause aucun tort, il est moins dissimulé, le mal déclare être le mal et le bien déclare être le bien alors que rien ne différencie fondamentalement leurs actions...


Avec l'Empire c'est un peu comme si Dumont voulait dépasser ces figures qui hantent son cinéma pour quelque part les tourner en dérision, montrer leur vacuité et mettre l'Homme au centre dans toute sa beauté. Finalement l'Empire se rapproche plus de Coincoin et les Z'inhumains que de n'importe quel autre projet de Dumont. Alors forcément les deux se passent dans le Quinquinverse puisqu'on retrouve nos deux gendarmeries nationales préférés, mais surtout les deux sont axés vraiment sur la comédie pure avec quelques moments forts emplis de tendresse et se finissent dans une spirale gigantesque semblant libérer les humains d'un poids (le racisme dans Coincoin, la lutte absurde du bien et du mal dans l'Empire).


Alors forcément il faut mettre les pieds dans le plat, Dumont s'amuse à parodier et à se moquer des codes des films de SF, les sabres lasers, les filles en tenues légères, les méchants empires, les humains possédés par une force extraterrestre (c'était déjà un peu le cas dans Coincoin), il le fait de manière anti spectaculaire, jusque dans la mise en scène. Je pense à des plans où on a une fille qui s'agenouille devant un mec, le mec tend la main comme une sorte d'adoubement et n'importe qui aurait cadré ça comme Vador qui tend la main à Luke au moment où il dit être son père. Mais pas Dumont, la valeur de plan ne change pas, la main est hors cadre et la séquence se poursuit, comme si le délire SF mystique ne devait pas interrompre son champ contre champ.


Et de l'autre côté à la fin on a une bataille finale qui fait pchit, mais avec des plans sur le héros qui marche devant son armée de vaisseaux spatiaux qui sont à tomber et qui feraient pâlir n'importe quel Dune ou Star Wars. Dumont sait faire et mieux que n'importe qui d'autre, juste il ne veut pas. Il cherche autre chose. Ce qu'il cherche c'est la beauté de la relation entre cet émissaire du mal et celle du bien.


Dans le même genre de procédés de mise en scène un peu étranges, ou peu conventionnels on a le montage parfois trop dynamique dans les champs contre champ. Je pense notamment à la scène avec Camille Cottin au marché où dès qu'un personnage a fini de parler, ça coupe, donnant un rythme totalement étrange et saccadé à la scène, là où Dumont dans ses autres films et dans les autres scènes du film prend le temps de faire son champ contre champ, de filmer les réactions du personnage en face histoire que l'on sente une connexion entre les deux. Comme si Camille Cottin, tout bien qu'elle est censée représenter, rendant toutes les interactions creuses.


En parlant d'interactions on a surtout Brandon Vlieghe, acteur amateur qui a comme partenaire Anamaria Vartolomei actrice professionnelle qui commence à avoir une petite renommée. La rencontre entre les amateurs et les pro ça donne quasiment systématiquement quelque chose d'intéressant au niveau du jeu et de ce qui se dégage des interactions. Et là les interactions c'est une haine viscérale entre le bien et le mal, avec des enjeux (forcément assez ridicules) opposés, mais surtout une attraction sexuelle profonde entre les deux parce que même s'ils sont possédés par des entités opposées, ils ont des corps d'humains et la chair attire la chair.


La plus belle scène du film est assurément ce moment où le personnage principal met une main au cul hors champ, la fille est outrée, elle se plaint, avant de le rejoindre et de s'en plaindre également auprès de lui mais sur un autre ton. C'est comme s'il n'avait pas fini ce qu'il avait commencé, comme s'il l'avait allumée. Malgré tout le charabia cosmique, le contact de la chair fait ressortir les émotions humaines et le désir. Il y a quelque chose de sublime. Un peu comme si on dépassait cet antagonisme il restait l'amour. Vraiment troublant. Surtout que forcément la main au cul fait agression sexuelle et elle est jouée comme tel au départ, mais Dumont en fait autre chose, il en fait quelque chose de fondamentalement humain.


Après l'Empire est sans doute le film le plus foutraque de Dumont, ça part dans tous les sens, on a plein de scènes très drôles (mais bon j'étais le seul à rire dans la salle... suis-je le seul à avoir un sens de l'humour ? sans doute...), ce qui fait qu'on ne s'ennuie pas, qu'il n'y a aucun temps mort, mais que lorsque le film se termine il y a un côté assumé : c'est tout ? tout ça pour ça ? Dumont montrant par l'exemple la vacuité de cette lutte.


De toutes façons l'Empire est un film tellement étrange, tellement décalé, ne voulant rien faire comme les autres, partant dans ses propres délires métaphysiques, avec des décors assez... euh... surprenants (quelle idée de génie de mettre le camp du bien dans une sorte de cathédrale cosmique et le camp du mal dans un palais avec de grands jardins à la française), que la majorité des spectateurs restera sur le bord du chemin. Mais malgré tout je reste persuadé que même ceux qui restent hermétique face à cette œuvre y repensent parfois le soir et que ça les travaille.

Moizi
8
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le 6 avr. 2024

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