Autant le signifier tout de suite, cette biographie est de par sa conception totalement hors du commun. S'appuyant sur nombre de Sūtras anciens et de textes classiques du Canon Bouddhique, le moine Thich Nhât Hanh propose de retracer sous forme romancée la vie de celui qui deviendra le premier Bouddha à faire tourner la "roue des enseignements", c'est à dire à enseigner comment se libérer des fléaux de la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort.

Longtemps gardé prisonnier dans son palais, le prince Siddharta vit dans une cage dorée bien tenue par son père afin de lui éviter de connaître les tourments que la vie apporte et afin de s'assurer de sa succession. Lors d'une sortie discrète, le prince découvre le lot de l'existence humaine et physique, les affres de la naissance qui va obliger à vivre ensuite la maladie, la vieillesse et la mort. Profondément ému et irréversiblement déterminé, celui-ci quitte femme et enfant, le gynécée, le trône, et la cour, pour s'accomplir à travers un cheminement aussi spirituel que philosophique.

Une véritable course au bonheur s'engage alors, mais en réalité, pas seulement. Le bonheur n'est quasiment qu'un épiphénomène de la recherche de Siddhartha, qui cherche davantage à éradiquer la réincarnation, à travers la compréhension du fonctionnement de l'esprit et la réalisation de la non-existence du soi. Si vous vous attendiez à un énième ouvrage new-age teinté d'eau de rose, vous serez déçu que l'auteur ne produise pas un "Deepak Chopra" prêt pour une adaptation télévisée, et vous pourrez passer votre chemin (et cette critique aussi, par ailleurs...). Nous trouvons au cours de la biographie, tous les jalons de la vie, dans une chronologie soigneusement respectée de l'"Éveillé" : Ses rapports avec sa famille, ses connexions politiques avec les grands rois de l'époque, ses enseignements pour parvenir à transcender les quatre fléaux que nous avons énoncé, ainsi que quelques morceaux métaphysiques, et même, des pratiques et méthodes de méditation.

Ouvrons ici un aparté quasi nécessaire. Le Canon Bouddhique est appelé Tripitaka et diffère selon les pays bouddhistes, ceux-ci ajoutant ou retirant des aspects selon la capacité d'assimilation de leur culture . Le Tripitaka est la somme de tous les enseignements du Bouddha, et se divise en trois parties, sa traduction signifiant "Trois Corbeilles".

La première corbeille "Vinaya" est celle qui regroupe les règles de la communauté monastique, et les lois pour les moines, ainsi que la raison de leur fondement. (à ce propos nous vous conseillons l'excellent ouvrage de Bernard Faure sur le sujet).

La seconde corbeille, "Sutta" regroupe l'ensemble des enseignements oraux du Bouddha, passés longtemps oralement puis finalement écrit des siècles plus tard.

Enfin, l'Abhidhamma réunit les analyses métaphysiques et psychologiques des enseignements du Bouddha. Ceux-ci n'ont été ajoutés que plus tard.

Bien évidemment, il n'est pas question pour Thich Nhat Hanh de répertorier avec une extrême précision l'ensemble des Trois Corbeilles, mais d'en révéler le sens profond à travers la reprise ouverte des enseignements du Bouddha qui ont conduit à leur conception très élaborée, des siècles plus tard.

Absent du moindre dogme, cet ouvrage est un plaisir à lire, tant pour les démystifications par sa nature épurée, que pour la volonté de démocratisation non réductrice de cette vie atypique, si progressiste pour son temps. Jugez un peu, nous sommes 600 ans avec l'avènement du Christ, et le Bouddha abolira dans sa communauté tout système de caste (encore présent de nos jours en Inde), et intègrera -certes après longue réflexion- les femmes qui seront pour la première fois autorisées à pratiquer une vie spirituelle.

De nombreuses biographies, telles celle de Tharanata (le Soleil de la Confiance), pour ne citer qu'elle, se perdent dans l'attribution de pouvoirs supranormaux au Bouddha et à sa communauté de moines, reléguant malheureusement le principal intérêt de l'oeuvre au rang de conte fantastique. Avec intelligence, Thich Nhat Hanh ne se perd jamais dans ces ornementations qui ne feraient que perdre le lecteur soucieux d'historicité.

L'on saura au contraire apprécier l'authenticité de l'oeuvre, et spécialement saluer l'inspiration que celle-ci confère au lecteur, que l'on soit d'obédience bouddhiste, simple curieux, ou soucieux du développement de soi.

Un oeuvre méritoire et forte, bien servie par son auteur à l'écriture simple et directe, qui ne se contente pas de relier les divers éléments biographiques, mais produit une réelle cimentation vivante entre eux, efficace et cohérente. C'est à ce titre que le lecteur fait le constat obligatoire d'un travail titanesque de recherche, d'épuration, d'élimination de répétitions (les traducteurs spécialisés ne peuvent que confirmer!), pour aboutir à une oeuvre puissante, solide, accessible, sans jamais perdre sa substance et sa quintessence. Un véritable tour de force. Au delà de la noblesse du sujet dont l'ouvrage traite tel un roman, l'on ne peut que saluer l'entreprise remarquablement menée.

Ce livre trônera de façon majeure dans la bibliothèque de celui (ou celle) qui sera soucieux (ou soucieuse!) du développement de son être profond et de la maîtrise de soi.

Activité sur Sur les traces de Siddharta