Moorcock c'est avant tout pour moi ce grand auteur de Fantasy lié à ses personnages mythiques d'Elric, Erekosé, Hawkmoon et Corum. Et c'est aussi le cas pour la grande majorité des lecteurs, qui comme moi ne doivent pas beaucoup connaitre cette autre facette de son talent: un précurseur du Steampunk doué d'une grande capacité de réflexion(s) donnant corps à des dystopies passionnantes.

Ce bouquin regroupe trois récits mettant en scène un capitaine de l'armée britannique de 1903n qui lors d'une escarmouche contre un peuple indigène d'une des colonies britanniques va se retrouver projeté dans des univers parallèles où notre histoire va dévier plus ou moins légèrement, mais avec des lieux et des évènements majeurs ayant marqués notre propre Histoire. Cela fera de lui un Nomade du temps, mais l'acceptation sera longue et parfois douloureuse. Moorcock se fait l'editeur des carnets de voyage de ce capitaine Bastable, melant fiction et supposée réalité d'une manière très intelligente. Et très sombre. Pas d'humour dans ce multivers fouillé encombré de sentiments souvent peu glorieux.

Si la troisième épopée est un peu moins prenante, les deux autres sont superbes, mêlant toujours aventure et reflexion philosophico-politico-humaniste. On est parfois à la limite du décrochage intellectuellement parlant, mais l'auteur est assez fort pour s'arreter au point de rupture qui ennuierait le lecteur. Quand je pense que cela a été ecrit dans les 70s et que beaucoup de ses propos sont encore justes... Et en grande clairvoyance, il ne juge pas un système meilleur que l'autre, préférant analyser les causes et conséquences, les qualités et défauts, les réalités et les utopies. Le contexte colonial et socialiste est dépassé sur la forme historique, mais sur le fond on peut largement transposer à notre epoque la relation exploiteur/exploité et la sempiternelle recherche de pouvoir de certains et l'asservissement d'autres.

Un contexte qui permet à Moorcock de poser trois dystopies vraiment plaisantes à lire, envoyant ses dirigeables evolués et armés en Russie comme en Inde en passant par la Chine, l'Europe et l'Amérique, theâtres d'affrontements et de recherches. Un vrai souffle épique, des persos caricaturaux parfois, souvent perdus et en recherche de rédemption, toujours en quête d'un meilleur pour soi ou une nation entière. Jamais manichéen, à l'image de cet "Attila noir" de la deuxième histoire, cruel et sanglant envers ses ennemis qui ont traité son peuple à l'equivalence pendant des décennies. Faire le bien sur le fond en faisant mal sur la forme.

Un mélange de genre et de propos pas évident à mettre en valeur, même carrément casse gueule, et pourtant Moorcock s'en sort haut la main, prenant le temps de se poser et épaissir ses protagonistes pour mieux nous les faire vivre.

Activité sur Le Nomade du Temps