Le docteur Kronberg, femme médecin travesti en homme, se lance aux trousses d’un serial killer aux côtés de Sherlock Holmes dans un Londres frappé par le choléra.

Être une femme

Londres, 1889. Le Docteur Anton Kronberg est un médecin talentueux spécialisé en bactériologie. Reconnu de tous pour son expertise et ses solides connaissances, le Docteur Anton Kronberg correspond pourtant à une fausse identité qui dissimule en réalité une femme médecin nommée Anna. En effet, l’admission des femmes dans les professions médicales n’est pas encore admise en Angleterre, une interdiction qui provoque des tentatives désespérées et dangereuses pour ne serait-ce qu’avoir la chance d’exercer une passion et un métier.

C’est le cas d’Anna qui doit élaborer divers stratagèmes pour conserver son rôle de médecin en se travestissant en homme. L’estomac noué mais l’esprit motivé, son quotidien est rythmé par l’envie (ou la nécessité) de conserver le secret au prix de tous les sacrifices. Vêtements amples, poitrine dissimulée, vie sociale inexistante. Anna ne bénéficie même pas du luxe de se payer les services d’un tailleur qui pourrait facilement remarquer les caractéristiques de son anatomie. Oscillant entre ses deux identités, Anna garde péniblement le lien avec sa féminité : jouant le rôle de l’homme le jour pour redevenir non sans mal la femme le soir. Malgré la peur constante d’être dénoncée, cette femme est parvenue à vaincre la pensée sexiste de la société en prouvant que les métiers réclamant une certaine intelligence pouvaient être exercés par tous et par toutes, tandis que l’intelligence elle-même n’était pas définie en fonction du sexe de la personne. Toutefois, cette victoire personnelle, presque jubilatoire, prend fin lors de la rencontre avec un homme hors du commun : Sherlock Holmes.

Watson cède sa place

Scotland Yard requiert régulièrement les services du Docteur Kronberg pour ses conseils sur certaines affaires ou certains risques sanitaires. Cependant, la femme médecin ne semble pas être le seul génie de Londres consulté par les forces de l’ordre afin de démêler des mystères trop complexes pour la police locale. C’est ainsi qu’une enquête énigmatique provoqua la rencontre entre Anna et la seule personne capable de se mesurer à son intellect. Un fait intéressant lors de cette rencontre est l’alchimie qui naît entre le Docteur et le détective Sherlock Holmes. En effet, rappelons que Anna se déguise en homme pour avoir le droit d’exercer la médecine, ce domaine professionnel semblant être uniquement réservé à l’intelligence supérieure masculine. En gardant ce fait révolu à l’esprit, la rencontre en demeure d’autant plus intrigante tant la femme médecin s’aligne intellectuellement à l’esprit de Sherlock Holmes au point de parvenir à l’égaler.

Ils luttent, débattent, se jaugent, se découvrent des facultés intellectuelles et des comportements identiques. Et l’on assiste alors à une véritable alchimie, timidement amoureuse, entre semble-il les deux seules personnes de ce monde capables de se comprendre l’un l’autre. Motivée par cette attraction réciproque d’une incroyable intensité, les deux cerveaux les plus puissants de Londres font cause commune face à un adversaire aussi redoutable que Jack l’Eventreur.

On arrête pas le progrès

Ce roman historique possède l’avantage de remonter le temps à l’époque de l’Angleterre victorienne. S’en suit l’opportunité de créer une satire des problèmes sociaux de cette époque à mesure que l’enquête progresse. Au-delà du cas très particulier d’Anna pour exercer sa passion, Annelie Wendeberg, l’auteur, cède volontiers dans son récit une place aux actions problématiques liées à la science dans le but de pérenniser son évolution. Ainsi, l’enquête emporte nos deux personnages vers les pires atrocités commises par l’univers médical de Londres. En effet, si le roman souhaite divulguer un message c’est bien celui que l’humanité a toujours exploité les faibles de façon délibérée ou par ignorance. Ainsi, l’enquête s’enlise dans le domaine des expérimentations scientifiques inhumaines. La piste mène notamment à ce marché lucratif de la vente de cadavres afin que la science puisse continuer à progresser, jugeant digne de foi ces pratiques par les anatomistes.

Une manière comme une autre d’affirmer que le danger dans Londres victorienne rode non seulement par la criminalité et la maladie, mais aussi par l’emprise d’une obsession ou d’une nécessité. L’obsession pour la science de bénéficier de cadavres et d’en commander abondement comme on le ferait pour n’importe quel besoin essentiel, provoquant ainsi la permissivité du meurtre ou la profanation des tombes. Mais aussi la nécessité de survivre pour les plus pauvres jusqu’à vendre père et mère afin de se nourrir. Dans la société malfaisante de Londres, les plus aisés invitent les plus nécessiteux à les servir davantage en se séparant finalement de la seule chose qu’ils possèdent encore : leur humanité. Cette prétention sociale au nom de la science, acceptée en silence quand elle n’est pas ouvertement célébrée, gangrène semble-t-il cette grande ville autant que les pires maladies infectieuses. Se propageant aussi rapidement, infectant le cœur et l’esprit des citoyens jusqu’à la nécrose de l’âme.

Conclusion

Roman historique centré sur Londres victorien, Annelie Wendeberg dépeint une époque malfaisante, cruelle, et laide, en proie à l’opportunisme des plus puissants sur les plus faibles. Tout au long du récit, l’auteur cherchera à affleurer les nombreux actes immoraux qui se pérennisent à travers le prisme de la sacro-sainte science et sa progression.

Une remarquable analyse véridique dans laquelle le détective semble avoir trouvé son homologue féminin, s’émancipant radicalement du duo si célèbre de Sherlock Holmes et du Docteur Watson au cœur d’une enquête mouvementée.

Activité sur Le diable de la Tamise