Le siècle d’Emma est une habile bande-dessinée mêlant la petite à la grande histoire avec sa saga familiale sur plusieurs générations qui traversent le XXième siècle suisse.

Emma en est le personnage central, toujours présente, jamais bien loin, vieillissant avec le siècle. Elle a droit à son propre chapitre, mais d’autres personnages sont les héros ou les héroïnes de leurs segments, toujours reliés par les liens familiaux d’une façon ou d’une autre à Emma. Des liens se font, des crises se joueront, tout cela devant nos yeux. Tous n’auront pas le plus beau des rôles, tandis que les comportements d’hier changeront parfois ou qu’ils ne se montreront plus en phase avec un nouveau contexte qui les dépasse. Ces gens du quotidien suisse grandiront, vivront ou mourront, sous les yeux bienveillants du lecteur.

Cette peinture des caractères et des engagements se fond dans un autre but, celui de présenter l’histoire de la Suisse dans ce XXième siècle, loin d’être tranquille avec ses remous internes et ses crises sociales. Et parfois loin des clichés attendus pour un petit Français bien extérieur à cette histoire. Quelques cartes ou quelques présentations de personnalités de cette époque s’intercalent dans l’ouvrage, ce qui est un plus évident, et toujours assez discrètes. Mais c’est cette famille suisse qui reste au centre et permet de présenter ces turbulences.

L’ouvrage aborde ainsi la grève générale de 1918 et sa répression violente. Les tentations nationalistes et les amitiés nazies de la Suisse des années 1930 à 1940 sont ensuite abordées. Le chapitre suivant s’intéresse à la jeunesse dorée suisse des années 1950, qui cache mal sa xénophobie notamment des Italiens, appelés pour soutenir l’économie suisse mais traités comme des chiens. Pour les cinéphiles, voir l’excellente comédie noire Pain et chocolat de Franso Brusati sortie en 1974. Tandis que le film Les Conquérantes de 2017 est un intéressant parallèle avec le dernier segment, le militantisme féminin des années 1970. Il faut rappeler que la Suisse fut un des derniers pays occidentaux à attribuer le droit de vote aux femmes. Les chapitres ne sont pas fermés sur eux-mêmes, il y a des liens entre eux, des personnages qui se retrouvent dans l’un et l’autre, mais aussi des conséquences qui éclateront plus loin.

La Suisse peut se vanter aujourd’hui de son image de marque, de sa réputation propre sur elle-même, mais l’ouvrage rappelle bien que son histoire récente est remplie d’événements moins glorieux. Le ton du livre reste toutefois assez doux, il y a de l’indignation bien sur face à certaines situations, mais aussi la volonté de montrer toutes les facettes, en présentant les arguments des uns et des autres, quitte à se bouffer le nez en famille.

Le dessin de Fanny Vaucher est dans la même veine, doux et humain, les personnages représentés avec une certaine humanité, des émotions mais aussi des convictions, parfois contraires, parfois qui évoluent. Les couleurs à l’aquarelle peuvent être plus colorées, plus sombres, mais contribuent à la douceur de cet album, à la rage qui éclate, mais aussi à la joie qui rejaillit.

Le Siècle d’Emma est donc une agréable porte d’entrée sur l’histoire de la Suisse, sur notre cher voisin. Avec Emma et sa famille, c’est un portrait à la fois contrasté de gens différents, unis par le sang, et parfois divisés tant les engagements peuvent réunir mais aussi éclater. Mais le tout est offert avec une grande humanité, assez sensible.

Activité sur Le siècle d'Emma