Avant-dernier film de Peter Watkins, Le Libre Penseur est une fois de plus un grand film. Le réalisateur y applique une nouvelle fois son système de faux documentaire tout en continuant à se renouveler de manière impressionnante. Dans sa première partie, le film dans son sujet (biographique) et sa longueur peut rappeler la Danse de la Vie consacré à Munch, on y retrouve la vie de l'écrivain August Strindberg, et, là où les tableaux nous permettaient d'entrer dans l'esprit de Munch, c'est avec des extraits de ses écrits que nous découvrons celui de Strindberg.

On peut donc croire au début que Watkins va se présenter en double de Strindberg, il partage en effet avec lui une vision anti-élitiste et la volonté de faire entendre la voix de tout un peuple. Mais passé le premier tiers du (très) long métrage, un thème qui était esquissé légèrement va finir par prendre le dessus, et ceci via une scène lunaire : un homme dont nous pouvons voir qu'il appartient à notre époque vient confronter Strindberg à ses contradictions. A partir de ce moment charnière Strindberg ne sera plus un auteur visionnaire et humaniste mais bien un bourreau misogyne et détestable.

Le comportement de Strindberg auprès de sa femme permet à Watkins de montrer la situation peu enviable des femmes à cette époque et fait de ce biopic un film à part : en brisant ce qu'il appelle la monoforme, Watkins crée un film hybride et unique qui tout en nous racontant l'histoire d'un personnage historique dévoile aussi tout un pan de la pensée de son époque (et un peu de la notre).

L'expérimentation cinématographique apporte, elle aussi, beaucoup au film, qui, allant bien au delà d'un récit linéaire sur Strindberg nous permet d'appréhender de manière intelligente les multiples contradictions et névroses du bonhomme. Ainsi s'enchainent des scènes de vie reconstituées, des extraits de publications de Strindberg mais aussi de fausses interviews d'époques, des moments où les acteurs passent de la première personne à la troisième personne pour parler de leurs personnages et nous faire part de leur vision de la situation ainsi que des moments de réactions d'un public visiblement après le visionnage de scènes du films (bon ce dernier point n'est pas incroyable et me fait surtout penser aux questions et réactions du public dans Ca va se savoir).

Ce film est beaucoup de choses : un biopic radical, une vibrante plaidoirie pour l'égalité homme-femme, une expérimentation cinématographique rare et une réflexion sur la responsabilité des auteurs, les médias de masse et la concentration du pouvoir. Il est bien dommage qu'il soit si peu connu...

Activité sur Le Libre Penseur