Le livre est composé de deux parties. Tout d'abord, Fantôme d'Orient, un récit mélancolique où Pierre Loti déambule dans Stamboul, à la recherche des fantômes du passé, émerveillé par les petites ruelles de la ville, ses mosquées et minarets, les maisons anciennes bordant le Bosphore… C'est un Pierre Loti amoureux de Stamboul, de la Turquie et des turcs, débordant de mélancolie, qui nous prend par la main et nous fait partager son émerveillement pour toutes ces choses. Sa plume, bien que très raffinée, m'a laissé cependant assez indifférent. Mais je dois dire que les récits de voyages ne me passionnent guère en général, encore moins quand je n'ai expérimenté moi-même la destination (c'est un peu comme lire la critique d'un film qu'on n'a pas vu, ça a très peu d'intérêt).

Ensuite, d'autres textes (tirés de Turquie agonisante, La Mort de notre chère France en Orient et Suprêmes visions d'Orient) où l'on retrouve son analyse géopolitique sur la guerre Italo-Turque, les relations avec les grecs, les arméniens ou encore les français… voilà ce qui m'attirait vraiment dans ce livre, que j'ai lu dans une période où les relations franco-turques sont bien tièdes. Cependant, Pierre Loti est tellement amouraché de la Turquie que son témoignage est à prendre avec beaucoup de pincettes. Ses considérations sur les arméniens ("… les Arméniens sont en Turquie comme des vers rongeurs dans un fruit, drainant à eux tout l'or, par n'importe quel moyen, par l'usure surtout, comme naguère les Juifs en Russie"), les grecs ("ils sont, avec les Arméniens, d'insatiables spéculateurs qui, depuis l'arrivée des Turcs en Europe, n'ont cessé de les exploiter jusqu'à la ruine"), les bulgares ("de cruelles brutes") montrent un tropisme pro-turcs peu commun et peu accessible au lecteur moderne.

Il défend la Turquie sur tous les sujets, le plus à contre-courant (pour dire le moins) étant le passage sur les massacres en Arménie (il ne parle évidemment pas de génocide) dans lequel j'hésite à voir de la mauvaise foi ou juste un aveuglement. Il reconnaît que les turcs ont massacré, mais explique que les récits ont été grandement exagérés, et, d'ailleurs, le gros des massacres est imputable aux kurdes. Il établit des parallèles assez boiteux avec le massacre de la Saint Barthélémy, la Terreur révolutionnaire, l'inquisition espagnole ou encore les persécutions des juifs jusqu'à leur expulsion d'Espagne en 1492, dont on a du mal à voir la pertinence… Quant aux arméniens, s'il n'excuse pas leur massacre, il raconte qu'il n'a rencontré chez eux que "lâcheté morale, lâchage, vilains procédés et fourberie", qu'ils sont des usuriers, des délateurs, et qu'il comprend que "*leur duplicité et leur astuce répugnent aux vrai Turcs, qui sont en affaires la droiture même !*". En effet, comment ces turcs "débonnaires, tolérants à l'excès, doux comme des enfants rêveurs" auraient pu se livrer à une telle violence sinon provoqués par les arméniens ?

Activité sur Fantôme d'Orient