Qu'est-ce qui pousse les hommes à risquer leur vie ? Quelle idée mérite que l'on sue sang et larmes pour elle ? Pour Mungo Park, c'est une affaire familiale. Insignifiant au milieu de la ribambelle de personnes qui constitue sa fratrie, il souhaite se faire un nom, devenir l'homme parmi les hommes. Pour se faire, il lui faut d'abord trouver une quête de taille à laquelle il pourra rattacher son patronyme. Cette quête, ce sera la première découverte du fleuve Niger par un occidental.

En 1798, c'est un projet qui a de quoi être insensé. Entre la barrière de la langue et la différence de mœurs, des guerres perpétuelles ou de la maladie, force est de constater que notre Mungo souhaitait ardemment devenir quelqu'un. C'est un homme quasi-seul, accompagné d'un ancien esclave devenu érudit, qui s'enfonce à travers la jungle et traverse les déserts pour conquérir le fleuve idéalisé. L'histoire de Mungo sera portée par le grand souffle des hommes qui ont décidé d'agir, brisant à jamais la perfection qu'ils pensaient atteindre par l'inaction. A risquer tout, ils ne pouvaient que tout gagner non ?

Seulement, il ne faut pas oublier que derrière chaque grande œuvre se cache une multitude de détails, et en l'occurrence, TC Boyle a choisi de s'étendre dessus. Water Music sera un récit d'aventures sous forme de pavé, mais avec un twist.

Le twist, c'est Ned Rise. Né à Londres sous une très mauvaise étoile, son alcoolique de mère ne trouvera qu'une écurie pour l'accueillir au monde. A peine débarqué dans la vie, le voilà immédiatement kidnappé puis sauvé par un homme qui deviendra son gardien et tortionnaire, le forçant à mendier et lui mutilant les doigts pour augmenter ses profits journaliers. On peut le dire, Ned était bien parti dans la vie. Et ce n'est que le début d'une longue course contre la mort et la misère.

Au-delà du roman picaresque, TC Boyle va prendre un malin plaisir à subvertir les codes auxquels seraient habitués les lecteurs friands du style. Car autant le dire franchement : Ned & Mungo, chacun de leur côté, vont prendre cher.

Capturé par les maures, subissant toutes sortes de revers que sa maladresse n'arrange pas, Mungo va se révéler être un héros bien en-deçà des standards attendus. Mû par un besoin d'exotisme plus que d'altérité, il ne va cesser d'en payer le prix fort. Ses péripéties suivront un tempo frénétique, au rythme des revers pris par le "héros". Ned de son côté enchaînera les arnaques, combines et autres métiers dégradants, de monteur de spectacles pornographiques à vendeur de faux caviar en passant par voleur de cadavres. Tout cela sur un ton jubilatoire, riche en références multiples et anachronismes délirants. Préparez-vous à en connaître un rayon sur la faune et la flore tropicale après votre lecture du livre. TC Boyle ne cache rien de l'aspect peu ragoûtant de la vie. Certains y verront une marque de mauvais goût. Moi je prends ça pour de la belle sincérité. Car derrière l'anachronisme et la frénésie de l'histoire, ce sont des idéaux touchants qui sont développés, qui permettent de dépasser le simple récit de voyage déjanté. Ne vous attendez pas à de grandes réflexions sur la vie pour autant : Water Music c'est de l'action non-stop. Mais de manière surprenante, l'action du livre est souvent plus parlante que le plus détaillé des discours.

Si Water Music a été classé dans la littérature "hystérique", ce n'est pas un hasard. Malgré sa taille le livre se lit à toute vitesse et tout s'enchaîne dans un déferlement de violence, d'humour noir et de délires qui ne lassent pas pour autant, car Boyle ne donne jamais dans la surenchère excessive : il la frôle sans cesse sans jamais la dépasser. La Terre de Boyle tourne à toute vitesse et nous sommes emportés par le flot. Ce livre est désormais pour moi la preuve éclatante que l'on peut écrire un pavé et le rendre digeste de A à Z.

Activité sur Water Music