Pardonnez-moi d'être attaché aux apparences d'abord. C'est une déformation regrettable, mais très ancrée.

...donc, d'abord, le look.

Bien que parsemée de défauts - presque des cicatrices - comme la fourrure d'un ours en peluche ayant bien vécu, bien que vieillie - est-ce qu'on peut dire "vintage" ? - l'image de ce dessins animé est belle.

Très intense, très émouvante.

Les camaïeux de gris colorés autour de quelques couleurs vives, les noirs très présents ( audacieux pour l'époque, qui pensait que le noir ne sied pas aux livres et aux films pour enfants ), les personnages des jouets qui parviennent à exprimer tout, sans que leur visage soit animé - regardez la fixité de la poupée, son visage pas très beau et presque effrayant comme l'étaient parfois les poupées de l'époque - et en contraste avec leur sobriété et la lenteur de leurs gestes, la mobilité du diable, sinueux et empressé.

regardez encore le très beau plan de la toupie qui va se perdre dans les rues sombres, sa trace dans la neige et les ronds dans l'eau, si dépouillés...j'avais oublié ça.

...oublié aussi que ce court métrage est plus maîtrisé, plus homogène, plus abouti que le long métrage du Roi et l'oiseau.

Il embrasse moins, mais étreint mieux.

...mieux animé, aussi : moins, mais mieux maîtrisé.

le propos est simple à première vue : métaphore de la guerre, la guerre comme la comprenait Grimault.

Elle déboule sans qu'on sache pourquoi comme une toupie folle; la Mobilisation Générale s'appelle Destruction Générale; on ne verra ni l'ennemi ni les combats;

on verra seulement que les profiteurs restés planqués dansent et convoitent les amoureuses des jeunes hommes expédiés au front, qui en reviennent doucement, éclopés, et ne retrouvent pas leur place dans cette société qui les met au rebut.

Voilà pour la Guerre façon Grimault, façon Prévert : une vacherie, une connerie.

réécoutez Barbara...( pas la dame en noir, la chanson de Prévert, Brest, la pluie de fer de feu de sang, les nuages qui crèvent comme des ventres de chiens morts )

mais il y a d'autres choses que la guerre à voir dans ce film :

- La simplicité avec laquelle on nous montre que la poupée est totalement insensible aux avances du diable - elle ne le calcule même pas

- le calme du soldat; comment il danse, lui, et pas elle, et comment elle récupère son cœur ( si bien vue, cette histoire de cœur-clef pour remonter la mécanique ), cavale de glace en glace et le sauve : elle qui est restée si statique jusqu'ici, quand elle se décide à foncer c'est une super-poupée. Le soldat ( un SOLDAT, la virilité même, à l'époque ) est très doux et contemplatif, alors qu'elle ( la poupée ! encore, songez aux représentations mentales "normales" de l'époque ) a l'énergie et la détermination d'un pitbull.

ce renversement des rôles clichés, pas du tout évident pour l'époque, je l'avais oublié, il s'impose soudain, évidemment voulu.

Etait-ce Prévert ?

Etait-ce Paul ?

C'est là en tout cas.

Que dire d'autre ?

Que l'image est belle de bout en bout ?

Qu'on ne fait pas l'injure aux enfants de croire qu'il leur aurait fallu des couleurs simples et faussement gaies comme une boite de feutres fluo ?

Ah, si, une chose encore :

La musique est belle, elle aussi.

Elle est de Kosma - comme les feuilles mortes.

Activité sur Le petit soldat