Je décide finalement d'attribuer la note maximale à cet incroyable roman de David Peace. Bien sûr, il n'y a peut-être pas de prime abord la matière classique de ce qui constitue un chef d'œuvre absolu de la littérature, au sens strict du terme, dans cette version romancée de la vie de Bill Shankly, manager légendaire du Liverpool FC.

Néanmoins, ce pavé (horriblement mal relié en ce qui me concerne) fait son chemin, me hante, et me fait me dire que j'ai la certitude de ne jamais avoir lu cela... et n'est-ce pas ici que commence justement la notion de ce que l'on oeut qualifier de génial ? Un livre qui nous hante, que l'on est certain de ne jamais pouvoir oublier ?

Evidemment, le style pourrait être un repoussoir à bon nombre de lecteurs qui s'imaginent que l'art devrait reposer sur le socle du beau style et du verbiage facile et pseudo lyrique. Les phrases sont courtes. Les phrases sont répétitives. Les phrases se martèlent. Les phrases cognent. Les phrases frappent, encore et encore. Jusqu'à la nausée parfois.

Littérairement néanmoins l'enjeu est réel : comment rendre le souffle épique de ce que représente le football pour les classes populaires, et pour le Royaume Uni en général ? Un critique littéraire y a vu très justement une chanson de geste, qui aurait pris pour objet ces héros d'un nouveau genre, qui égayent le week-end de celles et ceux qui triment toute la semaine. Il en émane une ferveur bestiale, mystique, aussi délirante qu'aride et vertigineuse. Le roman en reprend les codes, non pas dans l'affabulation (sinon dans les propos de Shankly) que dans le style : phrases répétées (avec usage de réduplication synonymique), événements cycliques, personnalités bornées et amour de la stratégie.

Une chanson de geste toutefois contemporaine, qui aurait mûri à l'ère du sample : on pourrait croire que le livre repose autour d'une centaine de phrases, recollées, légèrement modifiées, dans une scansion proche d'un chant païen. Cette répétition tout au long du récit, permet d'anticiper parfois ce qu'il adviendra dans le chapitre, ou d'avoir accès à la psychologie de Bill Shankly (la sueur, la chemise qui colle, l'allumage / extinction inlassable des feux de la voiture, le récurage de four en cas de défaite trop dure, qu'elle soit footballistique ou existentielle)

La lecture de ce livre est épaisse, rude, mais le jeu en vaut la chandelle, pour tout amateur de foot et de culture britannique. Rouge ou mort offre une réflexion sur l'art et la manière de raconter une vie reprenant la sève de son propre sujet : exposer la routine, la redite, l'entraînement, pour montrer que même si les visages changent, les noms disparaissent, l'âme d'un stade permet de maintenir le tout ensemble de façon éternelle, avec des acteurs qui ne sont que les heureux réceptacles de cette énergie, qui seront un jour remplacés, par des individus différents, faits du même bois et partageant le même souffle de vie. Puissant !

Activité sur Rouge ou mort