Après sa folle épopée hollywoodienne, laquelle nous aura gratifiée d’une ribambelle de titres mémorables (RoboCop, Basic Instinct, Starship Troopers…), Paul Verhoeven s’en retourna finalement dans sa Hollande natale : une belle ironie connaissant le destin passé de son fils prodige, mais aussi terrible, lequel fut poussé à traverser l’Atlantique pour pouvoir pleinement s’exprimer. Bis repetita des années plus tard dans le sens inverse donc, le cinéaste en profitant pour concrétiser un projet de longue date : Black Book.

À l’orée d’un Le Choix du destin (1977) auquel il s’apparente de facto, Black Book aura donc attendu trois décennies avant que Verhoeven et Gerard Soeteman (déjà scénariste sur le film susnommé) passent enfin la seconde : en dénouant alors une impasse de « genre », ils entendaient dépeindre à leur façon des dessous de la résistance néerlandaise peu avant la capitulation nazie. Le prisme juif, tragiquement indissociable de la Seconde Guerre mondiale, y occupe une place prépondérante via sa protagoniste Rachel Stein, séparée de sa famille et dissimulée par une famille de paysans.

Mais tandis que la fin de la guerre tarde à prendre définitivement forme, ce mois de septembre 1944 va voir son destin basculer : sa cache anéantie par un cruel hasard, une fuite semée d’embûches et d’espoirs douchés s’ensuivra, la vilénie de collaborateurs sans scrupules foulant du pied des retrouvailles finalement tragiques. Mais dans son malheur, une bonne étoile veille sur Rachel, la muant en survivante tenace et bien décidée à obtenir vengeance, quitte à appauvrir l’émotion inhérente au deuil (trop rapidement surtout).

C’est alors que Black Book prendra son envol : troquant rapidement son uniforme de domestique pour celui de résistante, l’alias qu’est Ellis de Vries infiltrera sans coup férir, mais au terme d’une habile séquence de séduction subtile, l’antre nazi local. Le récit s’avère dès lors on ne peut plus captivant, nuançant par l’intime les rapports de force tout en faisant l’étalage de la férocité, réciproque, qu’adopte chaque camp : une lutte jusqu’au-boutiste à l’ombre de l’espoir pour les uns, ou de la menace pour les autres, de l’avancée des alliés.

Esthétiquement irréprochable, Black Book délaisse les grands théâtres de guerre au profit des motivations et doutes de son héroïne tiraillée, le « mal » ne pouvant se limiter au seul uniforme : dans le sillage de la charismatique Carice van Houten et du parfait Sebastian Koch, nous nous prenons au jeu de cette somme de petites intrigues où l’individu se heurte au système et vice-versa. Reste que, à l’orée de son dernier acte, un « trop-plein » s’impose à nous à mesure que, rebondissement sur rebondissement, l’enjeu du fameux « livre noir » se révèle enfin.

Déjà trépidant, le rythme s’emballe pour ne plus ralentir à grand renfort de revirements, échecs, humiliations et trahison mise à nue : si le long-métrage maintient alors le même niveau d’intensité et d’excellence dans l’exécution, il y laisse malheureusement quelque plume, l’immersion en pâtissant presque paradoxalement. Nous regretterons également que son ouverture évente le devenir de Rachel au sein de la résistance, le procédé amoindrissant fatalement un suspense à haut potentiel… partiellement exploité donc. Black Book demeure donc perfectible mais largement réussi pour Verhoeven : retour au pays gagnant !

Activité sur Black Book