Beaucoup moins fade que le roman de Joan Hegland qui porte le même titre (mais qui n’a pas grand-chose à voir), le film de Gilles Marchand me paraît aussi plus riche que ce qu’on pourrait penser de prime abord. J’ignore si la diversité des analyses (1) sur ce film que j’ai trouvées çà et là sur le net est un indice de cette richesse, toujours est-il qu’on trouve des amateurs de cinéma de genre mécontents, des spectateurs déçus d’avoir vu un drame psychologique, des critiques qui parlent de huis clos et d’autres de grands espaces, etc.

Guère apprécié par la critique et par le public, Dans la forêt me semble pourtant avoir des qualités, à commencer par une certaine rugosité qu’on ne trouve pas si souvent dans des longs métrages mettant en scène des enfants. Le rythme n’est pas toujours très fluide, les effets ne sont pas toujours justes, le jeu des jeunes comédiens peut être inégal d’une scène à l’autre (2) ; au moins évite-t-on l’écueil du lisse.

Du reste, et c’est peut-être lié, le film est construit autour d’un glissement du familier vers l’anormal. Cela n’a rien d’extraordinaire, c’est une définition classique du fantastique (4), mais c’est toujours efficace, et en l’occurrence ce procédé pose une question : où commence la folie ? Si, dans les dernières scènes de cet anti-Chute libre, il est évident que le père est fou, le début de sa folie est néanmoins beaucoup moins marqué – surtout qu’elle peut se mâtiner de manipulation, de maladresse ou d’irresponsabilité. (Il me semble qu’une demi-douzaine de passages au moins peut marquer le moment où le spectateur se dit que le Rubicon est franchi.)

Il n’y pas tant que ça de pères mortellement inquiétants dans le cinéma français. (Des pauvres types, des grands maladroits ou des timides, oui ; mais combien mettent vraiment mal à l’aise ? Il m’est arrivé en regardant Dans la forêt de penser à La Classe de neige d’Emmanuel Carrère et à son adaptation pour le cinéma.) Gilles Marchand a le mérite d’en construire un crédible, qui donne à son film des allures de conte dégradé : un père qui entraîne ses enfants dans la forêt, une cabane, deux genres d’ogres, des bûcherons…

Sur ce point, on peut juste regretter que le film manque un peu d’ampleur, et peine parfois à poser nettement ses enjeux.

(1) Je parle d’analyses, pas de jugements de valeur. Il semble que les critiques n’ont pas trouvé à Dans la forêt les mêmes qualités que moi. Cela dit, certaines critiques parlent de twist final (je n’ai vu qu’une fin ouverte), et même le texte du boîtier DVD semble se tromper de film.

(2) Le plus jeune des deux (Timothé Vom Dorp / Tom) m’a paru plus régulier que son aîné (Théo Van de Voorde / Benjamin). Le premier est plutôt un acteur à regard, le deuxième un acteur à voix, ce qui correspond assez bien à leurs rôles. Jérémie Elkaïm est plutôt convaincant dans un jeu tout en détachement.

(3) Ah, et sinon, comme je n’ai réussi à en parler nulle part dans cette critique, je profite de cette note sans appel de note pour signaler qu’une fois n’est pas coutume, l’interview d’une trentaine de minutes qu’on trouve dans les bonus du DVD vaut le coup d’œil. Marchand et Elkaïm y évitent les poncifs d’usage et leur propos concernera quiconque s’intéresse aux liens entre conception et réalisation. (C’était le bonus de cette critique.)

(4) Les lecteurs de Tzvetan Todorov auront également reconnu dans le film cette hésitation, face à un événement anormal, entre une explication rationnelle et une explication surnaturelle.

Activité sur Dans la forêt