En dehors de quelques dérivés plus ou moins innovants, les Kirby se suivent et se ressemblent beaucoup, notamment à force de recycler les anciens. Nintendo et Hal Laboratory, le studio responsable de la licence, n’ont pas peur d’essorer la petite boule rose, estimant qu’il y aura toujours quelques fans ou de nouveaux joueurs pour donner quelques pièces pour le dernier soft. Un problème qui est aussi rencontré avec la licence Pokémon.

Mais cette cuvée de rosé de mars 2022 rafraîchit d’un grand coup les attentes un peu en bernes de ces dernières années. HAL Laboratory pousse ainsi la licence vers de nouvelles limites, et sans que la Kirbysphère ne soit complètement chamboulée, le résultat est pourtant d’une simplicité audacieuse.

Ce Kirby va ainsi vers deux nouvelles directions, celle d’une ouverture en 3D et d’un univers post-apocalyptique mignon comme tout. Il le fait en gardant la philosophie qui guide ses pas, celle de garder une attractivité et une simplicité idéales pour les plus jeunes mais dont la fine intégration permet aux joueurs plus aguerris de passer un agréable moment sans grandes contradictions.

Ce nouveau jeu est ainsi le premier Kirby à être jouable entièrement dans un environnement ouvert, et non plus sur un seul plan en 2D. Il était un peu hasardeux de parler de monde ouvert comme certaines critiques l’ont pourtant fait, la progression reste guidée, le chemin à suivre facilement compréhensible. Quelques petites énigmes ou passages un peu plus guidés parsèment le déroulement de chaque niveau, permettant d’éviter toute lassitude grâce au renouvellement toujours constant des scènes proposées.

Il peut être difficile pour un débutant de s’orienter dans un espace en trois dimensions, mais le jeu peut compter sur les particularités de Kirby : ses différents pouvoirs qui permettent de venir à bout des ennemis présents notamment en les avalant ou sa possibilité de voleter quelques instants, afin d’éviter ou de contourner les embûches présentes. Le positionnement de la caméra reste assez fixe afin de ne pas perturber le joueur mal à l’aise, mais n’empêchera pas quelques petites frustrations pour évaluer les perspectives.

Le jeu se permet aussi une petite extension du pouvoir de Kirby, qui lui permettait jusqu’alors d’avaler des ennemis pour absorber leurs compétences ou d’absorber de l’air pour voler quelques instants. Dans ce nouveau volet, il peut ainsi profiter du transmorphisme, qui lui permet de recouvrir certains objets de son corps élastique pour profiter de leurs capacités. En avalant un distributeur de canettes, il peut ainsi se déplacer avec la grâce d’une armoire à glace tout en crachant les canettes qu’il contient. L’idée est intéressante, et permet de découvrir les intentions parfois farfelues des développeurs, mais ces moments sont circonscrits à certains passages. Le jeu reste tout de même bien souvent sur des rails pour ne pas perdre son jeune public, alors que l’ouverture des possibilités aurait pu permettre de dépasser certaines situations avec un plus large choix.

Cette extension en trois dimensions permet aussi de développer l’exploration de ce Kirby, en allant chercher dans les recoins quelques petites trésors cachés ou en utilisant au bon endroit les particularités de certains pouvoirs. Il faudra parfois un peu plus de jugeote, et quelques essais à la recherche des derniers secrets. Les plus aguerris pourront aller compléter leur pourcentage de complétude du jeu, d’ailleurs assez gourmand en sucreries à débloquer y compris après la fin du jeu.

Une ouverture qui est donc contrôlée dans le terrain de jeu mais pleinement exécutée et développée. Cette utilisation des 3 dimensions va de pair avec un aspect que les jeux Kirby avaient peu exploité jusqu’à présent, celui de la mise en scène et par extension de sa direction artistique.

En effet, si la boule rose retrouve quelques ennemis bien connus et d’autres variations de boss emblématiques, c’est parce qu’une partie du monde joyeux de Dream Land a été absorbé vers un nouvel environnement étranger. Ce dernier utilise ainsi des décors urbains assez familiers, parmi lesquels immeubles ou centres commerciaux, mais dont il semble qu’une catastrophe soit arrivée avant la venue de Kirby. Ces ruines d’un monde post-apocalyptique n’en sont pas pour autant lugubres, car la vie reprend ses droits, avec la végétation qui s’infiltre dans les recoins et une faune discrète mais présente.

Le jeu utilise ainsi régulièrement le placement de caméra afin d’imposer ses décors au spectateurs. Les premiers pas dans certains niveau mettent ainsi l’accent sur la démesure du lieu ou son étrangeté, pour mieux mettre en évidence l’environnement qui va être traversé, comme s’il ne s’agissait pas d’un banal passage à traverser. Kirby 64 : The Crystal Shards, le premier Kirby à utiliser la 3D mais proposant encore un déroulement sur un seul plan, proposait aussi un environnement apparenté aux humains, mais ici HAL va à fonds dans cette direction.

Il en ressort ainsi quelques décors vraiment magnifiques, qui laissent planer le doute sur ce qui a pu arriver avant le kidnapping de Kirby et ses connaissances. Un environnement aujourd’hui relativement apaisé, en dehors des pièges et vilains présents, mais dont on pressent qu’un évènement grave s’est déroulé, comme dans Pikmin 2 (qui lui assumait plus directement). Le jeu étant assez peu bavard, le joueur un peu plus attentif ne pourra que se laisser aller aux conjonctures ou rechercher quelques informations dans les descriptions d’objets à collectionner et surtout profiter de ces environnements si évocateurs.

Une invitation à voyager et découvrir un monde en reconstruction de l’apocalypse qui peut se parcourir à deux joueurs. Le deuxième joueur incarne alors Bandana Waddle Dee mais ses possibilités sont limitées. De quoi permettre de filer un petit coup de main aux plus démunis, mais le deuxième joueur est trop rapidement téléporté près du premier joueur si jamais les deux s’éloignent trop tous les deux. Une plus grande souplesse aurait été appréciable sur ce point pour mieux pouvoir profiter en duo de cet excellent jeu.

Quelques petits défauts donc, mais une réinvention toute en logique et finement travaillée et l’exploration rafraîchissante de nouveaux rivages loin des habituels paysages naïfs et enfantins. Ce nouveau Kirby est donc une évidente réussite, un petit plaisir pour les pouces, les yeux et les oreilles grâce à sa toute aussi réussie bande-son. Un nouveau souffle qu’il faut poursuivre et pousser encore plus loin, malgré les habituels travers de la licence. Depuis ce Kirby, la boule rose s’est déclinée les mois suivants avec Kirby’s Dream Buffet, spin-off inspiré de Fall Guys assez quelconque, et Kirby's Return to Dream Land Deluxe, remake du jeu de 2011. Esperons que ces épisodes transitoires n’empêchent pas HAL Laboratory de travailler sur une suite de la veine de ce remarquable Monde oublié.

Activité sur Kirby et le monde oublié