J’ai longtemps cru que la bonté absolue était une qualité indiscutable, une force capable de transcender les pires travers de l’humanité. En lisant L’Idiot, j’ai été bouleversé par la façon dont Dostoïevski déconstruit cette idée à travers le Prince Mychkine. Je n’ai d’abord su voir que la pureté de son âme, son absence totale de malice, son désir sincère de sauver les autres. Mais au fil du roman, j’ai compris que cette naïveté, loin d’être une force, pouvait aussi être une faiblesse fatale.

Mychkine est un homme d’une bonté presque irréelle. Il pardonne tout, il donne sans attendre en retour, il tente d’aimer sans juger. Et pourtant, cette perfection morale que je jugeais, au début, comme étant une force, ne l'aidais pas, bien au contraire. Il est comme un agneau lâché parmi les loups, incapable de se défendre contre ceux qui profitent de sa gentillesse.

Mais parmi tous les personnages qui gravitent autour de Mychkine, c’est Nastassia qui m’a le plus marqué. Contrairement aux figures féminines idéalisées que l’on retrouve souvent dans les récits romantiques, elle est un tourbillon d’émotions contradictoires. Elle veut être sauvée, mais refuse l’amour ; elle aspire à la pureté, mais se précipite vers sa propre destruction.

Ce que j’ai particulièrement aimé, c’est la manière "non dégradante" dont Dostoïevski la dépeint. Dans beaucoup de récits, une femme aussi instable et toxique serait réduite à une caricature :la tentatrice, la folle, ou la manipulatrice. Ici, Nastassia est bien plus que cela. Son caractère excessif, ses choix autodestructeurs ne sont pas des caprices : ils sont le produit d’une douleur profonde, d’un passé marqué par l’abus et la honte. Dostoïevski ne la juge pas, il l’expose avec une sincérité brute, la laissant exister dans toute sa complexité.

Ce qui fait la force de L’Idiot, c’est son réalisme brutal. Il n’y a pas de leçon de morale facile, pas de fin heureuse où la bonté triomphe. Dostoïevski ne nous rassure pas : il nous met face à une vérité inconfortable. Peut-on être trop bon pour ce monde ? La pureté absolue est-elle une forme d’idiotie ?

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