You'll love meeting Gaspard !
Il est temps d'enfin baptiser ce compte senscritique, par un acte symbolique ; quoi de mieux que d'écrire la première critique de cet album, dont l'artiste est si improbablement devenu mon favori ...
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le 11 déc. 2023
Imaginez ; vous entrez chez un disquaire, et vous tombez nez à nez avec une très flashy pochette verte, presque fluorescente. Elle attire évidemment votre œil ; aux côtés d'un crooner rasé de près en costume seyant, col ajusté, cheveux gominés, guitare en main et lunettes de soleil devant les yeux, un nom, à la police très sixties : Gaspard Royant. En caractères énormes. Et puis, en nettement plus petit, le nom de l'album. Dont la sémantique, si besoin en était, rappelle qu'ici, on ne comptait pas faire dans la modestie, la mesure ou la discrétion ! L'album s'appelle 10 Hits Wonder... Faut-il rappeler, pour prendre la pleine mesure du culot d'un tel titre, le contexte de parution de l'œuvre ? C'est un premier album. C'est même une autoproduction. On a qu'une seule envie : acheter ce disque, le jouer sur une platine et remettre à sa place l'ego de Sir Royant en lui renvoyant sa position de novice aux allures de jeune premier en pleine tête, pointant pour ce faire les défauts de ses chansons. Mais voilà ... L'exercice est un peu trop parfait pour que l'on passe à coté de la dimension "pastiche" d'une telle scénographie, et de fait, du recul qu'il faut entretenir avec elle. Amis de la vibe rock'n'roll et de ses manières provocatrices, cet album est pour vous, puisqu'il est exactement cela : à bien des égards, c'est un exercice de style. Une ode au rock des années 1960. À cette époque où on sortait peut-être plus volontiers des single avec une face B sur un 45 tours qu'un album, avec la volonté de créer une détonation, certes éphémère, mais la plus remarquable possible. Ça tombe bien, 10 Hits Wonder se veut être composé de 10 séismes de magnitude maximale. 10 Hits Wonder a donc la prétention d'être un album de 10 hymnes inoubliables, sortis d'ailleurs à l'origine sous forme de SP 7", aux parutions échelonnées sur deux ans. Enregistrés en analogique, évidemment, Gaspard ne fait pas les choses à moitié. Et ledit Gaspard soutient d'ailleurs, encore aujourd'hui, qu'il a écrit dix foutus chefs-d'œuvre qui te viennent et te restent en tête avec la régularité du ressac. Agaçant, me direz-vous ; pire encore que ce que vous imaginez, puisque, je me permets la prolepse, il a raison ! Il y a cela dit ici une évidente mise en scène ; tout cela est bien sûr très scénographique, même si la posture n'est pas totalement ironique. Je suis plutôt cliente de l'impertinence de l'artiste, d'autant plus que je le sais au fond humble ; voyons maintenant comment il se défend musicalement. Tout le monde en conviendra, c'est bien de savoir emballer une oeuvre avec un storytelling malin et polysémique ; c'est mieux si le jeu en vaut vraiment la chandelle.
10 Hits Wonder, digne héritier ostentatoire d'un rock old school, n'est pas un album engagé ; il raconte des fragments existentiels, d'inspiration autobiographique. Le portrait de Los Angeles et de sa schizophrénie, étape obligée d'un road trip américain (Monkeytown) ; la si topique rupture amoureuse douloureuse (Break up Bar), ou sa variante plus enjouée, non moins désenchantée (The One You Need) ; un p'tit meurtre dans les bois en Haute-Savoie (The Woods), ou encore un clin d'œil intertextuel, sous forme d'ode à Retour vers le Futur, à la tendance à l'idéalisation et à la nostalgie de la culture passée (Marty McFly). C'est plutôt facile de s'identifier aux textes de Gaspard, même si certains soulignent, appuyés par leur genèse, la singularité pas toujours marrante du vécu royantien. Voici qui témoigne bien du fil tendu entre pastiche et authenticité artistique sur lequel évolue Gaspard avec cet album, sans jamais se casser la gueule ; il est important de le souligner. Le ton global du disque est à l'image de la pochette : impertinent, décomplexé, mais absolument pas présomptueux. Alors bien sûr, ça flirte avec une tonalité prétentieuse, ça joue avec, c'est le principe, vous l'aurez compris au visuel de l'album (All the Cool in You Is Me) ; cela dit bien mal avisé serait l'auditeur qui la prendrait au premier degré. 10 Hits Wonder est un album qui se veut malgré les aléas de l'existence lumineux et qui multiplie les sections rythmiques rapides et les mélodies entêtantes pour vous faire danser (Parmi celles que je n'ai pas encore évoquées, Europe, All Is Truth, This Year Belongs to You). Si vous pouvez, de préférence un truc rétro ! C'est un album généreux qui vous veut du bien, et dont la seule prétention réelle, profonde, est d'apporter un petite étincelle à ses auditeurs ; pas du tout de s'ériger en chef-d'œuvre absolu, seul héritier légitime du rock. Même si, en définitive, je finis un peu par le reconnaître comme tel !
Un mot un peu plus spécifique sur Break up bar, puisque c'est ma chanson préférée non seulement de l'album mais aussi de toute la discographie de Gaspard - voire même, ma chanson préférée tout court. C'est objectivement la plus mélancolique des compositions royantiennes ; même les plus tardives Cursed et We Wanted the World ne rivalisent pas dans le genre "sortez les violons". En parlant de violon, certe le thème et le texte font l'émotion de la chanson, mais la composition musicale y est aussi pour beaucoup. On se remet difficilement de cet orchestre de cordes, je veux bien applaudir quiconque restera de marbre face au passage a capella, et à la réapparition de cette guitare électrique qui fait le pont vers le dernier couplet de la chanson. Il n'est nul besoin enfin de souligner l'interprétation royantienne ; depuis le début je vous décris une scénographie très crooner ; il fallait bien qu'il y ait de la substance artistique derrière la posture. Et en cela, Break up Bar est l'un des meilleurs exemples qu'on puisse trouver, à n'en pas douter. Sortez les boîtes à mouchoirs !
L'air de rien, la scène rock indépendante française a donc produit ce qui constitue pour moi le meilleur album du genre de ces vingt dernières années ; et même le meilleur album tout court. Voilà que je me range à la posture royantienne et que je verse moi aussi dans l'hybris ; enfin, n'en demeure pas moins que depuis pas loin d'une décennie, 10 Hits Wonder est mon album studio favori. J'attends impatiemment l'année prochaine pour voir si le petit nouveau le détrônera enfin, ou si comme ses condisciples il trouvera une haute place dans mon classement personnel - derrière cela dit cette merveille rock et rétro, fulgurante et prodigieuse, à l'apparence insolente et désinvolte, que vous devriez vraiment, si ce n'est pas déjà fait, écouter, et par pitié sur son support original : le vinyle.
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Créée
le 14 déc. 2023
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