On l'avait pourtant promis, juré, craché. Plus jamais on ne s'abandonnerait à ce plaisir si coupable procuré par l'écoute d'un album de Travis. Il faut bien l'avouer, Travis, c'est un peu l'équivalent musical du hachis Parmentier surgelé premier prix, englouti sur un coin d'évier sur les coups de 2 heures du matin. On sait bien que ce n'est ni très bon, ni très raffiné, on croit repérer, derrière le goût de prémâché, tous les ingrédients les plus lourdingues, mais, dans des circonstances appropriées (une petite fringale, une bonne soirée), on éprouve autant de plaisir à bâfrer cette pâtée peu digeste qu'à déguster un menu de douze plats chez un triple étoilé au Michelin. C'est ça Travis, et puis aussi les refrains qu'on reprend à plein poumons dans la voiture ("Why does it always rain on miiii ?"), ou bien les bras levés, pendant les concerts, sous l'oeil désapprobateur du conducteur, des passagers, des amis interloqués et de tous les apôtres du bon goût. Alors, cette fois ci, c'était sûr, on ne se ferait plus avoir par Fran Healey et sa bande. On allait les démolir leurs douze ballades, invariablement midtempo, toujours sorties du même moule. On allait se gausser de leurs prises de position convenues sur la guerre en Irak (The Beautiful Occupation, Peace The Fuck Out), d'une naïveté qui confine à la sottise. Peine perdue. Il suffit d'une écoute pour que tout reparte de plus belle. Les mélodies qui rentrent dans la tête dès le matin et ne vous quittent plus de la journée. Vraiment, en toute franchise, combien de disques indépendants minimalistes sur lesquels on feint de s'enthousiasmer toute l'année sont capables de s'incruster ainsi sur une platine ? Dans quinze ans, combien de fois aura-t-on réécouté tous ces supposés chefs-d'oeuvre surgis du fin fond des garages et des granges américaines ? Avec Travis, la question ne se pose même pas. Le plaisir est certes coupable, mais il dure. Alors, même si l'on se sent pris en faute, on ne peut s'empêcher de repartir au quart de tour, les bras levés, au milieu du salon à entonner Love Will Come Through et le single Re-Offender, sous l'oeil qu'on devine désapprobateur du chat. Tiens, il reste même encore un peu de hachis Parmentier dans le congélateur... (Magic)