La nécessaire dissociation de l'homme et de l'artiste
Quand il est question de balancer une revue sur le premier album de XXXTentacion, il est difficile de ne pas penser à tout ce qui gravite autour du personnage actuellement. Pourtant, il le faut. Il faut se concentrer sur l’œuvre artistique qu’il nous livre et non sur l’homme. C’est d’ailleurs un exercice auquel je suis personnellement habitué, écoutant de tout. C’est ainsi que certains styles musicaux m’ont déjà mis à l’épreuve, me forçant à séparer la personne et l’art (e.g. Burzum, énorme raclure ayant contribué aux prémices du black metal). Le hip hop n’échappe pas à cela. Les artistes derrière les barreaux, ou attendant leur sort sont nombreux (pour la simple détention de cannabis au meurtre). D’ailleurs, la dernière tendance obscène est de soutenir Tay-K, rappeur accusé de meurtre lors d’un cambriolage, de vol à main armé avec coup et blessure et pour sa possible implication dans le meurtre d’une étudiante, encourant la peine capitale. Mais ceci ne semble pas poser problème à Lil Yachty, Playboi Carti (aka monsieur WHAT) et XXXTentacion qui, non seulement promeuvent sa musique (le gars capitalise tout de même 42 millions de vues pour The Race) mais vont jusqu’à balancer des « Free Tay-K ». Non, il ne faut pas retenir cela. Ni même les accusations de maltraitance sur son ex compagne enceinte. Si vous êtes avides de détails glauques, je vous renvoie à l’article de Pitchfork. Pour casser le mythe, on relèvera que le gars joue à Minecraft.
Il faut écarter tout cela pour ne s’intéresser qu’à l’œuvre et à l’artiste, XXXTentacion et non Jahseh Onfroy.
La dernière fois qu’on entendait parler de X, c’était lors du 2017 XXL Freshman Cypher. Un cypher qui n’a de cypher que le nom et qui nous a montré que la relève du hip hop était désastreuse (il n’y a pas un pour rattraper l’autre), nous faisant déjà attendre un 2018 XXL Cypher, dont on espère retrouver de vrais espoirs (Ski Mask The Slump God pour ne citer que lui). En fait, X était peut-être le seul qui valait le détour, n’en déplaise à… beaucoup. Son texte a capella était le seul ayant du contenu (les autres ont tout de même enchainé les bars sur du néant, dans un sens, ça force le respect). Mais, on était parfaitement en droit de se demander ce que diable faisait l’homme – au pseudo digne d’un compte twitter de pornstar – dans un cypher. Lui-même aspirait à plus qu’une étiquette de rappeur dans une interview accordée à Genius alors qu’il était incarcéré. Il se définissait comme artiste, aux influences multiples voulant travailler avec The Fray, Kings of Leon et Lorde. On est loin du hip hop et son passage dans le XXL Cypher était alors encore plus surprenant. Bref, il n’en reste pas moins qu’il a marqué les esprits, positivement ou négativement.
Ainsi, nous voilà avec son premier album. Premier point, il est difficile de qualifier d’album ce qui s’apparente à un EP avec ses 20 mins. Il remplit néanmoins la qualification d’album au regard du nombre de pistes. Passons ce détail.
Le renouveau du emo
L’album commence avec une sorte de « service public announcement » nous mettant direct dans l’ambiance (monotone ?) de l’album. 17 pour le nombre de ses tatouages facials parle de ses souffrances et ses pensées. Autant le dire, ça sera ça jusqu'à la fin : de la souffrance en barre. On est en plein renouveau du emo, comme quoi, souvent critiqué, ce genre n’est jamais vraiment parti et le hip hop tend à le remettre sur le devant de la scène. Après, il est difficile de parler véritablement de hip hop. Certes tous ses artistes de cette vague (Lil Uzi Vert, Lil Peep, Trippie Redd) sont souvent affiliés au hip hop et sont relayés par la presse hip hop, par des chaines YouTube hip hop et écoutés par une communauté hip hop, mais leur esthétique, leurs vêtements, leurs sons s’écartent très souvent du hip hop. Le hip hop ne remplace pas le rock, il semble vouloir être le nouveau rock.
Le premier morceau « Jocelyn Flores » (sur le suicide d'une amie), et les suivants d’ailleurs, sont loin d’une construction hip hop classique avec 3 couplets. Ici, un refrain, un maigre couplet, et le tour est joué. Ca ressemble à une construction rock. Si l’on veut être mauvaise langue (ou pas), on dira que 17 se rapproche plus d’une mise en musique de quelques lignes grattées sur du papier. Après, on est en droit de penser que c’est l’effet voulu. C’est brut, personnel, loin d’une vraie production studio sur fond de lofi hip hop. On reste dans l’underground.
Depression and obsession doesn't mix well
I'm poisoned and my body doesn't feel well
L’affaire se complique un peu avec « Depression & Obsession ». L’underground vire limite à l’amateurisme. La guitare nous dérange un peu les oreilles laissant une impression d’une prise unique à 3h du matin. Allez hop, c’est dans la boite. Le morceau aspire peut-être à rentrer dans les playlists des gratteux émo en soirée coin du feu sur la page. Vocalement ça se tient. Le background vocal de X ne semble pas autotuné. Le gars a un vrai potentiel voix.
Plus rap sur « Everybody Dies in Their Nightmares » l'enchaînement est très mal géré avec « Revenge ». Comme quoi l’ordre des pistes sur un album ne doit pas être négligé. Ce dernier déjà balancé quelques mois plutôt avait eu le droit à son AMV sur YouTube, comme quasiment toutes les chansons de XXXTentacion. Il est, pour l’heure, le titre le plus connu qui montre que l’artiste ne se cantonne pas au hip hop.
Voices in my head
Telling me I'm gonna end up dead
So save me, before I fall
« Save Me » est un plaisir gâché. Je n’ai rien à dire sur l’intro, mais la batterie dérange. Est-elle acoustique ou honteusement sortie tout droit d’un logiciel ? Il n’en reste pas moins qu’il y a un problème et arrive comme un cheveu sur la soupe à cause d'un son atroce. Pourtant, le morceau accroche bien et c’est un peu dommage qu’il suive la construction de tout le reste. Il gagnerait à être un peu plus long. C’est d’ailleurs ce genre de musique où l’on verrait volontiers un chanteur en featuring (je ne m’aventurerais pas à donner des noms).
Avec un interlude aussi long que les autres morceaux et un « Fuck Love » assisté de Trippie Redd qui nous donne encore un sentiment d’incomplet et un « Orlando » assez inintéressant, 17 n’est pas non plus totalement remplit de défaut.
Au delà des frustrations
Il est dur de qualifier 17 comme véritable premier album (même s’il l’est). C’est d’ailleurs assez dur dans le hip hop de qualifier la chose quand parfois en plus, certaines mixtapes ont autant de popularité que des albums. Mais finalement, les codes d’hier ne sont plus ceux d'aujourd'hui. Un EP ou un LP, une mixtape ou un album, qu’importe 17 vaut l’écoute, et cela sans considération de l’individu. Les haters rejetteront en bloc l'album comme un réflexe pavlovien ; les fanboys aimeront avant même de l'écouter, tandis que l’oreille avisée ne sera pas indifférente à certaines compos.
Au final, 17 est un premier album en demi-teinte. Il pèche par moment (peut-être trop) ayant pour effet de valoriser des titres comme « Save Me », « Depression & Obsession » et « Fuck Love » au point qu’on oubli facilement le reste.