(Répugnant à faire une critique sur un morceau, je la pose sur l'album correspondant, mais cette critique ne parle que du Lied Der Erlkönig, bien qu'elle soit applicable généralement à l'ensemble.)
(Evitez les versions de youtube, en live, l'accompagnement au piano est bien trop empressé, le chant est un peu moins maîtrisé, je recommande celel du CD. Enfin, tant que c'est Fischer-Dieskau ça va).

Voici à mon sens quel lied pourrait être le plus représentatif du génie schubertien dans le domaine du Lied.
On me demande souvent, pour un novice, par quoi commencer dans la musique classique. C'est si vaste, si dense, si différent d'une œuvre à une autre, d'un compositeur à un autre, d'une époque à une autre...
Je crois pouvoir dire que les Lieder de Schubert ne peuvent pas être un mauvais choix.
Accessibles, beaux, subtils, intelligents, sensibles, ils ont toutes les qualités possibles. Je dis souvent, Schubert est le père caché de la musique pop. Les Lieder de Schubert, ce sont les ancêtres de nos Beatles et consorts.

J'ai choisi de parler de celui qui me tien peut être le plus à cœur (et ce n'est pas peu dire).
Découvert il y a des années en cours de musique au lycée, je n'ai depuis cessé de le ré-écouter encore et encore, en essayant d'en comprendre toutes les subtilités, et d'en ressortir tous les plaisirs.

Tout d'abord, l'éternel question de l’interprétation. Il est évident qu'il faudra privilégier celle du baryton Fischer-Dieskau. Son interprétation, sa sensibilité vocale, sa compréhension des différents caractères des personnages, l'adaptation qu'il fait de sa voix dans les différents registres, tout concorde à sublimer l’œuvre, à lui donner son maximum de puissance. Accompagné au piano par Gerald Moore, aucun problème, le pianiste sait opter pour un jeu tout en complicité avec le chanteur, le duo est parfait.

Pour profiter pleinement de ce Lieder (de tous les lieder d'ailleurs, allons), il faut d'abord bien comprendre l'histoire générale. Inspirée d'un poème de Goethe, lui même inspire d'une légende nordique si ma mémoire ne défaille pas, elle raconte l'histoire d'un père qui chevauche avec son enfant. L'enfant aperçoit le Roi des Aulnes, qui reste caché au père, et qui veut s'emparer de l'enfant. Le père, aveugle, rassure son enfant contre le danger, ne le crois pas, et la voix du Roi toujours plus caressante s'empare de l'enfant, jusqu'à ce que le père voit, mais trop tard, l'enfant est déjà mort.

Mais commençons avec l’œuvre en elle même.
L'écriture de l'accompagnement au piano est, comme à l'habitude du maître, irréprochable, brillant, d'une intelligence peu commune. Je me suis promis de ne pas rentrer dans les détails harmonique, et de rester ainsi accessible à ceux qui n'ont pas de notions solfegiques.
Le motif rythmique, parfait, est constitué d'un ostinato (une note ici, répétée, inlassablement), auquel est superposé une montée mélodique et une désinance, cette dernière rythmiquement bien plus lente. On a le symbole évident du cheval au galop, de ses mouvements, de son rythme, et de ses irrégularités de course. Sans rentrer dans les détails, le langage harmonique couplé aux mouvements ascendants puis descendants de la main droite, pourtant tassée dans les graves aussi transmet immédiatement une impression inquiétante, dangereuse.
Schubert joue avec ces motifs de la main droite, et tout au long du Lied, on les entendra quelques fois émerger entre deux phrases, comme pour mettre du relief au discours, en le pressant, en le rendant plus dense. Exemple parmi tant d'autres, l'accompagnement est passé au second plan dès l’entrée de la voix du narrateur, quand soudain on a la première figure d'accompagnement qui perce entre « seinem Kind » (son enfant) et le début de la phrase suivante. L'effet est immédiat, l'enfant est comme brutalisé par cette interruption extra-vocale, ce qui accroît le sentiment d’insécurité à son égard, et a aussi pour effet de presser la narration, pour laisser place à l'action. Toute la technique d’écriture de Schubert dans le Lied est de cet accabis, riche, subtile, et tout aussi facile d'accès au premier abord que dure à percer en profondeur.
On peut aussi parler de son jeu sur les couleurs harmoniques tout en restant accessible aux amateurs en se basant sur les impressions. Il est facile de remarquer la différence de couleur qu'il y a entre les passages ou le Roi des Aulnes s'exprime avec sa voix charmante, dans le but de tromper l'enfant en lui susurrant des fausses promesses (« Du liebes Kind... gülden Gewand ») et le passage juxtaposé ou l'enfant effraye supplie son père de l’écarter de la menace (« Mein Vater, mein Vater »), ou les couleurs expriment alors clairement un sentiment d'angoisse et de danger imminent.
Dans ce passage même, il est intéressant de remarquer l'utilisation que fait Schubert du piano. Juste avant le « Mein Vater », on a l'ostinato de la note répétée qui est mis très en dehors, comme pour signifier la peur de l'enfant, la fuite qu'il désir, via le symbole musical associe au galop du cheval. On est pas encore dans un Leitmotiv wagnérien, mais on s'en approche grandement, avec l'association d'une idée musicale à un sentiment (la peur, le besoin de fuite) symbolisé par une action (le galop du cheval), et sa ré-utilisation par la suite.
Il joue aussi bien sur avec les nuances pour appuyer son discours, mais afin d’éviter les redites j'y reviendrais en parlant de la voix, le principe étant sensiblement le même.

Le rapport texte/musique.
(ici lien pour le texte et sa traduction : http://www.musicologie.org/theses/erlkonig.html )
Je crois que c’était sur cette thématique que l'on avait initialement étudié ce Lied, bien que je n'en ai guère de souvenirs. A l’évidence on pourrait écrire des pages et des pages là dessus, Schubert est maître dans cette discipline, et presque chacun de ses Lieder se prête à une analyse de ce type.
Ici c'est très impressionnant de voir à quel point les deux sont enlacés et sont chacun le reflet de l'autre. Il faut aussi saluer la virtuosité de l’interprétation de Fischer-Dieskau, qui magnifie complètement les caractères des personnages, leurs sentiments, leurs actes. Je glisse un petit mot ici sur la façon dont il modifie le timbre de sa voix tout en gardant une maîtrise parfaite sur celle-ci pour les quatre personnages de ce conte : le narrateur, le père, l'enfant, et le Roi des Aulnes. Quelle douceur toute mielleuse pour ce dernier ! Quelle force dans l’interprétation et la personnalisation de ses personnages ! La peur de l'enfant est si prégnante ! Pas de mots pour décrire ça.
Revenons à nos mouton. L'introduction donnant le ton passée, entre la voix du narrateur, qui pose le décors. Déjà, dès la première phrase, la sensibilité de l’interprète se fait sentir : « Qui chevauche si tard, dans la nuit et le vent ? » Nuit et Vent sont dans le texte original « « Nacht und Wind », et il y a déjà dans la façon dont il prononce ces mots le sentiment d'une difficulté. Celle-ci nous est imperceptiblement transmise par le ralentissement rythmique sur ces trois syllabes, chacune ayant la valeur d'une noire, en homorythmie (= rythme égal), ce qui permet d'accentuer ces mots, en les rendant comme plus longs, plus durs à passer. L'effet est saisissant pour qui est habitué au langage schubertien.
La réponse à cette question est elle aussi toute en nuance. Le simple fait de mettre « Vater » et « Kind » sur deux niveaux de nuances (= volume sonore) différents parle de lui même, et sous-entend déjà toute la suite de l'histoire. Le « Vater » est comme un écho anticipé aux cris de l'enfant qui suivront (on reconnaît cette intonation ou la sonorité f est très prononce, puissante, et la suite décline, se perd), quand le « Kind » se perd déjà, est comme déjà mort.
Le cadre posé, le père prend la parole. Sa voix est puissante. Maîtrisée, forte, grave, elle est un symbole parfait de la puissance paternelle, de son autorité, et, pour l'instant encore, de sa toute-puissance. Il pose à son fils la question, « Pourquoi caches-tu ton visage d'effroi ? ». La mélodie colle parfaitement au texte, l'intonation est montante, comme dans un texte parlé.
L'enfant répond, demande à son père s'il ne voit pas le Roi des Aulnes. La différence de voix est juste une perfection sublime, surtout avec le père qui reprend après, encore plus grave. L’interprète rentre en voix de tête sur la pointe des pieds, tout en douceur, impossible de se tromper sur le personnage. L'enfant fait part de ses inquiétude à son père, et le timbre de voix de la réponse du père a une double fonction. Il traduit donc sa fonction, le père, mais aussi son message : il a une voix profonde et chaude, il est clairement en train de rassurer son fils, et ça on le sent même sans comprendre les paroles.
L'accompagnement au piano fait parallèlement sentir une atmosphère oppressante de peur, et il est amusant de remarquer qu'il en est tout à fait différemment au couplet suivant, quand le roi des Aulnes tente de charmer l'enfant avec de belles paroles. Couplet suivant c'est le retour à l'oppression, et ainsi de suite, l'accompagnement s'adapte parfaitement au discours des différents protagonistes.

Je vais peut-être m'arrêter la. Il faut être bien conscient que l'on peut faire ce type d'analyse sur chaque vers du texte, que Schubert renouvelle sans cesse ses idées en fonction du texte, des sentiments du personnage, de la musique elle-même...
La toute fin, le dernier vers, « Dans ses bras l'enfant était mort » clos merveilleusement cette petite tragédie.

J'espère avoir mieux fait comprendre à certains le langage de Schubert, son intérêt (même si on ne peut pas le résumer à ça, puis Schubert n'est pas ma spécialité), et peut-être avoir donné goût à certains à une écoute différente de la musique, un peu plus approfondie. On y gagne, et la compréhension d'une œuvre rajoute toujours beaucoup de plaisir à son écoute.
Désolé pour le côté brouillon, mal organisé.
Adobtard
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le 9 sept. 2012

Modifiée

le 23 sept. 2012

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