Après des mois de silence, Meechy Darko, Zombie Juice et Erick « Arc » Elliott, AKA les Flatbush ZOMBIES, sortent enfin leur premier album studio : 3001: A Laced Odyssey. Où il est autant question de cosmos que d’auto-congratulation.


Dans un Hip Hop où les réputations et les attentes se font et se défont à la vitesse de la lumière, rares et chanceux sont les artistes qui osent prendre leur temps pour créer leurs projets – encore plus heureux sont ceux qui peuvent se permettre, comme les Flatbush Zombies, de disparaître complètement des radars. Depuis leur dernière mixtape, BetterOFFDEAD, le trio impose un silence quasi-religieux. Heureusement, ils s’activent parfois à grand fracas, en imposant notamment leur « Blacktivist » comme un des tous meilleurs clips de 2015.


Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, les Flatbush Zombies sont de ces artistes qui n’aiment rien autant que de croiser les références. Hommage évident à Kubrick, 3001: A Laced Odyssey, littéralement « l’odyssée mélangée », s’accompagne d’une invitation à écouter l’album avec 2001 et quelques substances de votre choix. On vous laisse tranquillement vous préparer, pendant qu’on chauffe la plume pour tenter de capter l’essence du premier album des mecs les plus sûrs d’eux du Hip Hop.


Puisqu’ils se veulent les représentants de la révolution musicale et psychique de toute une génération, il est tout naturel que les Flatbush débutent leur 3001: A Laced Odyssey par « The Odyssey » du même nom. Quelque part entre le Space Opera et les pulls à impression cosmique, emplis de galaxies, de licornes et de chats de toutes les couleurs, le morceau s’attache à présenter les membres du groupe pour les rares qui ne le connaîtraient pas encore. Zombie Juice, Erick et Meechy se taillent chacun une part égale du gâteau, écrivent leur biographie superlative en reprenant des vers de leurs précédents « Palm Trees » et « Nephilim » sur une production lente et lourde dont ils ont le secret.


No Time For Losers


Non, vous n’avez pas rêvé : alors qu’on attend de nouveaux contenus de leur part depuis bientôt deux ans, les Flatbush réalisent l’ultime doigt d’honneur à leurs fans en réchauffant un plat préparé dans un vieux micro-ondes qui n’a même pas de fonction grill. Là est la définition même du groupe. Le trio a toujours un temps d’avance sur son public, et n’hésite pas à jouer de l’art ancestral et furieusement dangereux du contre-pied.


3001 enchaîne avec « Bounce », un des premiers extraits de l’album, déjà clippé dans un magnifique visuel. A l’évidence, le titre devient la quintessence des Flatbush : ego-trip qui part dans tous les sens et dans tous les délires de leurs interprètes, petites piques sociales accessibles en secondes lectures. L’auto-congratulation sans concession est de toute manière la marque de fabrique des Flatbush. Ils sont nombreux, les morceaux de 3001: A Laced Odyssey à se diriger vers cette thématique.


Ainsi, si « R.I.P.C.D. » se présente comme une nostalgie des vieux compact disc, les Flatbush en profitent pour y détruire la concurrence, accusée d’être formatée et de ne plus rechercher l’artistique. Une classique, sur un downtempo plus lent qu’un morceau du Tricky de la grande époque. « A Spike Lee Joint » vient confirmer, sur le même principe, la manière géniale dont Meechy, Zombie et Arc transforment des productions aériennes en hymnes terre-à-terre. D’autant plus qu’ici, la comparaison avec le réalisateur de Malcolm X est toute naturelle. Indépendants, libres, grandes gueules, jamais contents, foncièrement attachés à Brooklyn : les Flatbush cochent un à un les bullet points du plus grand fan des Knicks.


Your favorite finger


Lorsqu’ils ne sont pas centrés sur eux-même, les Flatbush changent drastiquement de focale et s’attaque à la métaphysique. A ce petit jeu là, c’est Meechy qui prend les commandes de « Fly Away » et « Ascension », morceaux de petite mort, dans son sens sexuel ou d’abus de substance. Si le premier flirte avec le purgatoire, le second en fait le royaume exclusif du rappeur. Nouveau Dieux de leur brume, les Flatbush prennent soudainement conscience de leur délire et calent une petite interlude, quelque part entre un score de X-Files et du Moby, période ambient, dans une genre de hotline de la détox.


Après une interlude lorgnant elle du côté des ballades de serial killer d’Aphex Twin, les Flatbush reprennent avec leur plus grande force : l’agressivité sur une production douce. Exercice malin, « Trade-Off » devient un défi pour chacun des membres, à savoir reprendre en gardant le refrain comme tronc commun. On se dit que le reste de 3001: A Laced Odyssey va enfin exploser de thèmes et de directions. On restera sur notre faim. De « Good Grief » à « This Is It » et « New Phone, Who Dis ? », difficile de tirer un quelconque enseignement des toujours plus longues tirades des MC. Ça vole, ça sniffe, ça meurt, un peu dans tous les sens.


Alchemist n’arrive pas à se sublimer sur la première, sauf dans cette folle outro en compagnie de Diamante qui nous ferait presque poser un question folle : et si les Flatbush avaient fait du R&B ? Bad trip. « New Phone… » se calque sur le même pour mieux débiter un nouveau torrent de divagations, de Satan à Futurama en passant par Dennis Rodman. Dit comme ça, et avec un peu de recul, rien de plus logique, en réalité. « This Is It », lui, revient sur le modèle de l’ego-trip vu et entendu en début d’album. Non pas que les trois morceaux soient foncièrement plus mauvais que les autres, mais leur accumulation finit par lasser. Oui, Grands Dieux : les Flatbush nous lassent. Monde de merde.


Il faudra un ultime réveil, « Your favorite rap song », pour que l’auditeur sorte de son regard bovin. C’est avec un peu de sale, des voix enregistrées au Nokia, un break tout simple et un titre en forme de prophétie auto-réalisatrice que l’épiphanie se réalise. Il faut dire que « Your favorite… » est le nectar des nectars des Flatbush. Le vrai, finalement. L’enregistrement distant, le je-m’en-foutisme, la volonté de faire fermer leur bouche à ceux qui en attendent toujours plus. Avec 13 minutes au compteur, les rappeurs ironisent, se moquent, savent pertinemment qu’avec ce morceau en forme de doigt d’honneur au propret Macklemore, ils se feront quand même encenser. Ils poussent le vice jusqu’à faire dérouler les messages d’amour sur une outro à la DJ Shadow, entrecoupés de très rares insultes. L’avalanche de lyrics prendra sûrement plusieurs décennies et une centaine d’écoutes à être déchiffrées. Bon courage aux archéologues.


Kanye aime Kanye, certes. Mais les Flatbush aiment aussi les Flatbush. A fond. Moins exubérants et marchant sur les pas artsy des débuts du rappeur de Chicago, le premier album de Meechy, Arc et Zombie Juice est sûrement aussi truffé de messages codés et de petites pépites que le film de Kubrick. Il est aussi sûrement aussi chiant à se taper d'une traite, sans sourciller. Parfois, à force de se laisser emporter par leur propre trip, les Flatbush finissent par perdre le sens de leur pensée. C'est à ce moment que la philosophie se transforme en inepties. Dommage, tant le travail de fond d'Erick Eliott était superbe.

Hype_Soul
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le 29 mars 2016

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